dimanche 18 novembre 2007

Chapitre IV: Complot

Le hangar était énorme, et surtout vide. Le sol était humide, il y a avait quelques caisses traînant dans un coin, et le plafond était situé à une douzaine de mètres de hauteur, sous d’épaisses vitres qui formaient une voûte. Il l’avait découvert en cherchant autour de la planque de l’Agence, un édifice qui permettait de faire sortir les membres très discrètement, et c’était l’endroit parfait. Le hangar était totalement désaffecté, il y avait des planches par-dessus les fenêtres, la neige s’y engouffrait et on avait l’impression que les poutres allaient s’effondrer d’un moment à un autre. 47 avait repéré un genre de porte de cave dans un coin, c’était sûrement par ici qu’on rentrait et sortait de l’Agence. C’était une double porte en métal rouillé, massive et imposante. Il s’en approcha et l’observa attentivement, pas de lasers autour, pas de détecteur de mouvement, aucune lumière ne filtrait en dessous. Il souleva légèrement l’un des battants et jeta un bref coup d’œil à l’intérieur. Il y avait un tunnel aux murs de béton usés par le temps, mais il voyait une lueur de l’autre côté. Il regarda par-dessus son épaule pour vérifier qu’il était seul, puis ouvrit la porte juste assez pour pouvoir s’y infiltrer et la referma silencieusement. Il y avait un interrupteur près de lui, mais il préférait rester très discret. Il s’approcha à pas de loups de la lueur de l’autre côté, c’était une lampe à néon installée près d’une intersection. D’après la disposition du tunnel, il devait logiquement partir devant et laisser le chemin à droite, mais tout pouvait être totalement différent. Il décida tout de même de continuer tout droit, chose on ne peut plus logique. Il n’entendait aucun bruit, rien. Sur la pointe des pieds, 47 s’approcha de l’angle du mur et observa le chemin de droite, un homme armé d’un MP5 à silencieux montait la garde. Ce n’était sûrement pas un mafieux, mais bien un membre de l’Agence pour porter une arme bien plus chère qu’un Ak-47, fusil de prédilection de la mafia. Hitman attendit qu’il ait totalement tourné le dos pour rapidement franchir le couloir et continuer de l’autre côté, dans la pénombre. Si un homme montait la garde là-bas, c’était qu’il avait quelque chose d’important à surveiller, et 47 se trompait peut-être de chemin, mais il fallait avant tout éviter l’assaut direct. D’ailleurs, s’il voulait avoir ses chances de retourner à l’Agence, il était stupide d’ouvrir le feu sur un de ses soldats. Il continua de marcher durant cinq minutes dans les ténèbres, ici son ombre était obsolète, ici il était un chasseur, il se sentait bien dans son élément : seul, sans compassion, sans âme, un tueur né.
-Qui va là ?
Hitman ne prit pas le temps de se retourner et s’engagea dans un couloir extrêmement obscur. Le garde qui l’avait vu observa les environs, alluma une lampe torche mais ne vit rien, Code 47 était déjà dans la chambre d’à côté, où pendait du linge encore humide. Il n’était pas assez prudent. Déjà au Sheraton Palace, il avait pris le risque de laisser son pistolet totalement hors de portée et avait failli faire une prise au serveur pour l’étrangler à la corde à piano. Sur le marché du Kremlin non plus, il aurait dû trouver une autre sortie… Il chassa toutes ces idées de sa tête et se concentra sur l’instant présent. Le garde n’avait rien trouvé, éteignit sa lampe torche et repartit faire sa ronde. 47 était dans le noir total, et on lui avait confisqué ses lunettes de vision nocturne après l’avoir mis à la porte. Il tâta le sol, il était froid, il ne semblait pas y avoir de chauffage, c’était donc probablement un tunnel de connection entre la planque de l’Agence et le hangar. Il finit par trouver une porte et regarda par la serrure : personne ne montait la garde de l’autre côté. En plus il avait aperçu au fond du couloir des escaliers et de la lumière, ce devait être ici. Il ouvrit doucement la porte et s’engouffra dans le couloir, qui était très faiblement éclairé par une ampoule à nu sur un mur, qui clignotait fortement. Il observa les alentours pour s’assurer qu’aucun garde n’était encore dans le coin, et s’avança dans les escaliers. Au sommet se trouvait une porte, celle-ci était très simple, en bois, mais avec un lecteur de carte à côté, et il ne se risqua pas d’appuyer sur la poignée. Il devait absolument faire vite, un garde pouvait arriver à tout instant, et c’est ce qui arriva, mais pas dans le sens souhaité. La porte soudainement au détriment de 47, et le garde qui venait d’abaisser la poignée resta sur son séant, ayant devant lui le tueur le plus célèbre dont on parlait actuellement parce qu’il s’était fait mettre à la porte. Hitman le prit par le col et l’attira vers lui, le plaqua contre le mur et ferma la porte dans le même geste. Un MP5 sanglé traînait à sa hanche, mais il était trop apeuré pour tenter quelque chose. 47 sortit le revolver d’une main et le plaqua sous la gorge de l’homme. Celui-ci se mit à trembler, et quelques larmes coulèrent sur son visage.
-Pitié, ne me tuez pas ! J’ai une femme, des enfants,…
-Je pourrais les tuer, répliqua du tac au tac un Code 47 plus noir que jamais.
Il le regarda alors d’une autre manière, les yeux exorbités, encore plus qu’avant.
-Non, ne leur faites rien, je vous en supplie !
Hitman poussa le revolver un peu plus loin dans la gorge de l’homme.
-Je ne te ferai rien, mais tu as intérêt à te taire et à m’écouter attentivement. Tu vas descendre les escaliers et entrer dans la pièce où pend le linge sale.
-Mais…
-Fais-le ! prononça 47 entre ses dents. Sinon je trouverai quelqu’un d’autre et les rats du quartier joueront avec ton cadavre puant !
-D’accord… murmura le garde.
-J’aime mieux ça.
Il descendit calmement les escaliers, Hitman sur les talons, quand il s’arrêta net, un pied sur le plancher. Il regardait dans un angle mort du tueur, il y avait quelqu’un, sûrement un autre garde, qui demanda, l’air étonné :
-Piotr… tu pleures ?
47 enfonça le revolver dans le dos du soldat apeuré. Si celui-ci était suspect, il serait repéré et ne pourrait plus prouver son innocence.
-Euh oui… commença Piotr, ma tante s’est… s’est fait percuter par un bus.
47 leva les yeux aux ciels, si l’autre garde était autant stupide que Piotr, il n’avait pas de souci à se faire.
-Ta tante ? s’étonna l’autre garde. Je croyais que tu la détestais ?
L’assassin silencieux serra les dents et enfonça d’avantage le pistolet dans le dos du garde qui articula difficilement :
-Oui, mais… elle est morte sur le chemin du notaire, elle était vieille et devait changer son testament à mon honneur.
L’autre soldat éclata de rire.
-Bon, prends ta journée Piotr, je te remplace. Comme ça tu pourras avoir une partie de ta paie gratuitement si tu tiens tellement à l’argent... Mais enlève-toi du passage, j’aimerais prendre les escaliers.
Hitman eut un sursaut en voyant une jambe du garde s’avancer, et se plaqua un peu plus contre le mur. Heureusement, Piotr l’empêcha de franchir le pas.
-Non… travailler me fera du bien, mais toi tu peux prendre ta journée si tu veux.
-Hein ? Mais pourtant tu…
-Ca ne fait rien, ça ne fait rien. Et comme tu dis, je ne l’aimais pas, cette vieille tante. Prends ta journée je te dis, et laisse-nous passer.
-Comment ça laisse-nous passer ?
Cette fois-ci, pris de colère, Hitman prit carrément les cervicales de Piotr entre ses doigts et commença à les serrer. Grâce à l’épais manteau de celui-ci, les gants de 47 étaient invisibles sur la nuque du garde, et il n’hésiterait pas à lui briser la nuque puis éliminer l’autre garde pour s’enfuir,
-Oui, moi et mon ego, je veux dire, se rattrapa Piotr. Allez, tu peux y aller.
-Sacré Piotr, répliqua l’autre garde. Toujours le mot pour rire, mais si tu insistes je m’en vais. À demain.
-Oui, c’est ça, à demain, dit Piotr en tremblant.
Hitman entendit l’autre soldat s’en aller, puis mit son revolver sur la tempe du pauvre Piotr.
-Tu es un imbécile ! J’aurais dû te briser la nuque ! Avance !
Il le poussa dans la pièce où le linge pendait, et lui mit un puissant coup de crosse sur la tête.

La secrétaire s’appelait Irina, elle avait un élégant chemisier et une jupe moyennement longue qui montrait néanmoins le reste de ses belles et longues jambes. La chose qui l’intrigua le plus chez l’homme qui entra à ce moment-là, c’est qu’il ne lui adressa aucun signe d’importance. Elle était très jolie, et les gardes de la planque ne se privaient en général pas de lui faire un commentaire agréable sur son style vestimentaire ou de lui dire chaleureusement bonjour. Ce garde-là était totalement extérieur à ses charmes, et ce n’était pas normal. Curieuse de nature, elle observa ce mystérieux homme qui s’engagea vers la salle des ordinateurs. Il s’assit à l’un d’eux, regarda à gauche et à droite, puis l’alluma et attendit qu’il se mette en marche. Elle réfléchit un peu : elle n’avait jamais vu ce type auparavant, mais il portait bien la même tenue que les autres gardes de l’Agence. Elle retourna à sa paperasse mais était obsédée par cette étrange individu, non pas parce qu’elle ne l’avait jamais vu auparavant, mais parce qu’un homme qui ne réagissait pas en face d’elle n’était pas un homme normal. Elle décida d’en avoir le cœur net, prit un tas de dossiers et se leva. Elle les posa sur le bureau de l’ordinateur adjacent à celui de l’homme, qui lui jeta un regard désintéressé avant de commencer à taper au clavier. Elle alluma l’ordinateur, fit semblant d’observer son dossier tout en jetant un coup d’œil à son curieux voisin. Elle se leva, mais jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Le dossier Gregorovitch… celui de la bavure deux jours auparavant. Qu’est-ce qu’un simple garde voulait savoir à propos d’un contrat de l’Agence ? D’ailleurs, il n’était même pas censé y avoir accès. Irina s’apprêta à lui demander de s’en aller quand le téléphone de son bureau sonna. Elle quitta des yeux l’étrange individu, et décrocha le combiné tout en gardant un œil sur le mystérieux personnage.
-Irina Korlokov ?
-Oui ?
-Ecoutez-moi attentivement, et faites comme si rien de grave n’arrivait.
-Mais qu’est-ce que… ?
-Ne faites aucun geste brusque, asseyez-vous à votre bureau et écoutez-moi calmement.
Irina prit peur, regarda autour d’elle et s’assit, en se demandant qui était cette mystérieuse femme qui lui parlait.
-Mais qui êtes-vous ?
-Appelez-moi Diana.
-Dia…
-Chut ! Est-ce que quelqu’un est connecté au serveur de l’Agence sur l’un de vos ordinateurs ?
-Oui, pourquoi ?
-Regardez sa nuque. Discrètement.
Irina jeta un coup d’œil rapide à la nuque de l’homme.
-Il y a un truc… on dirait un taouage.
-Nom de Dieu… ne bougez surtout pas, et empêchez-le de s’enfuir.
-Mais enfin, qu’est-ce qui se passe ?
-S’il tente de partir, faites-le patienter ! Ne le laissez surtout pas sortir de l’immeuble, cet homme est dangereux !
Pendant qu’Irina parlait au téléphone, elle ne voyait pas que l’homme, même avec un chapeau russe traditionnel sur la tête, transpirait abondamment. 47 avait bien sûr compris que l’appel ne venait pas de la part d’un client, et devait faire très vite. D’après les fichiers de l’Agence, les photos de Gregorovitch étaient bel et bien différentes de celles que Code 47 avait reçues, l’Agence n’y était pour rien, mais quelqu’un d’autre avait pourtant comploté contre lui. Quand à la différence d’heure entre le rendez-vous censé commencer à 21 heures, cela restait un mystère, étant donné que même dans le serveur ceci était annoncé. Un pirate informatique aurait eu accès aux données du serveur ? Très peu probable, l’Agence employait le même système de codage informatique que le Pentagone. Hitman était désormais sûr que l’Agence n’y était pour rien, et sa seule piste était désormais épuisée. Il se leva, prit le chemin de la porte, mais la secrétaire qui était au téléphone raccrocha soudain et se posa devant lui. Elle avait une tête de moins, et il paraissait vraiment effrayant vu d’en bas.
-Heu… commença-t-elle, je crains de devoir vous faire patienter ici.
-Pour quelle raison ? demanda-t-il d’un ton plus que sec.
-Eh bien je…
-Laissez-moi passer avant que…
-Est-ce que ça vous dirait de passer la soirée avec moi ?
C’était le premier truc qu’elle avait trouvé, et elle n’en était pas fière. Cela aurait marché avec n’importe qui. Hitman n’était pas n’importe qui. Il la bouscula et mit la main sur la poignée. Quand il ouvrit la porte, ce fut pour la refermer aussitôt, le bois explosant sous les rafales de MP5 des gardes qui montaient les escaliers quatre à quatre. Il était pris au piège. Il sortit rapidement son revolver, Irina cria ; Code 47 lui prit le bras et lui mit le revolver sous la gorge quand les trois gardes entrèrent.
-Non… Irina ! s’écria l’un d’eux.
-Un seul mouvement et sa tête va voler tellement de temps sur orbite que Youri Gargarine s’en retournera dans sa tombe, hurla 47. C’est clair ?
Les trois soldats hochèrent calmement la tête, tout en gardant leurs armes levées.
-Alors si l’un de vous veut « passer la soirée avec elle » un de ces jours, vous allez laisser vos joujoux sur le sol, et immédiatement !
Les gardes s’abaissèrent aux ordres de 47, et celui-ci observa les alentours. Il s’approcha d’une fenêtre, tout en continuant à menacer Irina qui se mit à pleurer silencieusement, sa lèvre inférieure tremblant au rythme de leurs pas. Le tueur ouvrit calmement la fenêtre de la main où il tenait son pistolet, tout en serrant le coup de la secrétaire, puis il la lâcha et la poussa vers les gardes. Elle s’affala sur le sol en pleurs, l’un des hommes courut lui remonter le moral, les autres récupérèrent précipitamment leurs armes et tirèrent sur la fenêtre qui vola bruyamment en éclats. 47 était déjà dans la rue, s’enfuyant le plus loin possible de Moscou et de l’Agence, de cette impasse et de cette sensation horrible d’avoir été manipulé. Sa vie de tueur était à laisser entre parenthèses le temps qu’il trouve une solution au problème Stepanov. Une fois de plus, il était seul contre tous.

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