mardi 20 novembre 2007

Chapitre IX: Asphalte

Le conducteur du petit break bleu dut freiner d’urgence pour ne pas emboutir la limousine qui roulait à vive allure dans les rues d’Edimbourg, provoquant malgré lui un très dense carambolage lorsque le véhicule qui venait de par-derrière le percuta de plein fouet. Ce n’était pas le souci de 47 en ce moment-là. Il avait déjà perdu du temps en allant chercher la limousine… si Petersen lui échappait, cela ferait deux contrats à la suite de ratés, une première dans sa vie. Mais cela n’arriverait pas. En premier lieu parce que le tueur n’abandonnait jamais, en deuxième lieu parce qu’il vit la berline qui avait failli le percuter à la sortie du parking du Macdonald Roxburghe Hotel rouler devant lui. Petersen avait beau être à Scotland Yard, il ne conduisait pas autant bien que l’assassin silencieux… tant pis pour lui.
-Bon Dieu mais qu’est-ce qui se passe ? finit par demander le chauffeur du véhicule, crispé dans son siège.
-Je fais mon boulot, répliqua Hitman d’un calme étonnant.
-Mais on roule à contresens !
-C’est plus rapide…
Le chauffeur émit un petit cri et ferma les yeux alors qu’une voiture venant en sens inverse faillit les percuter. Code 47 conduisait habilement entre chaque véhicule, frôlant parfois les camions, et rayant la peinture de temps à autres. Le chauffeur finit par se mettre en boule lorsque, quand la limousine croisa de trop près un 4x4, le rétroviseur gauche fut mis en pièces, laissant juste pointer quelques fils électriques gondolant au vent. Une nuée d’étincelles voleta sur la route avec des débris de verre, mais 47 continuait à rouler à vive allure entre tous les véhicules qui klaxonnaient à tout va. Petersen était bien plus proche que ce qu’il pensait. Il avait encore quelques balles dans son pistolet, et il n’hésiterait pas à s’en servir. Malheureusement, la cible du tueur n’allait pas se laisser faire autant facilement, et prit une rue à gauche, que Hitman ne pouvait atteindre. Un petit muret séparait les deux voies, mais ceci ne l’arrêterait pas. Il freina et vira vers la gauche, passant de justesse devant une petite voiture, qui, freinant et tournant en même temps, fit plusieurs tonneaux sur la chaussée dans un déluge de métal. 47 l’ignora, appuya sur l’accélérateur et passa au travers du muret, détruisant ainsi totalement le pare-choc. Des bouts de bétons tombèrent sur l’asphalte en masse, la limousine quitta le sol un instant avant de retomber lourdement, laissant derrière elle un muret en ruine et de nombreux débris en travers de la route. Le chauffeur se remit à geindre alors que Code 47 empruntait la même rue que Petersen, devant au passage couper la route à quatre voiture, ce qui provoqua à nouveau un bruyant embouteillage.
-Bon Dieu, vous allez nous faire tuer ! cria-t-il.
-Si vous ne vous taisez pas, oui ! aboya l’assassin silencieux, désireux de garder sa concentration durant la poursuite.
-Mais on va se retrouver dans une carcasse fumante si vous continuez !
Hitman grogna, résistant à l’envie d’ouvrir la portière et de jeter l’homme sur la route. C’était son premier contrat pour Beldingford, et il n’avait pas su rester discret. Son employeur aurait dû l’avertir pour Lenny James, il n’avait pas l’air de mesurer l’importance de ce genre de détails. 47 se concentra sur la chaussée, sortant de son esprit les problèmes de bureau qu’il réglerait avec son employeur plus tard. Il mit la dernière vitesse et progressa rapidement entre les voitures, frôlant à nouveau toutes sortes de véhicules, mais la berline de Petersen toujours bien en vue. Le chauffeur s’était quant à lui réfugié sur la banquette arrière, où il servait un whisky pur malt, tentant de ne pas renverser son verre alors que Hitman virait de bord dans une ruelle étroite, juste assez étroite pour la voiture en fait. Il n’hésita pas un instant, sortit son pistolet, tout en tenant le volant d’une main, et tira deux balles à travers la vitre, mais ne put atteindre sa cible, et il avait désormais la vue bouchée par les impacts de 9mm à travers le pare-brise. Il prit le pistolet par le canon et commença à taper sur la vitre qui se fissurait de plus en plus. La ruelle prendrait bientôt fin et il risquait de se trouver dans la circulation avec une un pare-brise qui l’aveuglait. Cela prendrait trop de temps… il n’avait pas ce temps. Impatient, il tira deux autres balles à des endroits stratégiques de la vitre, qui se brisa en mille morceaux sur le capot et à l’intérieur de la voiture. Le chauffeur avait déjà fini son whisky, et s’en servait un autre en faisant trembler la bouteille, apeuré. Petersen partait vers un lieu inconnu, mais il devait à coup sûr avoir un sens pour lui, et Hitman ne devait pas le laisser faire. Il coupa à travers les voitures, prenant le risque de se faire percuter par un semi-remorque, puis tourna rapidement le volant pour couper la route à l’agent de Scotland Yard. Mais il n’était pas du genre à se laisser faire et, vitre ouverte, laissa entrevoir une arme dans le creux de sa main. Hitman, instinctivement, se baissa, alors que les balles percutaient la carrosserie et que la limousine faisait un tour complet au milieu de la circulation, ce qui profita à Petersen qui réussit à la semer. Le chauffeur, désormais affalé sur la banquette arrière, la bouteille de whisky entre les doigts et des débris de verres causés par les tirs de Petersen sur le corps, était en train de chanter, ne remarquant pas qu’il venait de faire dans son pantalon. 47, plus que jamais énervé, redressa la tête et mis le pied sur l’accélérateur, créant ainsi un épais nuage de fumée blanche derrière lui. Il ne fallait pas non plus crever un pneu, ou tout était foutu. Il fallait agir, et maintenant ! Son ennemi avait pris de l’avance, et se dirigeait, 47 le savait maintenant, vers le QG de Scotland Yard, tout simplement. Cela le renfrogna encore plus, et il dut se forcer à garder son calme au milieu de la circulation. Petersen était en train de le semer, de s’enfuir, de le faire échouer, de le tuer à petit feu. Mais, dans la précipitation, il fit une erreur, une erreur qui permit à Code 47 d’agir avec rapidité et fermeté. Sa cible était en train de dépasser un semi-remorque comparable à celui qui avait failli réduire la limousine en miettes une minute auparavant. N’hésitant pas un instant, Hitman vira de bord dans une prouesse de conduite évidente, empoigna son pistolet, visa le pneu du véhicule et tira trois coups. Deux atteignirent leur cible et le caoutchouc se mit à gondoler, puis, perdant le contrôle de son véhicule, l’engin glissa à droite et à gauche, coupant le chemin à Petersen, puis tomba sur le côté. Malheureusement pour le tueur, il n’avait pas écrasé l’agent de Scotland Yard, mais cela ne faisait rien. Alors qu’il reculait pour trouver une autre sortie, Hitman avait appuyé sur l’accélérateur, et, une fois à sa hauteur, avait levé son arme. Les deux hommes se croisèrent un ultime instant à travers la fenêtre de la voiture, Petersen, l’air ébahi et apeuré, Hitman, froid et implacable. Le coup traversa les deux vitres des fenêtres et finit sa course entre les deux yeux de Petersen, qui s’écroula sur le siège passager. Son sang décora l’intérieur du véhicule, et alors que des sirènes de police se rapprochaient de son corps, 47 était déjà bien loin, se frayant autant rapidement que possible un chemin à travers la rude circulation écossaise.

-Nom de Dieu, vous avez fait des milliers de livres de casse !!! cria Beldingford.
Code 47 et lui étaient dans son bureau, en plein cœur de Londres, avec vue sur la Tamise et une table en ébène identique à celle du bateau. Sur les murs trônaient des portraits de personnes dont 47 n’avait jamais entendu parler. L'endroit était juste éclairé par une petite lampe décorée avec finesse sur le bureau de Beldingford, et au fond de la pièce régnait un canapé, que l’assassin silencieux avant vaguement regardé, préférant rester debout.
-Vous auriez dû m’avertir à propos de Lenny James, lui répondit Hitman, tout à fait calme. Il me traque depuis plus d’une année, c’était risqué de faire le moindre geste avec ce type sur mes talons.
Beldingford resta pensif.
-Lenny James… le molosse hein ? fit-il en dévisageant Hitman.
-Mais Petersen est bien mort… j’aurais également préféré lui coller une balle dans un couloir peu éclairé de l’hôtel, mais il est mort.
-C’est l’essentiel, fit Beldingford en dévisageant un de ses tableaux. Quoiqu’il en soit, continua-t-il en reportant son attention sur son homme de main, l’argent vous revient de droit, il est sur un compte aux Bahamas dont le numéro et le mot de passe sont ici, dit-il en tapotant du bout du doigt une enveloppe posée sur son bureau. Nous vous laissons le soin de changer celui-ci.
Hitman s’approcha calmement, prit l’enveloppe entre ses doigts et l’ouvrit légèrement, vérifiant que les informations y étaient bien, puis fourra le tout dans son Armani.
-Bien ! fit Beldingford d’un air théâtral. Maintenant que nous sommes débarrassés de Petersen, j’ai un autre contrat à vous proposer ! En fait, pour tout vous dire, ce n’est pas un ennemi personnel, mais celui d’un collège avec lequel j’entretiens de bonnes relations… il travaille à la CIA.
Hitman garda son calme, il avait rarement eu affaire à la CIA.
-Il me donne des informations dont dispose l’Agence (dans le sens la CIA, ndlr), mais dernièrement, il a quelques ennuis. Un agent spécial a des doutes sur lui après l’avoir vu taper au clavier d’un ordinateur auquel il n’aurait jamais dû avoir accès. Il n’en a parlé à personne, ou du moins, l’information ne s’est pas répandue, mais il vaut mieux éradiquer le problème à la racine.
Il sortit une autre enveloppe de son bureau, et la tendit à 47 qui l’ouvrit avec calme, cherchant des photos de l’agent.
-Il se nomme Gregory Neill, et travaille depuis de nombreuses années dans un département qui s’occupe des dépenses du gouvernement. On le sait corrompu et dangereux, il s’est mystérieusement fait trois millions de dollars après Tempête du Désert…
Hitman sortit les photos. C’était une homme d’une cinquantaine d’années, de léger cheveux gris, un double menton et habillé avec style. Contrairement à Petersen, il n’avait pas vu le photographe prendre le cliché. Un bureaucrate corrompu.
-Le lieu ? fit Hitman en continuant à fouiller dans l’enveloppe, mais il le sut rapidement en trouvant un billet coincé entre deux feuilles de notes.
-Le vol Paris-Washington, dans deux jours.
47 resta sceptique. Un meurtre dans un avion était risqué. Il observa les notes ; première classe, entouré de deux gardes du corps. Fronçant les sourcils, il sortit le Sig Sauer P220 à silencieux de son holster et le posa sur le bureau en ébène.
-Je crois que ceci me sera inutile dans un avion, surtout avec les détecteurs de métaux… vous voulez une mort discrète je suppose.
-Bien sûr, lui répondit Beldingford. Très discrète même, de préférence.
Hitman leva les yeux vers son employeur.
-Il me faudrait du matériel, si vous en disposez.
-De quoi avez-vous besoin ? demanda Beldingford en haussant un sourcil.
Celui-ci crut déceler un infime sourire sadique sur le visage du tueur.
-De cyanure.

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