mardi 20 novembre 2007

Chapitre VII: Meurtre parfait

Hitman secoua la tête. Il sentait encore autour de lui cette odeur de mousse et de terre boueuse colombienne, les bruits de rafales qui l’entouraient de toutes parts lors de la fuite. Presque tous les gens étaient entrés dans la salle de réunion désormais, et il était toujours accroupi dans l’ombre. Il se leva, se mêla à la foule des derniers invités et trouva une place d’où il pouvait observer Petersen et James. Sur une estrade devant la foule se tenait un homme en complet marron, l’air sérieux et autoritaire. Un petit verre d’eau était disposé sur une table à côté de lui, ainsi que des dossiers et un ordinateur, dont les images étaient lancées sur le mur grâce à un projecteur adjacent. Les derniers arrivés se mirent en place, tandis que l’assassin silencieux observait avec attention Petersen qui parlait avec l’agent d’Interpol. Après deux minutes d’agitation, l’homme qui se tenait sur l’estrade prit la parole, les lumières de la salle s’éteignirent et l’auditoire reporta son attention vers les images de l’ordinateur projetées contre le mur et plus encore sur cet étrange individu.
-Bonjour, dit l’homme avec sobriété. Vous me connaissez peut-être, mon nom est Lyndon Myster, professeur de criminologie à l’université de St Andrews…
Hitman s’enfonça dans son siège avec lourdeur. Il avait plusieurs heures devant lui pour surveiller les faits et geste de Petersen : Myster semblait, rien qu’à voir les expressions de son visage, être un adepte du langage raffiné et surtout élaboré.
-Je vais vous parler d’une chose que la plupart des policiers et enquêteurs de police pensent impossible, un acte dont la polémique traite de plus en plus, et dont les moyens actuels le mettent de plus en plus comme une théorie dépassée : le meurtre parfait.
Il avait stoppé son discours juste avant de dire ces quelques mots, comme pour capturer le public dans son regard puissant et supérieur.
-En premier lieu, poursuivi-t-il, le meurtre parfait, si il existe bien, n’est pas à la portée de tout le monde. C’est avant tout un geste précis, tactique, sans faille, calculé de bout en bout et effectué par une personne au sang plus froid que la mer de Béring…
Quelques rires légers éclatèrent dans la salle, mais Myster resta de marbre, ce n’était pas son but. Code 47 l’écoutait attentivement, non pas pour voir s’il avait bien raison ou si ses paroles étaient similaires à son mode de travail, mais simplement pour la curiosité. Il observait son regard, qui était aussi impitoyable que celui d’un chasseur engagé sur une proie faible. Myster avait tout l’air d’un lâche, mais un lâche très, très intelligent. 47 jeta un coup d’œil sur Petersen et Lenny James qui écoutaient attentivement le conférencier.
-Tout dépend également du meurtre… un clochard abattu par un policier véreux dans sa ronde de nuit et jeté dans un fleuve pourrait est autant professionnel qu’un crime digne des plus grands roman de Agatha Christie ! Le mobile du crime… l’arme… le tueur lui-même, la victime… tous ces éléments se confondent entre eux, en apportent à de nouveaux qui eux-mêmes mèneront à de nouvelles preuves contre l’assassin. Un meurtre parfait est avant tout un meurtre où tout, absolument tout, est envisagé. Si l’arme est un pistolet, il faudra le jeter là où personne ne pourra le trouver, enlever tout rapport direct ou indirect avec le tueur ou bien faire rejeter la faute sur autrui, ce qui ne serait que plus judicieux et intelligent. Le fait qu’une personne soit accusée à tort permet au vrai criminel de sortir de la spirale pour un certain temps, car les autorités se rendront bien vite compte que la personne est innocente, même si certains ont tout de même fini sur la chaise électrique à cause d’avocats qui maîtrisaient leurs dossiers comme des chaussettes et quelques enquêteurs minables. Mais là n’est pas la question, notre sujet se situant sur le meurtre lui-même. Le mobile, s’il est important quand on assassine une personne proche, est plutôt abstrait pour des tueurs en série qui agissent sur leur proie selon des critères, ou des tueurs à gages.
47 eut presque envie de sourire, mais il resta froid et distant comme à son habitude. Cet homme était un expert du meurtre selon les livres qui se trouvaient dans sa bibliothèque et les individus questionnés sur le vif, mais il n’avait sûrement jamais ressenti au fond de lui cette sensation étrange après avoir volé une vie. Hitman ne les volait pas, il faisait juste l’intermédiaire entre la proie et le chasseur, mais quand la proie devenait personnelle, il arrivait qu’il ressente un soulagement à exterminer quelqu’un. Jamais personne ne pourrait l’expliquer avec des paroles ou dans une conférence. Myster n’était qu’un bouffon déguisé en orateur.
-Comme je l’ai dit auparavant, reprit Lyndon Myster avec un regard plus pointu que jamais, un crime parfait, si tant et bien qu’il existe, est un crime où tout est prévu, absolument tout. De la position du vent en passant par un témoin gênant ou un empêchement de dernière minute, tout doit être prévu. En général, quand une personne intelligente veut faire assassiner une autre, elle ne se gêne pas des témoins, si cela ne l’affecte pas au premier plan. Une personne qui s’écroulera dans la foule deux heures après avoir bu un café empoisonné aura été observée en train de gémir dans ses derniers instants par une dizaine de témoins, mais aucun d’eux ne pourra prédire sur le moment ce qui lui arrive, sauf si l’un d’eux est un médecin qui reconnaît un poison rien qu’aux effets à l’extérieur du corps. Mais, encore une fois, ce détail doit être pris en compte. Si la personne en question se sera écroulée dans la rue à deux mètres d’un hôpital, il pourrait être sauvé et dire avec qui il a bu son café, révélant ainsi son meurtrier qui aura raté son coup, ou alors des indices pour la police. Si la personne a eu entre-temps la possibilité de fuir pour ne jamais être retrouvée, le meurtre n’est pas techniquement parfait, mais tout proche… Si elle s’est faite arrêter avant, tout tombe alors à l’eau. Tout est une question d’intelligence et de sang-froid. Si le meurtrier est une personne inconnue, un tueur à gages par exemple, le problème ne se pose même pas. Mais par contre, si la cible connaissait son agresseur…
Hitman observa Myster, qui continuait de parler, pris dans ses propres paroles. Dans le fond il avait raison, le crime parfait n’existe peut-être pas. Mais un crime reste un crime. 47 tourna son regard vers Petersen, qui ignorait sûrement jusqu’à même son existence. Mais la personne qui était assise à côté de lui le connaissait bien, peut-être même trop bien.

Janvier 2008

-Il est par ici ! Vite, rattrapez-le !
Ses chaussures s’enfonçaient à chaque pas qui le faisait avancer vers l’hélicoptère. Les deux kilomètres avaient parus bien plus petits pour y venir, mais il faut dire que quand on a une vingtaine de soldats qui vous coursent dans des bois dont vous n’aviez pas même connaissance, cela peut-être déconcertant.
-Je le vois, il est là !
47 accéléra encore le pas, ses deux Silverballers chargés fermement serrés entre ses doigts. A l’écoute, entre sa propre respiration saccadée et le chant de quelques oiseaux, Hitman avait cru entendre deux, voire trois soldats à moins de vingt mètres de lui. Ce ne fut pas le coup de feu qui retentit dans la jungle et la souche de bois volant en éclats à ses pieds qui lui dit le contraire.
-Merde !
47 avait déjà repéré le soldat rien qu’au coup de feu. Celui-ci se mit à tirer en rafales, mais aucune n’atteint le meurtrier de Del Cosa. C’était peut-être un bleu, dans tous les cas c’était un homme mort. Profitant d’un arrêt de tir étrangement vif qui provenait du fait que le chargeur était épuisé, Hitman se stoppa sur la seconde, se retourna avec rapidité, la bouche encore ouverte d’épuisement, le visage dégoulinant, et aligna sa cible. Les deux culasses de ses pistolets .45 éjectèrent en arrière dans un geste unique et précis, et ce fut suffisant. Chacune des balles traversa l’air dans un bruit strident, la première atteignant le soldat colombien à la gorge dans un bruit sanglant, la deuxième lui frôlant la tête de si près qu’elle lui déchiqueta une partie de l’oreille. Avant que le corps du pauvre soldat ne s’écrase sur le sol humide, tel le gong qui annonce le sort funeste, l’assassin silencieux avait déjà repris son chemin entre les arbres, plus rapide que jamais. Un autre tenta de lui bloquer le passage, fusil à la hanche. Hitman effectua rapidement une roulade et évita la rafale inutile du soldat, profitant de son élan pour lui bondir dessus. Le soldat colombien s’écroula dans la terre humide, 47 lui arracha son M16A2 des mains et en profita pour lui balancer un coup de crosse qui, en plus de lui arracher au passage trois dents dans une gerbe de sang, l’emporta pour un instant aux pays des songes. Mais le répit fut de courte durée, le dernier des trois soldats qui le suivaient tirait bien mieux que les autres, et son tir fut si précis qu’il déchira une partie de la manche du camouflage de Code 47, lui blessant légèrement le bras. Celui-ci plongea à terre, et se mit à rouler sur le côté jusqu’à un arbre, où il s’y redressa vivement pour se protéger. Ce dernier soldat colombien était supérieur aux autres. Il tirait au coup par coup, chacun de ses tirs d’une précision mortelle, du moins pour une personne normale. Hitman n’était pas une personne normale. 47 ne bougeait pas, attendant que son ennemi fasse une erreur, mais il se rendit bien vite compte, surtout lorsque une balle déchiqueta le tronc de l’arbre à moins de cinq centimètres de sa tempe, qu’il n’aurait pas le temps de rechercher une quelconque faiblesse. Il fallait agir. Maintenant. Il se baissa, toujours contre l’arbre et évitant un autre tir qui aurait dû lui perforer le crâne, et réfléchit rapidement. Pas besoin de réfléchir. Tirer. Il sortit de sa cachette plus vite que l’éclair, ses deux pistolets parfaitement droits, le soldat dans sa ligne de mire. Il ne tremblait pas, il ne bougeait pas. Il tuait. Le premier tir l’atteint au bras et lui fit tomber son fusil, mais le deuxième le rata de très près, le soldat s’étant jeté à terre. Hitman ne le voyait plus, il était en amont… Ce fut seulement lorsqu’il vit un pistolet s’élever qu’il pensa à rouler sur le côté. La balle troua le sol humide dans un bruit déchirant, les deux autres tirs furent de Code 47, et cette fois-ci l’autre soldat n’avait aucune chance. Le premier l’atteint à la mâchoire, le faisant valser dans un geste ridicule, et le deuxième en pleine poitrine, le tuant définitivement dans une effusion mortelle d’hémoglobine. Hitman resta quelques secondes ses Silverballers en l’air, respirant fortement. Il y avait peut-être d’autres soldats, il fallait faire vite, et il se remit rapidement en route vers l’hélicoptère, qui devait normalement toujours être en train de l’attendre. Bien que le soleil était levé, la forêt dense et humide empêchait les rayons de passer, si bien qu’il finit par se perde dans une demi obscurité. Il ne pensait à rien d’autre que la fuite, que de fuir cette jungle, cette éternelle odeur d’humidité et de terre, cet éternel paysage qui n’en finissait pas. Il courait depuis presque dix minutes sans avoir repéré aucun ennemi, l’hélicoptère devait être à moins d’un kilomètre. L’idée que l’appareil fut détruit ou pris par l’armée colombienne lui traversa l’esprit, mais de toute façon c’était sa seule issue. Il se stoppa net, se mit à genoux, ses pistolets prêts à faire feu, et maîtrisa sa respiration pour ne pas être découvert, tendant cependant l’oreille pour repérer un éventuel ennemi. Après avoir tué deux soldats de sang-froid, on ne lui ferait plus de cadeaux, et ce n’était pas le Delta Force qui allait faciliter la tâche. Après quelques minutes, restant immobile parmi la monotone faune et flore locale, il finit par entendre des bruits de pas étouffés, et vit au loin un soldat en camouflage armé d’un M4 avancer prudemment, observant méticuleusement les alentours. D’après ses réflexes, ses mouvements et surtout sa morphologie d’américain, il devait faire partie du Delta Force. Mieux valait ne pas s’en prendre à lui. Hitman se coucha silencieusement dans l’herbe, la tête du commando dans sa ligne de mire. Celui-ci continuait à marcher dans la jungle, son œil regardant furtivement de tous côtés. Même avec son camouflage, 47 avait de fortes chances d’être repéré… il faudrait rester plus discret que jamais. Durant deux minutes, le tueur avait son regard pointé avec férocité vers l’homme qui continuait d’avancer à pas légers, et il finit par s’enfoncer dans le brouillard dense de la jungle inconnue. Code 47 leva les yeux vers les arbres qui lui bouchaient encore la vue du puissant soleil. Lentement, il se leva, et s’apprêta à repartir vers le point d’extraction quand le canon glacé d’une arme toucha sa nuque.
-Lâche tes flingues.
Hitman tenta de tourner légèrement la tête pour voir la personne qui le tenait en otage, mais celui-ci lui donna un coup de pied dans la jambe qui le fit légèrement plier. Une chose était sûre, avec son accent, il était forcément anglais. Lenny James.

-En gros, un meurtre parfait, si cela reste possible par un professionnel, est un meurtre où tout, du début à la fin, est organisé ! En passant du milieu du meurtre, par l’arme du crime, un témoin gênant ou alors un alibi détruit par une preuve qui peut s’avérer inutile, le meurtre parfait existe bien ! Il suffit juste d’avoir toutes les cartes dans son jeu ! Mesdames et messieurs, merci d’avoir assisté à cette conférence.
La voix de Lyndon Myster le tira de ses réflexions et de sa rencontre avec Lenny James. Il étira sa mâchoire, et bâilla légèrement. Petersen se levait, James également, et Myster remballait rapidement ses affaires. Hitman se leva calmement de son siège, le regard pointé vers sa cible, son P220 silencieux toujours dans le holster sous son Armani. Il s’était presque assoupi, alors qu’il avait dormi quelques heures dans l’avion. Se faisait-il vieux ? Possible, mais une chose était certaine, son métier n’avait pas pris une ride, et le meurtre parfait, il y arriverait aujourd’hui même.

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