dimanche 18 novembre 2007

Chapitre I: Ivan Gregorovitch

Moscou, 15 Mai 2008

L’avion survolait l’Atlantique, il était presque vide. Un pilote et un copilote aux commandes, pas d’autres passagers à l’instar de Code 47. Il était sur la banquette, en train de se reposer. Il avait suivi Crooney dans Detroit toute la journée, il n’avait pas dormi depuis 36 heures. Quand le copilote entra, Hitman se redressa aussitôt, en pleine forme après trois heures de sommeil seulement. Il se redressa sur la banquette et le copilote mit une cassette sur la table, sans aucune étiquette, puis retourna dans le cockpit. 47 se leva, pris doucement la cassette et la mit dans le lecteur VHS qui se trouvait sur une table, en dessous d’un écran vide. Il s’illumina presque aussitôt sur une photo de la cible, suivie par la voix de Diana.
-Bonjour, Code 47.
Hitman ne réagit pas, et attendit la suite.
-Votre cible se nomme Ivan Gregorovitch, né le 7 Août 1964 à Vladivostok. Il a travaillé dans les chemins de fer en URSS jusqu’à l’effondrement du bloc communiste. En 1991, à 27 ans, il quitte sa ville natale et part à Moscou, et repère toutes les sociétés qui ont fait faillite. Il les rachète pour une bouchée de pain, et prend tout ce qui lui passe sous la main : boulangeries, usines, entreprises, etc… En quelques années, il a réussi grâce à ses talents commerciaux à les ressusciter, et dispose aujourd’hui d’une fortune estimée à huit milliards de dollars, alors autant dire que les deux millions qu’on nous propose sont presque obsolètes, mais vous vous en contenterez.
Code 47 poussa un petit grognement, il n’aimait pas qu’on profite sur son dos.
-Le commanditaire qui veut son extinction est une des sociétés qu’il a rachetée en 1993, et dont je ne dirai pas le nom. Les informations sont dans le dossier qui vous a été remis, avec des photos. Il est de corpulence moyenne, de taille moyenne, bref, il se fond dans le décor. Il est marié, aucun enfant. Certains prétendent qu’il est stérile, mais nous pensons plutôt qu’il ne veut pas de descendance, il trouve ça dangereux. Jules César en a fait l’expérience.
L’écran changea de photo pour passer à celle d’un grand bâtiment.
-Voici le Sheraton Palace, annonça la voix de Diana. L’un des plus prestigieux hôtels de Moscou. Gregorovitch doit y aller demain, à 20 heures, pour une réunion avec un chef de la mafia du coin, Stepanov, que vous ne devez pas éliminer inutilement, autrement dit : n’y touchez pas. Attention, les mafieux de Stepanov montent la garde en civil, faites donc extrêmement attention. Nous ne vous fournirons pas de fusil W2000 pour cette mission, étant donné que vous devrez tuer Gregorovitch le plus discrètement possible. Evitez de le descendre au .45, et même de l’étrangler. Tentez d’utiliser du poison, Gregorovitch n’est pas cardiaque, et est en pleine forme, vous ne pourrez donc pas profiter de ses points faibles. Nous vous déposerons au pied de l’hôtel en camionnette. La cible se trouve dans la suite royale, sous haute surveillance, soyez donc prudents. Un de nos agents attendra sur le marché du Kremlin, et vendra des épices du moyen-orient. Il aura en sa possession l’argent, ensuite envolez-vous où bon vous semble, nous saurons vous retrouver.
La cassette s’arrêta, et l’écran, qui diffusait des photos de la suite royale et de Stepanov, s’éteignit brutalement. Le copilote revint quelques secondes plus tard et reprit la cassette avec lui, alors que Code 47 mémorisait le visage de la cible. Cheveux coupés courts, la barbe finement taillée, une carrure massive, habillé avec goût. Il faudrait trouver un astucieux moyen pour en venir à bout, mais il saurait le trouver… comme toujours.

La camionnette roulait vivement dans Moscou, vers le Sheraton Palace. Gregorovitch devait repartir le lendemain, et resterait sûrement avec Stepanov durant de longues heures. Il était 15 heures, Stepanov devait le rejoindre à 20 heures, Hitman avait donc cinq heures pour venir à bout de son contrat. Il pouvait également venir la nuit, et l’étouffer avec un coussin, mais sa chambre serait sûrement surveillée. D’ailleurs les prostituées sont nombreuses à Moscou, et 47 n’était pas sûr qu’il passerait la nuit seul. La camionnette vira soudain à droite et Hitman dû s’accrocher au banc pour ne pas tomber. Il prit son Silverballer qui était sur le sol, puis remplit le chargeur avec du .45 ACP, et fit de même avec quatre autres chargeurs qu’il garda à proximité de son holster. Il prit également le silencieux et le vissa calmement au bout de l’arme, alors qu’il se rapprochait du Sheraton, et tira la culasse en arrière, puis mit la sécurité et le rangea. Il avait également une corde à piano et deux seringues d’anesthésiant, et tous ses petits joujoux : jumelles, crochet à serrures et lunettes de vision nocturne. Il ferma les yeux et respira calmement. Il connaissait les hôtels, savait comment s’y prendre. Il pouvait entrer dans la suite royale depuis une autre chambre, et passer par le balcon. Il faudrait alors crocheter la serrure, ou alors éliminer, non mortellement de préférence, le maître d’hôtel qui portait la clé passe-partout. Il n’aurait pas besoin de risquer sa couverture en demandant le numéro de la chambre à l’employé de l’accueil, il savait où dormait sa cible. Alors qu’il était en train de méditer à la meilleure manière de finir ce contrat assez risqué, la camionnette se mit à ralentir et le chauffeur, russe cette fois-ci, lui ordonna de sortir avec un fort accent slave. Hitman descendit de la camionnette, il était face à l’hôtel, de l’autre côté de la rue. Il se mêla à la foule et attendit de pouvoir traverser près d’un passage piéton. D’après le dossier, il n’y avait pas de détecteurs de métaux dans l’hôtel, mais on le fouillerait peut-être. Même s’il était plus prudent de laisser son arme dans une cachette, il ne pourrait pas le faire ici. Il traversa calmement et entra dans l’hôtel, puis se présenta à l’accueil comme John Pikes, riche américain visitant le pays. Il paya cash et demanda une chambre avec vue, et se retrouva au dernier étage, celui de la suite royale où Gregorovitch devait être actuellement. Il mit son pistolet discrètement dans un tiroir d’une étagère déserte, et sortit sur le balcon. Depuis le printemps, la Russie était un pays très froid. Il jeta un coup d’œil innocent vers la suite royale. Il y avait deux gardes du corps sur le balcon, l’un sur une chaise, l’autre adossé à la barrière. Hitman détourna les yeux. Ils avaient des lunettes à soleil noires et à coup sûr des armes à feu. Il ne pourrait pas passer par là et était sûr que l’entrée de la chambre était encore mieux gardée. Il regarda en dessous, dans le vide. Il y vit la rue, la route, des voitures. S’il trouvait le moyen de jeter Gregorovitch d’ici, il faudrait qu’il soit très discret, ses cris durant sa dernière chute alerteraient autant les passants que les mafieux qui devaient tourner devant sa porte comme des chiens. Il pourrait peut-être se servir de quelqu’un d’autre, par exemple empoisonner son dîner grâce à un cuisinier distrait. Il était quasiment certain qu’il se ferait livrer dans sa chambre. Mais comment trouver quel repas était le sien, et comment savoir s’il n’avait pas un goûteur ? Il y avait tant de manières de tuer un homme, mais si peu réalisables. Lorsqu'on tue pour l'argent, il n'y a plus de règles. Il pourrait très bien l’abattre au Silverballers et se contenter des cinquante mille, mais ce n’était pas dans ses habitudes. Pourrait-il se faire passer pour Stepanov ? Il ne savait pas à quoi il ressemblait, et même si c’était le cas, il devait prendre le risque que ce soit son premier entretien avec Gregorovitch, sinon il serait démasqué et eux ne se priveraient pas d’ouvrir le feu. Code 47 retourna dans la chambre et se coucha sur le canapé, les mains derrière la tête. Il était trop bien gardé, mais il en avait vu de bien pires. La question était maintenant de savoir comment faire sortir les gardes sans la cible. Une alarme incendie les ferait tous sortir en même temps, et faire diversion d’une autre manière était trop risqué. Il lui restait encore cinq heures, et il décida d’aller faire un tour dans l’hôtel. Il partit au rez-de-chaussée, et observa trois mafieux à l’entrée de l’hôtel. Il repartit vers le restaurant, où il en trouva sept. Sept ? Pourquoi en mettre plus du double à un endroit inutile ? Il devait forcément se passer quelque chose. 47 se mit à une table et attendit. Il observa les alentours, quand une ombre s’approcha perfidement de lui. Par réflexe, il mit la main sur le couteau se trouvant sur la table. Il s’apprêtait à attaquer l’homme quand celui-ci lui demanda :
-Qu’est-ce que je vous sert monsieur ?
Hitman se calma, ce n’était qu’un serveur. Il arrêta son geste et enleva sa main du couvert en argent. Mieux valait rester discret.
-Un café, noir, et surtout très serré.
-Bien, je vous l’apporte tout de suite.
47 se calma. Il sentait mal cette mission, et ce genre de pressentiment était bien mauvais. Il avait déjà été obligé de finir certaines missions en bains de sang, tuant parfois des innocents. Il observa à nouveau les mafieux. Deux près de l’entrée, trois au fenêtres, un au fond de la salle et un au bar. Ils couvraient toute la surface, aucun échappatoire. Apparemment les informations de Diana étaient erronées. Soit ces gardes avaient cinq heures d’avance, soit l’espion qui avait récolté les infos avait été berné. 47 resta à sa place, et prit le journal qui traînait sur une table voisine, et s’y enfonça tout en observant la salle. Le serveur ammena son café, dont l’odeur subtile lui remonta aux narines. Il était noir, et reflétait son visage, d’une dureté extrême. Code 47 lâcha le journal et but une gorgée, le liquide s’engouffra dans sa gorge, lui réchauffa quelque peu son âme. Soudain il vit Gregorovitch entrer, et faillit recracher le café à travers la salle. Il toussota poliment et reposa la tasse, puis reprit son journal. Il était assez loin de lui, de l’autre côté du bar. Après lui vint un autre homme, les cheveux jusqu’aux épaules, des lunettes à soleil sur les yeux, avec une faible carrure, ce devait être Stepanov. Ils s’installèrent à une table, et le mafieux qui faisait la garde au fond prit place une table à côté. Hitman s’appliqua à faire semblant de lire son journal, l’un des gardes mafieux avait sûrement observé tous les clients du restaurant. Il y avait un homme moustachu dans un coin, un couple dans l’autre et un vieil homme qui buvait sa quatrième bouteille de vin. Stepanov et Gregorovitch se serrèrent la main et commencèrent à parler. Ils le faisaient à voix basse, mais tout en gardant un air naturel, ce n’était sûrement pas la première fois que Gregorovitch traitait avec la mafia. Hitman but calmement son café, tranquillement, longuement. Au bout d’une demi-heure il l’avait fini, et feuilletait encore son journal. Sa cible continuait à discuter, et mangeait le repas qu’elle avait commandé avec délicatesse. Dix minutes plus tard, 47 replia son journal et sortit de la salle, se dirigeant vers les toilettes. Il entra dans une cabine et réfléchit. S’il attirait Gregorovitch ici, il pourrait l’endormir et le tuer ailleurs, mais Stepanov devait sûrement l’attendre, c’était donc risqué. Il pouvait également trafiquer les lampes pour faire passer un courant électrique dans l’eau, mais cela ne serait pas suffisant pour le tuer. Et il n’avait pas de vomitif sur lui… Il fronça les sourcils, si les informations sur le rendez-vous étaient erronées, Stepanov et Gregorovitch pouvaient repartir à tout moment. Il était dans l’impasse et le temps était compté. Il décida de retourner dans sa chambre, prit son Silverballer et l’installa dans son holster, puis retourna sur le balcon. Les gardes avaient disparu, et les balcons étaient très peu espacés. Il sauta rapidement sur le balcon adjacent et jeta un coup d’œil vers la chambre, il n’y avait personne. Il fit de même avec les deux autres balcons avant d’atteindre celui de la suite royale. La porte du balcon était décorée de bois blanc avec de larges rideaux sur les côtés. Hitman s’accroupit, et entrouvrit le voile d’une main, observant l’intérieur de la suite. Il y avait quatre gardes, trois sur un large sofa qui regardaient la télévision, et un autre en train de boire ce qui semblait être de la vodka dans la cuisine. Immédiatement Code 47 eut un déclic, et ré-enjamba rapidement le balcon, puis tous les autres afin de revenir dans sa chambre. Il se rua dans la salle de bain et ouvrit la pharmacie. Il n’y avait pas de poison, mais assez de médicaments pour calmer un éléphant. Il prit les plus puissants, puis sortit sa seringue et la vida d’un tiers dans le lavabo. Il tira sur l’appui de la seringue jusqu’à le faire sortir, et y mit quatre cachets du plus puissant somnifère qui furent dissolus dans l’anesthésiant, puis y mélangea divers autres médicaments, jusqu’à y verser une lampée d’eau de javel trouvée dans la cuisine. Il fallait maintenant trouver le moyen de le faire avaler à Gregorovitch, et quel meilleur effet pour des médicaments qu’une bonne bouteille de vin ? Quinze minutes après s’être absenté du restaurant, Hitman était de retour au rez-de-chaussée et observa les deux hommes qui continuaient de manger. Les cuisines étaient situées à côté. Il regarda dans le couloir que personne ne le regardait, et entra dans la porte où était noté en russe : « Cuisines – Accès interdit ». Il était à présent entouré de fumets de toutes sortes. La cuisine était composée de trois rangées de tables de travails où étaient présents lavabos, fours et autres réfrigérateurs. Il y avait deux cuisiniers dans son champ de vision. Un qui lui tournait le dos et un autre posté de côté, mais à l’opposé de la pièce. 47 s’approcha furtivement du jeune cuistot qui lui tournait le dos, mit sa main gantelée sur sa bouche et lui enfonça la seringue non empoisonnée dans la nuque. Sa victime eut à peine le temps de lever les bras du poisson qu’il coupait que ses mains retombèrent inertes. Il cria, mais le son fut assourdi par la main de l’assassin silencieux. L’autre cuisinier n’avait rien remarqué, et quand il se retourna trente secondes plus tard pour demander à son collège où il avait mis la moutarde, celui-ci avait disparu. Il fut mystérieusement remplacé par un autre homme, au teint pâle et au visage froid.
-Qui êtes-vous ? demanda-t-il.
-Je m’appelle Yevenev, je remplace mon ami qui a dû s’absenter pour une urgence.
-Ah bon ? Vous êtes nouveau ?
-Oui, depuis ce matin. On ne vous a rien dit ?
Tout marchait comme sur des roulettes.
-Non… et Boris, que lui est-il arrivé ?
-Il vient d’apprendre qu’on a percuté sa voiture qui était parquée.
-Dans le parking de l’hôtel ?
-Encore un chauffard qui vient de l’Ouest !
L’autre cuisinier était vieux, il avait vu la Guerre Froide, il fallait le mettre en confiance.
-Oui, dit-il en riant. Ils ne nous ont amené que des embouteillages et des fast-food ceux-là ! Bon, finissez de préparer la truite maintenant, le couple de la table 4 attend !
Hitman fit semblant de couper le poisson jusqu’à ce que le vieux cuisinier parte. Boris était dans une cabine des toilettes en caleçon, en sécurité. Il observa la pièce avant de trouver une piste excellente ! Un plateau qui était destiné à la table 9, autrement dit celle de Gregorovitch s’il ne se trompait pas. D’après ce qu’il avait remarqué, Stepanov ne buvait pas, il resterait donc en vie, comme Diana et l’Agence le souhaitaient. Hitman sortit la seringue empoisonnée de sa poche et pris la bouteille de vin qui se trouvait sur le plateau. Trouvant rapidement un tire-bouchon, il enleva celui-ci le plus discrètement possible, et jeta un coup d’œil dans la pièce pour observer que personne ne l’avait vu. Il vida ensuite lentement la seringue, reposa calmement la bouteille sur le plateau et se dirigea vers les toilettes. Il se déshabilla, remit son Armani et garda la seringue empoisonnée vide, laissant à Boris ses habits éparpillés sur son corps. Il partit ensuite dans le hall, relié directement au restaurant par une large ouverture. Il s’assit sur une chaise, prit un magazine et commença à le lire, jusqu’à ce qu’il voie le serveur apporter le plateau à la table neuf, et présenter la bouteille de vin aux deux hommes, ceux-ci étant cachés par le pan de mur. Quatre minutes plus tard, alors qu’il lisait un article sur les méfaits de l’alcool, il entendit quelqu’un étouffer et vit le mafieux du bar courir à l’autre bout de la salle. Hitman se leva, rangea le magazine avec le plus grand calme et partit en direction du marché du Kremlin.

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