mardi 20 novembre 2007

Chapitre IX: Asphalte

Le conducteur du petit break bleu dut freiner d’urgence pour ne pas emboutir la limousine qui roulait à vive allure dans les rues d’Edimbourg, provoquant malgré lui un très dense carambolage lorsque le véhicule qui venait de par-derrière le percuta de plein fouet. Ce n’était pas le souci de 47 en ce moment-là. Il avait déjà perdu du temps en allant chercher la limousine… si Petersen lui échappait, cela ferait deux contrats à la suite de ratés, une première dans sa vie. Mais cela n’arriverait pas. En premier lieu parce que le tueur n’abandonnait jamais, en deuxième lieu parce qu’il vit la berline qui avait failli le percuter à la sortie du parking du Macdonald Roxburghe Hotel rouler devant lui. Petersen avait beau être à Scotland Yard, il ne conduisait pas autant bien que l’assassin silencieux… tant pis pour lui.
-Bon Dieu mais qu’est-ce qui se passe ? finit par demander le chauffeur du véhicule, crispé dans son siège.
-Je fais mon boulot, répliqua Hitman d’un calme étonnant.
-Mais on roule à contresens !
-C’est plus rapide…
Le chauffeur émit un petit cri et ferma les yeux alors qu’une voiture venant en sens inverse faillit les percuter. Code 47 conduisait habilement entre chaque véhicule, frôlant parfois les camions, et rayant la peinture de temps à autres. Le chauffeur finit par se mettre en boule lorsque, quand la limousine croisa de trop près un 4x4, le rétroviseur gauche fut mis en pièces, laissant juste pointer quelques fils électriques gondolant au vent. Une nuée d’étincelles voleta sur la route avec des débris de verre, mais 47 continuait à rouler à vive allure entre tous les véhicules qui klaxonnaient à tout va. Petersen était bien plus proche que ce qu’il pensait. Il avait encore quelques balles dans son pistolet, et il n’hésiterait pas à s’en servir. Malheureusement, la cible du tueur n’allait pas se laisser faire autant facilement, et prit une rue à gauche, que Hitman ne pouvait atteindre. Un petit muret séparait les deux voies, mais ceci ne l’arrêterait pas. Il freina et vira vers la gauche, passant de justesse devant une petite voiture, qui, freinant et tournant en même temps, fit plusieurs tonneaux sur la chaussée dans un déluge de métal. 47 l’ignora, appuya sur l’accélérateur et passa au travers du muret, détruisant ainsi totalement le pare-choc. Des bouts de bétons tombèrent sur l’asphalte en masse, la limousine quitta le sol un instant avant de retomber lourdement, laissant derrière elle un muret en ruine et de nombreux débris en travers de la route. Le chauffeur se remit à geindre alors que Code 47 empruntait la même rue que Petersen, devant au passage couper la route à quatre voiture, ce qui provoqua à nouveau un bruyant embouteillage.
-Bon Dieu, vous allez nous faire tuer ! cria-t-il.
-Si vous ne vous taisez pas, oui ! aboya l’assassin silencieux, désireux de garder sa concentration durant la poursuite.
-Mais on va se retrouver dans une carcasse fumante si vous continuez !
Hitman grogna, résistant à l’envie d’ouvrir la portière et de jeter l’homme sur la route. C’était son premier contrat pour Beldingford, et il n’avait pas su rester discret. Son employeur aurait dû l’avertir pour Lenny James, il n’avait pas l’air de mesurer l’importance de ce genre de détails. 47 se concentra sur la chaussée, sortant de son esprit les problèmes de bureau qu’il réglerait avec son employeur plus tard. Il mit la dernière vitesse et progressa rapidement entre les voitures, frôlant à nouveau toutes sortes de véhicules, mais la berline de Petersen toujours bien en vue. Le chauffeur s’était quant à lui réfugié sur la banquette arrière, où il servait un whisky pur malt, tentant de ne pas renverser son verre alors que Hitman virait de bord dans une ruelle étroite, juste assez étroite pour la voiture en fait. Il n’hésita pas un instant, sortit son pistolet, tout en tenant le volant d’une main, et tira deux balles à travers la vitre, mais ne put atteindre sa cible, et il avait désormais la vue bouchée par les impacts de 9mm à travers le pare-brise. Il prit le pistolet par le canon et commença à taper sur la vitre qui se fissurait de plus en plus. La ruelle prendrait bientôt fin et il risquait de se trouver dans la circulation avec une un pare-brise qui l’aveuglait. Cela prendrait trop de temps… il n’avait pas ce temps. Impatient, il tira deux autres balles à des endroits stratégiques de la vitre, qui se brisa en mille morceaux sur le capot et à l’intérieur de la voiture. Le chauffeur avait déjà fini son whisky, et s’en servait un autre en faisant trembler la bouteille, apeuré. Petersen partait vers un lieu inconnu, mais il devait à coup sûr avoir un sens pour lui, et Hitman ne devait pas le laisser faire. Il coupa à travers les voitures, prenant le risque de se faire percuter par un semi-remorque, puis tourna rapidement le volant pour couper la route à l’agent de Scotland Yard. Mais il n’était pas du genre à se laisser faire et, vitre ouverte, laissa entrevoir une arme dans le creux de sa main. Hitman, instinctivement, se baissa, alors que les balles percutaient la carrosserie et que la limousine faisait un tour complet au milieu de la circulation, ce qui profita à Petersen qui réussit à la semer. Le chauffeur, désormais affalé sur la banquette arrière, la bouteille de whisky entre les doigts et des débris de verres causés par les tirs de Petersen sur le corps, était en train de chanter, ne remarquant pas qu’il venait de faire dans son pantalon. 47, plus que jamais énervé, redressa la tête et mis le pied sur l’accélérateur, créant ainsi un épais nuage de fumée blanche derrière lui. Il ne fallait pas non plus crever un pneu, ou tout était foutu. Il fallait agir, et maintenant ! Son ennemi avait pris de l’avance, et se dirigeait, 47 le savait maintenant, vers le QG de Scotland Yard, tout simplement. Cela le renfrogna encore plus, et il dut se forcer à garder son calme au milieu de la circulation. Petersen était en train de le semer, de s’enfuir, de le faire échouer, de le tuer à petit feu. Mais, dans la précipitation, il fit une erreur, une erreur qui permit à Code 47 d’agir avec rapidité et fermeté. Sa cible était en train de dépasser un semi-remorque comparable à celui qui avait failli réduire la limousine en miettes une minute auparavant. N’hésitant pas un instant, Hitman vira de bord dans une prouesse de conduite évidente, empoigna son pistolet, visa le pneu du véhicule et tira trois coups. Deux atteignirent leur cible et le caoutchouc se mit à gondoler, puis, perdant le contrôle de son véhicule, l’engin glissa à droite et à gauche, coupant le chemin à Petersen, puis tomba sur le côté. Malheureusement pour le tueur, il n’avait pas écrasé l’agent de Scotland Yard, mais cela ne faisait rien. Alors qu’il reculait pour trouver une autre sortie, Hitman avait appuyé sur l’accélérateur, et, une fois à sa hauteur, avait levé son arme. Les deux hommes se croisèrent un ultime instant à travers la fenêtre de la voiture, Petersen, l’air ébahi et apeuré, Hitman, froid et implacable. Le coup traversa les deux vitres des fenêtres et finit sa course entre les deux yeux de Petersen, qui s’écroula sur le siège passager. Son sang décora l’intérieur du véhicule, et alors que des sirènes de police se rapprochaient de son corps, 47 était déjà bien loin, se frayant autant rapidement que possible un chemin à travers la rude circulation écossaise.

-Nom de Dieu, vous avez fait des milliers de livres de casse !!! cria Beldingford.
Code 47 et lui étaient dans son bureau, en plein cœur de Londres, avec vue sur la Tamise et une table en ébène identique à celle du bateau. Sur les murs trônaient des portraits de personnes dont 47 n’avait jamais entendu parler. L'endroit était juste éclairé par une petite lampe décorée avec finesse sur le bureau de Beldingford, et au fond de la pièce régnait un canapé, que l’assassin silencieux avant vaguement regardé, préférant rester debout.
-Vous auriez dû m’avertir à propos de Lenny James, lui répondit Hitman, tout à fait calme. Il me traque depuis plus d’une année, c’était risqué de faire le moindre geste avec ce type sur mes talons.
Beldingford resta pensif.
-Lenny James… le molosse hein ? fit-il en dévisageant Hitman.
-Mais Petersen est bien mort… j’aurais également préféré lui coller une balle dans un couloir peu éclairé de l’hôtel, mais il est mort.
-C’est l’essentiel, fit Beldingford en dévisageant un de ses tableaux. Quoiqu’il en soit, continua-t-il en reportant son attention sur son homme de main, l’argent vous revient de droit, il est sur un compte aux Bahamas dont le numéro et le mot de passe sont ici, dit-il en tapotant du bout du doigt une enveloppe posée sur son bureau. Nous vous laissons le soin de changer celui-ci.
Hitman s’approcha calmement, prit l’enveloppe entre ses doigts et l’ouvrit légèrement, vérifiant que les informations y étaient bien, puis fourra le tout dans son Armani.
-Bien ! fit Beldingford d’un air théâtral. Maintenant que nous sommes débarrassés de Petersen, j’ai un autre contrat à vous proposer ! En fait, pour tout vous dire, ce n’est pas un ennemi personnel, mais celui d’un collège avec lequel j’entretiens de bonnes relations… il travaille à la CIA.
Hitman garda son calme, il avait rarement eu affaire à la CIA.
-Il me donne des informations dont dispose l’Agence (dans le sens la CIA, ndlr), mais dernièrement, il a quelques ennuis. Un agent spécial a des doutes sur lui après l’avoir vu taper au clavier d’un ordinateur auquel il n’aurait jamais dû avoir accès. Il n’en a parlé à personne, ou du moins, l’information ne s’est pas répandue, mais il vaut mieux éradiquer le problème à la racine.
Il sortit une autre enveloppe de son bureau, et la tendit à 47 qui l’ouvrit avec calme, cherchant des photos de l’agent.
-Il se nomme Gregory Neill, et travaille depuis de nombreuses années dans un département qui s’occupe des dépenses du gouvernement. On le sait corrompu et dangereux, il s’est mystérieusement fait trois millions de dollars après Tempête du Désert…
Hitman sortit les photos. C’était une homme d’une cinquantaine d’années, de léger cheveux gris, un double menton et habillé avec style. Contrairement à Petersen, il n’avait pas vu le photographe prendre le cliché. Un bureaucrate corrompu.
-Le lieu ? fit Hitman en continuant à fouiller dans l’enveloppe, mais il le sut rapidement en trouvant un billet coincé entre deux feuilles de notes.
-Le vol Paris-Washington, dans deux jours.
47 resta sceptique. Un meurtre dans un avion était risqué. Il observa les notes ; première classe, entouré de deux gardes du corps. Fronçant les sourcils, il sortit le Sig Sauer P220 à silencieux de son holster et le posa sur le bureau en ébène.
-Je crois que ceci me sera inutile dans un avion, surtout avec les détecteurs de métaux… vous voulez une mort discrète je suppose.
-Bien sûr, lui répondit Beldingford. Très discrète même, de préférence.
Hitman leva les yeux vers son employeur.
-Il me faudrait du matériel, si vous en disposez.
-De quoi avez-vous besoin ? demanda Beldingford en haussant un sourcil.
Celui-ci crut déceler un infime sourire sadique sur le visage du tueur.
-De cyanure.

Chapitre VIII: Cavale colombienne

Il était maintenant temps de passer à l’action. Lyndon Myster était en train de ranger ses affaires, et le flot de spectateurs se levait et partait vers la sortie de la pièce. Hitman se mit calmement debout, son attention toujours portée avec finesse sur Petersen, et son étrange garde du corps, Lenny James. Celui-ci avait l’air d’avoir totalement oublié Code 47, mais le tueur savait bien qu’il le soupçonnait toujours d’être dans le coin. Il avait fait la grandissime erreur de se faire repérer dans le hall de l’hôtel, il faudrait désormais en accepter les conséquences. Le pistolet à silencieux était toujours sous le costume Armani de l’assassin silencieux, qui glissa furtivement sa main à l’intérieur pour décrocher le bouton du holster et permettre ainsi de sortir l’arme à tout moment. Il suivit calmement les deux hommes le long de la rangée de sièges, puis dans le hall, et jusqu’au premier étage où, dans une petite pièce agréablement éclairée par de grandes fenêtres pourvues de rideaux en soie bordeaux, se tenait un petit apéritif. Pour ne pas paraître en reste, 47 prit dans sa main une flûte de champagne, sans pour autant le consommer, et partit observer les rues de la capitale écossaises à travers une fenêtre, guettant néanmoins sa cible dans le reflet de la vitre. Il parlait encore avec Lenny James, et il semblait ne pas vouloir s’arrêter. Hitman n’était pas un professionnel en la matière, mais il arrivait à comprendre quelque peu ses paroles en lisant sur ses lèvres. Ils parlaient d’un trafic, d’une cargaison, et d’une arrestation. Le whisky de Beldingford ? Possible, si c’était le cas, alors celui-ci avait bien fait de faire appel à ses services, bien que ce ne fût pas de la meilleure manière possible. Un homme s’approcha de lui, en se présentant comme un investisseur pétrolier. 47 était asocial à souhait, mais il dut se forcer à ne pas user de son regard de tueur et se présenta comme Bradley Kyle, promoteur immobilier. Durant cinq minutes, il l’écouta parler de la crise pétrolière en orient et ailleurs dans le monde, la bouche sèche, la mâchoire serrée, ses doigts crispés dans sa poche, résistants à l’envie de descendre cet individu qui l’ennuyait tant. Heureusement, après cinq minutes, Petersen sortit de la salle, bien que toujours suivi par Lenny James. Bradley Kyle s’excusa auprès de son interlocuteur et sortit de la pièce, versant à la première occasion le champagne dans une plante verte et mettant le verre vide sur un plateau de service qui traînait dans un couloir. Sa cible était au bout du couloir et tournait à un angle. Hitman s’approcha calmement et se plaqua contre le mur, tendant l’oreille. Petersen et le traqueur de l’assassin silencieux parlaient à voix basse. Soudain, les paroles s’arrêtèrent et 47 entendit des pas feutrés se rapprocher de lui, il était repéré. Il se tourna vers la première porte à disposition et abaissa la poignée : la porte resta fermée, évidemment. Il sortit rapidement son passe-partout, l’enfonça dans la serrure et la crocheta le plus rapidement possible, mais il tremblait fortement. Lenny James continuait de s’approcher silencieusement de l’angle du mur pour vérifier que 47 n’était pas là, et celui-ci faisait tourner rapidement ses outils dans la serrure, qui ne semblait pas vouloir céder. Les bruits de pas s’intensifièrent, plus rapidement et plus proches, tout comme ceux des bouts de métal glissant dans la poignée de la porte. Si 47 était repéré maintenant, il devrait faire feu sur James qui n’était pas sa cible, et d’un certain côté, même si cela pourrait l’aider, Interpol ne serait que plus féroce envers lui. D’un coup sec, alors qu’un crochet soutenait un bout de métal à l’intérieur de la serrure, un autre tourna rapidement le verrou pour lui permettre de s’ouvrir et, au moment où Lenny James tournait à l’angle du couloir, la porte de la chambre où s’était caché 47 se referma. Celui-ci s’appuya contre le bois de la porte et respira un grand coup, il faudra désormais se montrer prudent. Il entendit un homme chanter la Traviata alors que le bruit des douches résonnait dans la chambre d’hôtel. L’eau tombant avec force, dégoulinant sur un visage en furie, une arme pointée dans son dos.
-Alors c’est toi, le tueur de Fournier, fit Lenny James avec une voix neutre.
Il s’était mis à pleuvoir dans la forêt colombienne. James et Hitman étaient seuls sur le sol désormais dégoulinant et boueux. Les feuilles des arbres pliaient sous le poids des gouttes qui s’étaient soudain mises à tomber du ciel avec fracas. Le contrat Del Cosa était terminé, mais dans les détails tout pouvait désormais tourner du mauvais côté de la roue.
-On t’a engagé pour tuer Del Cosa ?
Hitman ne cilla même pas, laissant à James le seul plaisir d’observer son code barre sur sa nuque.
-Réponds !
Aucune parole ne sortit la bouche du tueur, toujours impassible.
-Qui est ton employeur ? Réponds !
Il poussa le bout du canon du fusil dans le dos de 47, et c’est ce qu’il attendait. D’un geste parfaitement préparé, Hitman tourna sur lui-même, poussant de son dos le côté du canon de l’arme, si bien que le temps que l’agent d’Interpol appuie sur la gâchette, les rafales mortelles n’eurent aucun effet. Exploitant cet instant de surprise, le tueur pris l’arme de ses deux mains, la tira en avant puis en arrière, la crosse du fusil percutant la mâchoire de Lenny James de plein fouet. Du sang coulant sur sa bouche, ses mains lâchèrent la mitraillette dans un grognement, Hitman s’en saisit et lui donna un deuxième coup de crosse qui le fit tomber à terre, les yeux mis clos. Ne perdant pas une seconde ni même pour observer que son adversaire était bien évanoui, le tueur se remit aussitôt en route, bien que les détonations qui avaient dû alerter l’armée et le Delta Force rendraient l’extraction très difficile. Toujours en courant à perdre haleine à travers la pluie et le brouillard, sautant par-dessus branches et troncs renversés, 47 sortit le chargeur de l’arme, le jeta dans une direction et fit de même avec le fusil de l’autre, puis ressortit ses Colts .45, fit tomber les chargeurs vides dans l’herbe dégoulinante et en sortit deux autres d’une poche externe qu’il enfonça rapidement dans les crosses, et les remit en place dans leurs holsters initiaux sous ses aisselles pour finir. Il continua de courir ainsi, épuisé, sous la pluie qui lui martelait le visage et le corps, son camouflage était mouillé de fond en comble et de la buée sortait désormais à chacun de ses souffles éphémères. Il n’était plus très loin, il pouvait même entendre les pales de l’hélicoptère d’ici, dans quelques minutes tout serait fini. C’est du moins ce qu’il pensait quand, en sortant de la forêt et débarquant dans la clairière, il vit que celle-ci était déjà occupée par huit jeeps de l’armée colombienne. Il se stoppa net, tous les soldats se tournant vers lui, intrigués d’abord, puis criant des ordres et mettant leurs fusils à l’épaule. Il n’était plus question de faire dans la finesse, désormais la seule issue était la mort, et la mort uniquement, brutale et vitale. Alors que le premier soldat avait pressé la détente de son arme, les deux Silverballers de Hitman étaient déjà entre ses mains. Alors que le deuxième soldat avait pressé la détente de son arme, il enlevait la sécurité. Alors que le troisième soldat avait pressé la détente de son arme, il sautait de côté tout en visant ses cibles. Le quatrième soldat n’eut pas le temps d’appuyer sur la détente de son arme et fut projeté en arrière, comme attiré par un câble invisible. 47 tomba dans l’herbe en continuant de faire feu, et se mit à rouler sur lui-même, déversant les balles sur les soldats colombiens qui s’écroulaient comme des masses, du sang volant autour d’eux et éclaboussant leurs vêtements. Il n’osa pas compter combien de victimes il avait déjà fait, éjecta les deux chargeurs de son arme qui tombèrent en fumant dans l’herbe froide, et en remit rapidement deux autres tout en se remettant debout. Il tourna rapidement sur lui-même, ses pistolets droits et prêts à tirer, quand le bruit du moteur de la jeep qui lui fonçait dessus l’obligea à sauter sur le côté au dernier moment. Sa main effleura la surface du pneu, il sentit le souffle provoqué par le passage du véhicule qui freina et fit un demi-tour, bien que difficilement sur le sol humide. Autour de lui, on continuait à tirer de toutes parts, il fallait rester mobile. 47, même à bout de souffle, pris ses jambes et courut vers la jeep. De sa main droite, il leva un de ses Silverballers et tira deux balles dans la tête du chauffeur, qui s’affaissa sur son siège, la vitre éclaboussée de son sang ; de sa main gauche, il glissa son arme sous son épaule et fit feu sur les ennemis qui se trouvaient dans son dos. Ca lui était égal qu’il n’en ait aucun, l’important était que lui ne soit pas touché. Sentant que la culasse de son pistolet était mise en arrière, ce qui traduisait le manque de munitions, il rangea rapidement ses armes dans ses holsters et ouvrit brutalement la porte de la jeep, laissant le corps du chauffeur tomber dans l’herbe humide de la clairière. Il prit rapidement sa place, espérant atteindre l’hélicoptère plus rapidement. Le pilote de celui-ci, ayant eu peur à cause des tirs ou ayant profité de l’agitation pour fuir, avait fait décoller l’appareil, qui se trouvait à quelques mètres au-dessus du sol et semblait déjà vouloir quitter la zone. Hitman écrasa le pied de l’accélérateur et tira trois coups de semonces, mais le pilote partait dans le sens opposé, c’était un trouillard, et Hitman se promit de lui en coller une en arrivant dans l’appareil, s’il y arriverait. Les pneus qui avaient failli le réduire en bouillie patinèrent dans le sol, puis la jeep démarra dans une secousse. 47 fit rapidement avancer les vitesses. Il se rapprochait de l’endroit où les derniers soldats continuaient de tirer, et baissa instinctivement la tête. Le pare-brise fut complètement explosé par les tirs des soldats colombiens, ce qui n’était pas pire étant donné que celui-ci était entièrement tâché de sang, réduisant la visibilité au degré zéro. Il dépassa rapidement les sept autres jeeps qui étaient parquées auparavant autour de l’hélicoptère, et vida le reste de son chargeur sur l’attroupement de soldats d’un œil vif, délaissant la route durant quelques instants. Deux tombèrent ; un seul continua de tirer. Avant que les autres n’aient ce réflexe, 47 était déjà reparti à la poursuite de l’hélicoptère qui s’était éloigné de la clairière. La pluie s’était arrêtée, mais la brume était encore présente… la brume, épaisse et oppressante.
-Mais… qu’est-ce que vous faites ici ?!
L’homme était assez gros, les cheveux gris, enveloppé dans une serviette de bain. Il regardait incrédule l’assassin silencieux encore appuyé le dos à sa porte, entouré de restes de vapeur.
-Hum… je fais partie du service Morphée.
-Le service Morphée ? Mais qui êtes-vous en plus ! C’est une blague ou qu…
Le portemanteau que 47 venait d’empoigner lui percuta violemment la tempe droite et il s’écroula aussitôt, les yeux fermés, au beau milieu du couloir. Hitman reposa calmement le portemanteau à son endroit initial.
-Fais de beaux rêves dans les bras de Morphée, répliqua le tueur comme s’il s’agissait d’une voix dans une publicité de seconde zone.
Il lui fallait maintenant trouver Petersen. Ses quelques instants d’inattention au cœur de la jungle colombienne lui avaient peut-être fait perdre la trace de sa cible. Il sortit furtivement dans le couloir, referma la porte avec précaution et se colla au coin de mur d’où Lenny James avait failli le repérer. Ils n’étaient plus là. De manière toute à fait naturelle, il avança dans le couloir, prêtant l’oreille à chaque bruit. Il devait y avoir au moins deux autres personnes qui prenaient leur douche, quatre personnes écoutant les infos, un couple en train de faire de voluptueuses galipettes, une homme qui ronflait fort et un autre qui faisait quasiment autant de bruit en mangeant. Petersen n’était pas dans le couloir, ou alors n’importe où dans l’une de ces chambres, du moins c’était peu probable. Si Lenny James le protégeait, il ne prendrait jamais le risque de le laisser ici. Ils devaient déjà être dehors, mais pas par la sortie principale, par une sortie secondaire. Aussitôt, il se mit à courir, suivant le plan qu’il avait mémorisé dans le hall de l’hôtel, à cet endroit précis. Il bouscula au passage un élégant homme d’affaire et un serveur qui laissa tomber son plateau, mais ne s’excusa pas et se rua sur la porte de sortie. Petersen, avec son costume quadrillé, était déjà en train de s’enfuir, et Lenny James avait dégainé un pistolet à silencieux en direction de l’assassin silencieux.
-Je savais que je retrouverais ta trace !
L’hélicoptère s’éloignait de plus en plus.
47 roulait désormais fébrilement sur une corniche en pierre mais à moitié boueuse. La forêt se trouvait, toujours aussi dense, en amont à sa gauche, et à sa droite, l’océan Pacifique, dont les vagues s’écrasaient avec fracas contre les rochers. Étrangement, l’hélicoptère n’était pas parti vers la mer, mais longeait la côte, ce qui prouvait à Hitman que le pilote avait toujours en tête de venir le chercher. Soudain, une balle explosa le pneu de secours de la jeep, et 47 ne fut pas surpris en voyant trois jeeps qui étaient à ses trousses, qui devaient être suivies par les quatre autres derrière. Mieux valait s’en débarrasser avant d’arriver à l’hélicoptère. Il enleva avec précaution une main du volant, sortit l’un de ses Silverballers et le jeta sur le siège passager, puis, toujours avec la même main, pris un chargeur dans une poche. Il fallait faire vite, car bien que les tirs qui provenaient des voitures derrière lui étaient peu précis, une balle qui perfore un pneu peut autant bien perforer un crâne. Rapidement, il enleva l’autre main du volant et le stabilisa avec ses genoux, fit tomber le chargeur vide, mit le chargeur dans la crosse du pistolet avec aisance et tira la culasse en arrière. Puis il remit sa main sur le volant alors que la voiture tanguait, tourna la tête vers l’arrière, après avoir bien vérifié que la corniche était dégagée et, la main bien tendue, tira deux coups vers une jeep. Le premier tir brisa le phare, le deuxième la tête du conducteur, par l’intermédiaire du pare-brise qui se fissura en une irrégulière toile d’araignée. Le visage du pauvre homme tomba sur le volant, inerte, et la voiture s’immobilisa au milieu du passage, forçant les autres véhicules à la contourner. En voilà déjà une de faite… mais la suivante se montrait bien plus coriace, et bien que le conducteur ne soit pas armé, ses prouesses au volant étaient indéniables. Prenant le véhicule de 47 depuis le côté forêt, il percuta la carrosserie de sa jeep. Celui-ci perdit momentanément le contrôle, mais remit sa voiture en position, quand un deuxième coup fit légèrement lever les roues du côté gauche et failli le faire basculer dans les eaux du Pacifique. La carrosserie de la voiture était désormais bosselée, et Hitman avait du mal à rester concentré en étant sans cesse secoué. Le troisième essai fut le bon… mais pas pour le soldat colombien. Alors qu’il s’apprêtait à nouveau à percuter la jeep du tueur, celui-ci freina brusquement, laissant de lourdes marques dans la pierre, puis remit les gaz, mais il était déjà trop tard pour son ennemi. Ne pouvant pas freiner à temps, la jeep avait fait un aller simple vers l’océan. Le pilote poussa un cri d’horreur, mais le véhicule, qui entraîna avec lui une nuée de poussière, le fit taire en s’écrasant contre un rocher avant de s’enfoncer lourdement dans l’onde déchaînée. Profitant, avec son freinage, d’être à la hauteur d’un autre véhicule, 47 dégaina à nouveau son Silverballer, mais tira cette fois-ci dans le réservoir d’essence. Ecrasant encore une fois la pédale des freins, il profita du même instant pour tirer l’ultime cartouche dans le réservoir. Deux jeeps le dépassèrent sans comprendre, jusqu’à ce qu’une boule de feu les ravage complètement. L’arrière du véhicule vola littéralement en éclats, projetant de toutes part des milliers de pièces de métal ardentes ; le conducteur et le passager furent tués sur le coup, et la jeep fit une embardée en avant, ses pneus ne touchant terre. Le pare-chocs avant percuta le sol de plein fouet, puis la voiture rebondit et fit de nombreux tonneaux, toujours embrasée, faisant voler la terre en tous sens, avant de (*)s’immobiliser sur le bord de la corniche, l’arrière du véhicule totalement consumé, une épaisse fumée noire commençant à monter au ciel qui s’était pourtant éclairci. Les deux autres jeeps qui avaient dépassé Hitman n’eurent pas plus de chance. L’une d’elle eut le pare-brise soufflé par l’explosion et le capot se releva sous la puissance de l’impulsion. Le conducteur, aveuglé par la forte lumière et le capot qui lui bouchait la vue, heurta de plein fouet un arbre à la lisière de la forêt. Le moteur fut complètement embouti et le pilote, qui n’avait pas mis sa ceinture de sécurité, s’écrasa contre le volant, peut-être de manière fatale. L’autre jeep, la plus proche, fut carrément soulevée de terre par l’explosion. Elle fit plusieurs tonneaux vers l’arrière que Hitman réussit à éviter de justesse, ce qui n’était pas le cas d’un autre véhicule qui le suivait et qui s’emboutit lourdement contre dans un terrible bruissement de tôle. Malheureusement, l’un des conducteurs semblait conduire tout autant bien que 47, et évita également le choc mortel. En jetant un coup d’œil, il le reconnut rapidement et comprit rapidement pourquoi il était aussi tenace, c’était Lenny James. Il décida d’en finir avec cet importun, et reprit son pistolet d’une main. James ne le voyait pas cet œil et percuta à son tour le côté de la jeep de l’assassin silencieux, et le pistolet tomba sur la corniche. L’hélicoptère était tout proche à présent, dans une autre clairière à moins de 200 mètres, qui l’attendait au ras du sol. Le tout était de survivre à Lenny « le molosse » James durant encore 200 mètres… Au deuxième coup, la jeep de 47 fut poussée si fort près du ravin que les pneus du côté droit firent tomber de petits rochers et du gravier dans les vagues qui s’écrasaient encore aux pieds de la corniche. Hitman reprit rapidement le contrôle, et écrasa la pédale d’accélération. Lenny James, qui pensait anticiper son mouvement, le même que celui dont il s’était servi pour envoyer la première jeep dans le vide, avait freiné quelques mètres avant, et fut pris au dépourvu. 47 avait déjà remis les gaz, et avait laissé son adversaire bien trop loin derrière lui. La jeep de Hitman avait déjà pénétré dans la clairière et le tueur avait, d’un élégant bond, sauté vers l’hélicoptère et s’était accroché à son pied. La voiture s’était arrêtée au milieu des hautes herbes, tout comme celle de James, qui cria avec hargne à l’adresse de 47 alors que celui-ci ouvrait la porte de son nouveau moyen de transport :
-Je retrouverai ta trace !
Hitman effectua une roulade juste assez rapidement pour éviter le premier tir de Lenny James qui perfora un carreau d’une vitre. Il était maintenant assez proche de James pour éjecter son pistolet de sa main d’un puissant coup de poing et le pousser violemment dehors de l’épaule. James s’écroula dans la ruelle, inerte, sa tête ayant frappé contre un mur. L’assassin le regarda un instant, pensant à s’en débarrasser une bonne fois pour toutes. Mais ce n’était pas sa cible, ce n’était pas sa mission, et il ne tenait pas à créer des problèmes supplémentaires, et tuer un ennemi potentiel dans son sommeil n’était pas dans ses habitudes, ce n’était pas une cible…
47 regarda rapidement dans toutes les directions. Petersen n’était plus là, il s’était enfui. Soudain, un détail fit déclic dans le cerveau du tueur. Non… c’était une ruse, la personne qui était sortie avant Lenny James n’était pas Petersen, celui-ci portait un costume avec des rayures alors que la personne qui était sortie avait un costume quadrillé. James avait dû le payer pour ce subterfuge… Il devait s’être rendu au parking de l’hôtel, c’était ce qu’il y avait de plus logique. Même si l’agent d’Interpol avait prévu autre chose, c’était pour l’instant la seule piste valable, et sûrement la plus juste. Il n’y avait pas un instant à perdre, et il se dirigea à toute vitesse en direction de la sortie du parking… mais à peine fut-il arrivé au devant que Petersen, au volant d’une berline noire, défonça violemment la barrière de sécurité blanche et rouge, ne perdant pas de temps à la faire lever en appuyant simplement sur la commande qui le permettait. A nouveau face à un véhicule en furie, Hitman dut effectuer au dernier moment une roulade pour éviter son agresseur. Il se retourna rapidement et tira trois coups dans la vitre arrière de la voiture, mais sans succès. Petersen partait vers le sud. 47 se mit à courir à perdre haleine dans la ruelle, puis courut vers le parking, non pas celui de l’hôtel, mais celui où son contact l’attendait. Il arriva essoufflé près de la voiture, ouvrit brutalement la portière et poussa le chauffeur sur la banquette passager.
-Alors, c’est fait ? demanda celui-ci.
-Presque… fit Hitman en embrayant la voiture.
-Comment ça presque ?
-Encore un petit détail à régler…Il fit rapidement marche arrière, puis s’incrusta dans la circulation à la recherche de Petersen.

Chapitre VII: Meurtre parfait

Hitman secoua la tête. Il sentait encore autour de lui cette odeur de mousse et de terre boueuse colombienne, les bruits de rafales qui l’entouraient de toutes parts lors de la fuite. Presque tous les gens étaient entrés dans la salle de réunion désormais, et il était toujours accroupi dans l’ombre. Il se leva, se mêla à la foule des derniers invités et trouva une place d’où il pouvait observer Petersen et James. Sur une estrade devant la foule se tenait un homme en complet marron, l’air sérieux et autoritaire. Un petit verre d’eau était disposé sur une table à côté de lui, ainsi que des dossiers et un ordinateur, dont les images étaient lancées sur le mur grâce à un projecteur adjacent. Les derniers arrivés se mirent en place, tandis que l’assassin silencieux observait avec attention Petersen qui parlait avec l’agent d’Interpol. Après deux minutes d’agitation, l’homme qui se tenait sur l’estrade prit la parole, les lumières de la salle s’éteignirent et l’auditoire reporta son attention vers les images de l’ordinateur projetées contre le mur et plus encore sur cet étrange individu.
-Bonjour, dit l’homme avec sobriété. Vous me connaissez peut-être, mon nom est Lyndon Myster, professeur de criminologie à l’université de St Andrews…
Hitman s’enfonça dans son siège avec lourdeur. Il avait plusieurs heures devant lui pour surveiller les faits et geste de Petersen : Myster semblait, rien qu’à voir les expressions de son visage, être un adepte du langage raffiné et surtout élaboré.
-Je vais vous parler d’une chose que la plupart des policiers et enquêteurs de police pensent impossible, un acte dont la polémique traite de plus en plus, et dont les moyens actuels le mettent de plus en plus comme une théorie dépassée : le meurtre parfait.
Il avait stoppé son discours juste avant de dire ces quelques mots, comme pour capturer le public dans son regard puissant et supérieur.
-En premier lieu, poursuivi-t-il, le meurtre parfait, si il existe bien, n’est pas à la portée de tout le monde. C’est avant tout un geste précis, tactique, sans faille, calculé de bout en bout et effectué par une personne au sang plus froid que la mer de Béring…
Quelques rires légers éclatèrent dans la salle, mais Myster resta de marbre, ce n’était pas son but. Code 47 l’écoutait attentivement, non pas pour voir s’il avait bien raison ou si ses paroles étaient similaires à son mode de travail, mais simplement pour la curiosité. Il observait son regard, qui était aussi impitoyable que celui d’un chasseur engagé sur une proie faible. Myster avait tout l’air d’un lâche, mais un lâche très, très intelligent. 47 jeta un coup d’œil sur Petersen et Lenny James qui écoutaient attentivement le conférencier.
-Tout dépend également du meurtre… un clochard abattu par un policier véreux dans sa ronde de nuit et jeté dans un fleuve pourrait est autant professionnel qu’un crime digne des plus grands roman de Agatha Christie ! Le mobile du crime… l’arme… le tueur lui-même, la victime… tous ces éléments se confondent entre eux, en apportent à de nouveaux qui eux-mêmes mèneront à de nouvelles preuves contre l’assassin. Un meurtre parfait est avant tout un meurtre où tout, absolument tout, est envisagé. Si l’arme est un pistolet, il faudra le jeter là où personne ne pourra le trouver, enlever tout rapport direct ou indirect avec le tueur ou bien faire rejeter la faute sur autrui, ce qui ne serait que plus judicieux et intelligent. Le fait qu’une personne soit accusée à tort permet au vrai criminel de sortir de la spirale pour un certain temps, car les autorités se rendront bien vite compte que la personne est innocente, même si certains ont tout de même fini sur la chaise électrique à cause d’avocats qui maîtrisaient leurs dossiers comme des chaussettes et quelques enquêteurs minables. Mais là n’est pas la question, notre sujet se situant sur le meurtre lui-même. Le mobile, s’il est important quand on assassine une personne proche, est plutôt abstrait pour des tueurs en série qui agissent sur leur proie selon des critères, ou des tueurs à gages.
47 eut presque envie de sourire, mais il resta froid et distant comme à son habitude. Cet homme était un expert du meurtre selon les livres qui se trouvaient dans sa bibliothèque et les individus questionnés sur le vif, mais il n’avait sûrement jamais ressenti au fond de lui cette sensation étrange après avoir volé une vie. Hitman ne les volait pas, il faisait juste l’intermédiaire entre la proie et le chasseur, mais quand la proie devenait personnelle, il arrivait qu’il ressente un soulagement à exterminer quelqu’un. Jamais personne ne pourrait l’expliquer avec des paroles ou dans une conférence. Myster n’était qu’un bouffon déguisé en orateur.
-Comme je l’ai dit auparavant, reprit Lyndon Myster avec un regard plus pointu que jamais, un crime parfait, si tant et bien qu’il existe, est un crime où tout est prévu, absolument tout. De la position du vent en passant par un témoin gênant ou un empêchement de dernière minute, tout doit être prévu. En général, quand une personne intelligente veut faire assassiner une autre, elle ne se gêne pas des témoins, si cela ne l’affecte pas au premier plan. Une personne qui s’écroulera dans la foule deux heures après avoir bu un café empoisonné aura été observée en train de gémir dans ses derniers instants par une dizaine de témoins, mais aucun d’eux ne pourra prédire sur le moment ce qui lui arrive, sauf si l’un d’eux est un médecin qui reconnaît un poison rien qu’aux effets à l’extérieur du corps. Mais, encore une fois, ce détail doit être pris en compte. Si la personne en question se sera écroulée dans la rue à deux mètres d’un hôpital, il pourrait être sauvé et dire avec qui il a bu son café, révélant ainsi son meurtrier qui aura raté son coup, ou alors des indices pour la police. Si la personne a eu entre-temps la possibilité de fuir pour ne jamais être retrouvée, le meurtre n’est pas techniquement parfait, mais tout proche… Si elle s’est faite arrêter avant, tout tombe alors à l’eau. Tout est une question d’intelligence et de sang-froid. Si le meurtrier est une personne inconnue, un tueur à gages par exemple, le problème ne se pose même pas. Mais par contre, si la cible connaissait son agresseur…
Hitman observa Myster, qui continuait de parler, pris dans ses propres paroles. Dans le fond il avait raison, le crime parfait n’existe peut-être pas. Mais un crime reste un crime. 47 tourna son regard vers Petersen, qui ignorait sûrement jusqu’à même son existence. Mais la personne qui était assise à côté de lui le connaissait bien, peut-être même trop bien.

Janvier 2008

-Il est par ici ! Vite, rattrapez-le !
Ses chaussures s’enfonçaient à chaque pas qui le faisait avancer vers l’hélicoptère. Les deux kilomètres avaient parus bien plus petits pour y venir, mais il faut dire que quand on a une vingtaine de soldats qui vous coursent dans des bois dont vous n’aviez pas même connaissance, cela peut-être déconcertant.
-Je le vois, il est là !
47 accéléra encore le pas, ses deux Silverballers chargés fermement serrés entre ses doigts. A l’écoute, entre sa propre respiration saccadée et le chant de quelques oiseaux, Hitman avait cru entendre deux, voire trois soldats à moins de vingt mètres de lui. Ce ne fut pas le coup de feu qui retentit dans la jungle et la souche de bois volant en éclats à ses pieds qui lui dit le contraire.
-Merde !
47 avait déjà repéré le soldat rien qu’au coup de feu. Celui-ci se mit à tirer en rafales, mais aucune n’atteint le meurtrier de Del Cosa. C’était peut-être un bleu, dans tous les cas c’était un homme mort. Profitant d’un arrêt de tir étrangement vif qui provenait du fait que le chargeur était épuisé, Hitman se stoppa sur la seconde, se retourna avec rapidité, la bouche encore ouverte d’épuisement, le visage dégoulinant, et aligna sa cible. Les deux culasses de ses pistolets .45 éjectèrent en arrière dans un geste unique et précis, et ce fut suffisant. Chacune des balles traversa l’air dans un bruit strident, la première atteignant le soldat colombien à la gorge dans un bruit sanglant, la deuxième lui frôlant la tête de si près qu’elle lui déchiqueta une partie de l’oreille. Avant que le corps du pauvre soldat ne s’écrase sur le sol humide, tel le gong qui annonce le sort funeste, l’assassin silencieux avait déjà repris son chemin entre les arbres, plus rapide que jamais. Un autre tenta de lui bloquer le passage, fusil à la hanche. Hitman effectua rapidement une roulade et évita la rafale inutile du soldat, profitant de son élan pour lui bondir dessus. Le soldat colombien s’écroula dans la terre humide, 47 lui arracha son M16A2 des mains et en profita pour lui balancer un coup de crosse qui, en plus de lui arracher au passage trois dents dans une gerbe de sang, l’emporta pour un instant aux pays des songes. Mais le répit fut de courte durée, le dernier des trois soldats qui le suivaient tirait bien mieux que les autres, et son tir fut si précis qu’il déchira une partie de la manche du camouflage de Code 47, lui blessant légèrement le bras. Celui-ci plongea à terre, et se mit à rouler sur le côté jusqu’à un arbre, où il s’y redressa vivement pour se protéger. Ce dernier soldat colombien était supérieur aux autres. Il tirait au coup par coup, chacun de ses tirs d’une précision mortelle, du moins pour une personne normale. Hitman n’était pas une personne normale. 47 ne bougeait pas, attendant que son ennemi fasse une erreur, mais il se rendit bien vite compte, surtout lorsque une balle déchiqueta le tronc de l’arbre à moins de cinq centimètres de sa tempe, qu’il n’aurait pas le temps de rechercher une quelconque faiblesse. Il fallait agir. Maintenant. Il se baissa, toujours contre l’arbre et évitant un autre tir qui aurait dû lui perforer le crâne, et réfléchit rapidement. Pas besoin de réfléchir. Tirer. Il sortit de sa cachette plus vite que l’éclair, ses deux pistolets parfaitement droits, le soldat dans sa ligne de mire. Il ne tremblait pas, il ne bougeait pas. Il tuait. Le premier tir l’atteint au bras et lui fit tomber son fusil, mais le deuxième le rata de très près, le soldat s’étant jeté à terre. Hitman ne le voyait plus, il était en amont… Ce fut seulement lorsqu’il vit un pistolet s’élever qu’il pensa à rouler sur le côté. La balle troua le sol humide dans un bruit déchirant, les deux autres tirs furent de Code 47, et cette fois-ci l’autre soldat n’avait aucune chance. Le premier l’atteint à la mâchoire, le faisant valser dans un geste ridicule, et le deuxième en pleine poitrine, le tuant définitivement dans une effusion mortelle d’hémoglobine. Hitman resta quelques secondes ses Silverballers en l’air, respirant fortement. Il y avait peut-être d’autres soldats, il fallait faire vite, et il se remit rapidement en route vers l’hélicoptère, qui devait normalement toujours être en train de l’attendre. Bien que le soleil était levé, la forêt dense et humide empêchait les rayons de passer, si bien qu’il finit par se perde dans une demi obscurité. Il ne pensait à rien d’autre que la fuite, que de fuir cette jungle, cette éternelle odeur d’humidité et de terre, cet éternel paysage qui n’en finissait pas. Il courait depuis presque dix minutes sans avoir repéré aucun ennemi, l’hélicoptère devait être à moins d’un kilomètre. L’idée que l’appareil fut détruit ou pris par l’armée colombienne lui traversa l’esprit, mais de toute façon c’était sa seule issue. Il se stoppa net, se mit à genoux, ses pistolets prêts à faire feu, et maîtrisa sa respiration pour ne pas être découvert, tendant cependant l’oreille pour repérer un éventuel ennemi. Après avoir tué deux soldats de sang-froid, on ne lui ferait plus de cadeaux, et ce n’était pas le Delta Force qui allait faciliter la tâche. Après quelques minutes, restant immobile parmi la monotone faune et flore locale, il finit par entendre des bruits de pas étouffés, et vit au loin un soldat en camouflage armé d’un M4 avancer prudemment, observant méticuleusement les alentours. D’après ses réflexes, ses mouvements et surtout sa morphologie d’américain, il devait faire partie du Delta Force. Mieux valait ne pas s’en prendre à lui. Hitman se coucha silencieusement dans l’herbe, la tête du commando dans sa ligne de mire. Celui-ci continuait à marcher dans la jungle, son œil regardant furtivement de tous côtés. Même avec son camouflage, 47 avait de fortes chances d’être repéré… il faudrait rester plus discret que jamais. Durant deux minutes, le tueur avait son regard pointé avec férocité vers l’homme qui continuait d’avancer à pas légers, et il finit par s’enfoncer dans le brouillard dense de la jungle inconnue. Code 47 leva les yeux vers les arbres qui lui bouchaient encore la vue du puissant soleil. Lentement, il se leva, et s’apprêta à repartir vers le point d’extraction quand le canon glacé d’une arme toucha sa nuque.
-Lâche tes flingues.
Hitman tenta de tourner légèrement la tête pour voir la personne qui le tenait en otage, mais celui-ci lui donna un coup de pied dans la jambe qui le fit légèrement plier. Une chose était sûre, avec son accent, il était forcément anglais. Lenny James.

-En gros, un meurtre parfait, si cela reste possible par un professionnel, est un meurtre où tout, du début à la fin, est organisé ! En passant du milieu du meurtre, par l’arme du crime, un témoin gênant ou alors un alibi détruit par une preuve qui peut s’avérer inutile, le meurtre parfait existe bien ! Il suffit juste d’avoir toutes les cartes dans son jeu ! Mesdames et messieurs, merci d’avoir assisté à cette conférence.
La voix de Lyndon Myster le tira de ses réflexions et de sa rencontre avec Lenny James. Il étira sa mâchoire, et bâilla légèrement. Petersen se levait, James également, et Myster remballait rapidement ses affaires. Hitman se leva calmement de son siège, le regard pointé vers sa cible, son P220 silencieux toujours dans le holster sous son Armani. Il s’était presque assoupi, alors qu’il avait dormi quelques heures dans l’avion. Se faisait-il vieux ? Possible, mais une chose était certaine, son métier n’avait pas pris une ride, et le meurtre parfait, il y arriverait aujourd’hui même.

Chapitre VI: Nouvel employeur

Le bureau du yacht de Beldingford était plutôt grand, avec des cartes du golfe du Mexique sur les murs et un large bureau au bois d’ébène. Hitman entra après lui et son chauffeur qui paraissait être également son garde du corps, son pistolet toujours prêt à servir et attendit près de la porte alors que l’anglais allait se servir un verre de whisky. 47 assassina James du regard jusqu’à ce qui celui-ci sorte de la pièce, lui rendant néanmoins cet air noir et mauvais. Beldingford s’assit calmement à son bureau, posa le verre de whisky sur la table et invita Code 47 à s’asseoir dans un divan.
-Non merci, répondit-il. Je veux savoir pourquoi je suis ici.
-Vous êtes d’une impatience mon ami !
-C’est simple, j’ai un pistolet entre les doigts, vous pas. Soit vous me dites pourquoi vous voulez m’engager, soit le siège sur lequel vous êtes assis va s’assombrir très rapidement.
-Bien, dit Beldingford en haussant les sourcils. Vous le savez peut-être, mais j’ai un réseau de vente d’alcool illégale qui part d’Amérique du sud jusqu’en Angleterre, du whisky plus précisément, dont celui qui est en ce moment même dans le verre que je tiens.
Hitman ne broncha pas, et attendit la suite.
-J’ai un agent de Scotland Yard aux trousses depuis six mois, un certain Jeffery Petersen, et il a déjà découvert quatre de mes cargaisons et arrêté bon nombre de mes employés, dont certains ont craché le morceau quant à mon sujet. Vous n’aurez pas besoin de vous charger de ces minables qui sont déjà six pieds sous terres, mais Petersen est hors d’atteinte, pas pour vous bien sûr, et c’est pour cela que j’ai… « fait appel » à vous.
-Vous avez des photos ?
-Bien sûr, répondit Beldingford en sortant plusieurs clichés pris sur le vif d’un tiroir de son bureau. Trente deux ans, célibataire, ne lâche sa prise qu’après l’avoir mise derrière les barreaux ou dans un cimetière.
Code 47 observa attentivement son visage. Il avait une légère moustache rousse, des cheveux de la même couleur, et une carrure massive d’agent secret. Il était habillé en civil, mais on voyait très légèrement la marque d’un pistolet sous sa veste. Il avait des lunettes à soleil sur les yeux, et les photos devaient dater de cet été, car on voyait que la place où il se trouvait était fortement exposée aux rayons du soleil. Mais les lunettes à soleil ne cachent pas tout, et bien que son regard était porté sur le journal qu’il lisait, sa tête était tournée avec une précision chirurgicale vers l’homme qui avait dû prendre la photo. Un détail invisible pour n’importe qui. Hitman n’était pas n’importe qui.
-Une cible difficile, dit Beldingford comme s’il avait lu dans les pensées de son nouvel agent. Il a déjà décelé trois de mes hommes qui on essayé de l’abattre discrètement, et a survécu à l’attaque de mon meilleur sniper. Il sera sur ses gardes, mais je suis certain que vous saurez en venir à bout.
-Vous avez un endroit précis pour le crime ? demanda 47 en levant les yeux de la photo.
Il fut surpris, il avait dit le mot crime alors qu’il n’utilisait jamais ce vocabulaire, préférant les mots tels que « contrat » ou « travail ».
-Oui, bien sûr, répliqua Beldingford. Il assiste demain à une conférence sur le crime parfait à Edimbourg, dans un luxueux hôtel. J’aimerais que vous évitiez de faire trop de bruit, mais le descendre dans un coin désert ne pose aucun problème, j’ai d’ailleurs ceci pour vous…
Il ouvrit un autre tiroir de son bureau et en sortit un Sig Sauer P220 à silencieux. Il le posa sur le bureau et attendit que 47 le prenne entre les mains pour l’observer, posant comme en échange le Glock 17 sur le bois d’ébène.
-Hum, du 9mm… j’aurais préféré du .45, mais ça suffira.
Il sortit le chargeur de l’arme, puis, après avoir vérifié que tout était normal, le remit en place et rangea l’arme dans le holster de sa veste.
-Je crois que ceci vous fera également plaisir, dit Beldingford en ouvrant un énième tiroir de son bureau, et sortant une corde à piano.
Hitman la prit délicatement entre les doigts, puis la serra et imita le geste qu’il avait si souvent fait sur une cible, un petit sourire démoniaque aux lèvres.
-Je pars quand ?

L’avion atterrit brutalement sur le sol écossais ; assis à bord du jet privé de Beldingford, 47 avait fait un vol direct depuis l’aéroport de Miami, où il avait été déposé par hélicoptère. Il avait désormais avec lui tout le matériel qu’il utilisait à l’agence : armes à feu, corde à piano, seringue d’anesthésiant, jumelles, passe-partout et lunettes de vision nocturne. Il sentait déjà en lui monter le goût du meurtre et de la mort, le geste subtilement létal d’appuyer sur la gâchette d’un pistolet et envoyer valser les tripes d’une cible, de le couper de son air vital ou encore de le voir agoniser, gisant quelques ultimes instants à terre. L’appareil s’immobilisa ensuite calmement, et la porte de l’appareil se déploya. 47 sortit dans la chaleur du mois de juillet, qui étouffait même en Ecosse. La conférence devait commencer dans deux heures pile. Hitman suivit les hommes de Beldingford jusqu’à une limousine et y entra. Il y avait sur le siège une enveloppe que le tueur ouvrit lorsque la voiture commença à rouler. Il y trouva encore quelques photos de Petersen, une fausse carte d’identité au nom de Bradley Kyle et une avance de deux mille dollars en liquide, le contrat lui en rapportant cent mille. Il y avait également quelques instruction sur la place que devait occuper Petersen –un siège au premier rang- et sur ses gardes du corps, deux gorilles que 47 éviterait de descendre inutilement… enfin, seulement s’ils restaient calme. Il observa encore quelques instants les photos, puis les remit dans l’enveloppe qu’il laissa sur le siège. Son regard se porta sur les arbres du bord de routes et le ciel d’un bleu éclatant. C’était rare en Ecosse, belle journée pour mourir. Hitman sortit encore une fois son P220, enleva puis remit les balles une par une, puis enfonça violemment le chargeur dans le pistolet et tira la culasse en arrière, mettant néanmoins la sécurité pour ne pas être surpris par un tir non voulu. Il plaça calmement le pistolet dans le holster de sa veste, et se mit à réfléchir. S’il y avait des gardes qui fouillaient les invités ou un détecteur de métaux il serait difficile d’avoir Petersen avec discrétion et rapidité… S’il y avait un détecteur, il jetterait son arme quelque part, en cas de fouille il ferait feu sur les gardes et liquiderait sa cible dans la foule. Les données de Beldingford n’étaient pas autant complètes que celles de l’Agence, et c’était uniquement sa faute, le boulot de 47, c’était la mort, pas les détails.
-On arrive bientôt ? lança l’assassin à l’adresse du chauffeur.
-Oui… bientôt.
Celui-ci se garda de tout commentaire, et continua à suivre la route avec rigueur. Ils entraient dans Edimbourg, une ville froide d’Europe, où le métal et la pierre se mélangeaient avec harmonie, mais ne laissant de place qu’au béton et au paysage urbain. Il y avait tout de même des arbres plantés régulièrement au bord de la route, et des parcs de temps à autres. 47 vit au loin un château au sommet d’une colline, celle-ci étant verdoyante et agréable à voir… une ville assez belle, spéciale, mortelle. La voiture continua ainsi de rouler au gré de la paisible circulation écossaise, avant de ralentir près dans une rue. Le chauffeur vira de bord, et la voiture se stoppa à moitié sur un trottoir, à côté d’un hôtel majestueux.
-Le Macdonald Roxburghe Hotel, précisa le chauffeur. Ne vous fiez pas au nom il est purement britannique et luxueux ! La conférence a lieu dans… une demi-heure, dit-il après avoir essuyé un regard sur sa montre. Je serai dans le parking qui se trouve à 30 mètres dans la rue au nord… je vous attend. Si vous n’êtes pas arrivé ce soir à 22 heures, vous êtes considéré comme mort ou capturé et…
-C’est bon, je connais les règles, l’interrompit Hitman. J’y serai, et à l’heure.
Le chauffeur le regarda un instant, puis hocha la tête et se retourna vers son volant. Code 47 sortit de la voiture, qui s’engouffra dans la circulation presque aussitôt. Le tueur observa avec attention les alentours… pas de systèmes de sécurité aux entrées de l’hôtel, ni gardes armés, ou alors ils étaient en civil. Seul un room qui gardait la tête haute saluait les gens en leur ouvrant la porte. Hitman entra avec l’empressement et le stress d’un homme d’affaire dans le hall de l’hôtel, pour que personne ne se doute de rien. Il y avait foule, principalement d’élégants hommes en costar et des femmes à l’air vif et intelligent, et qui paraissaient fusiller chaque invité du regard, comme si un traître sévissait dans l’assistance mondaine. 47 les évita tant bien que mal, et commença son travail en profondeur. Il s’arrêta près des ascenseurs, puis se mit à observer le plan de l’hôtel placardé sur un mur. La salle de réunion se trouvait sur sa gauche, derrière deux portes encore fermées et gardées par deux gorilles en habits noirs. Il les observa minutieusement un bref instant puis détourna les yeux. D’après les formes qui ondulaient légèrement sous leurs habits, à la hauteur de la poitrine, leurs pistolets devaient être silencieux, et sûrement assez petits. Mieux valait donc éviter de finir son contrat en plein milieu de la salle, si ceux-ci avaient un œil sur les convives. Code 47 tourna les talons et se mit à marcher calmement dans la foule, l’air hautain comme tous les gens qui l’entouraient, pour tenter de repérer Petersen. Il y arriva assez rapidement, et le surprit à parler avec un homme qu’il reconnut rapidement, un homme qui n’était autre que l’un des poids lourds d’Interpol, Lenny James. Instinctivement, Hitman lui tourna le dos et partit rapidement se cacher derrière un coin de mur. Lenny James connaissait son existence depuis qu’un mandat avait été lancé contre lui, et le cherchait depuis plusieurs années, à l’instar d’Albert Fournier. Mais Fournier était corrompu, alors que James avait au contraire de bonnes relations avec le MI-6 et la police britannique, ainsi que Scotland Yard. La cinquantaine, des cheveux grisonnants mais coiffés avec classe et affublé d’un complet gris avec cravate verte, tous ceux qui le trouvaient excentrique ne le connaissaient pas. Lenny James était un molosse, qui continue à mordre sa proie même si on lui ampute les jambes. Lenny James était une pieuvre dont la survie était impossible une fois entre ses membres mortels. Il était d’un calme surnaturel mais chacun connaissait sa puissance et ses relations énormes, ainsi que son flair extrêmement aiguisé. D’ailleurs, en cet instant-là, Hitman avait bien senti que James l’avait flairé et qu’il le suivait déjà, et il entendait sa respiration faiblarde ainsi que son pas régulier au travers des paroles incongrues de tous les invités. Le tueur se mit rapidement dos à lui, mais c’était déjà trop tard, il entendit James s’excuser auprès de Petersen, il le suivait. 47 se fraya rapidement un chemin vers les escaliers, pour tenter de fuir, quand la foule commença à bouger. La réunion commençait, et c’était la meilleure chance de semer l’agent d’Interpol. Les gardes près de la porte observaient le flux régulier d’hommes d’affaires qui entraient dans la salle. Hitman ne les regarda pas en entrant, et se glissa rapidement dans l’ombre de la salle, guettant l’arrivée de Petersen. Celui-ci entra quelques secondes plus tard, toujours en compagnie de Lenny James. Celui-ci jeta un bref coup d’œil dans la salle, mais 47 était parfaitement immobile dans l’ombre, son regard de tueur pointé non vers Peterson, mais vers James. Les gardes du corps de Peterson n’étaient pas là, mais semblaient remplacés par cet individu dont 47 aurait préféré ne jamais avoir rencontré.

Océan Pacifique, 28 Janvier 2008

-47, votre cible actuelle est un certain Del Cosa, trafiquant de drogue colombien, fit la voix de Diana.
A ce moment-là, Hitman était alors confortablement installé sur une caisse pourrie et miteuse, dans un bateau qui grinçait sous les vagues du Pacifique. La mer était agitée, et le bateau naviguait tant bien que mal en tanguant fortement.
-Il est actuellement dans un camp dans la jungle, avec son commando et sera donc armé, mais nous avons bien choisi notre coup. Dans la valise qui se tient devant vous se trouvent un camouflage adapté et votre précieux Walter 2000. Le camp doit être pris demain à l’aube par Interpol, qui sera aidé par l’armée colombienne et le Delta Force. Autant dire que tout va se finir en bain de sang… mais malheureusement pour nous Interpol veut Del Cosa vivant, contrairement au commanditaire de cette mission. Vous pourrez donc profiter de la fusillade et de l’agitation générale pour abattre votre cible sans problème. Des photos se trouvent également dans la valise, ainsi qu’un plan de son camp. Tentez de fuir assez rapidement, et une fois la cible hors d’était de nuire, un hélicoptère vous attendra à deux kilomètres au sud, à côté d’un pic rocheux, dans une clairière. Faites également attention à un certain Lenny James, qui doit diriger l’opération… Depuis votre fuite de Paris et la mort de Fournier, toutes les polices d’Europe sont à vos trousses, et James est bien placé à Interpol pour pouvoir vous causer des ennuis. Bonne chance 47, n’oubliez pas de rester discret.
Code 47 observa la petite télévision s’éteindre et plonger la cale du bateau dans les ténèbres légèrement éclairées par les grésillements de l’écran vide. Hitman attendit encore quelques instants, le visage plongé dans le noir, se reposant avant les heures qui allaient suivre, puis il ouvrit la valise, sortit les photos, le camouflage et le W2000. Il était prêt.

Lenny James suivit Petersen dans la rangée de sièges au milieu de la salle. 47 l’observait avec une effrayante attention, cet étrange individu vieillissant avec une cravate verte. Il ne fallait pas faire foirer cette mission. Même si Beldingford lui avait tendu un piège, 47 travaillait à nouveau pour un employeur qui lui fournirait quasiment autant de moyens et de protection que l’Agence. Son travail avait repris.

Le tueur était resté couché dans la jungle durant la moitié de la nuit. Il avait marché dans la forêt en habits de camouflage, tout en suivant la carte fournie par l’Agence. Un hélicoptère civil l’avait amené dans la clairière et l’attendrait le temps qu’il faudrait. Après une heure de marche dans la nuit et l’humidité, avançant dans la terre boueuse, entre les serpents et les araignées venimeuses, 47 avait finalement trouvé le camp en aval, dans une prairie, il était alors trois heures du matin. Il s’était allongé dans l’herbe, en position de tireur embusqué, ne bougeant pas un muscle, attendant l’aurore. Il avait néanmoins mis ses lunettes de vision nocturne et repéré Del Cosa dans une tente au nord du camp, en train d’observer une carte. Il était désormais couché, et profiterait bientôt d’un long sommeil dont il ne sortirait pas indemne… Il y avait également quatre soldats armés de Kalachnikov qui faisaient la garde autour du camps, et d’autres également armés qui buvaient au coin d’un feu. À cinq heures du matin, le ciel commença à s’éclaircir, restant néanmoins lugubre. Les étoiles étaient embourbées dans un brouillard matinal, qui entourait tout le camp, semblant l’étouffer. Le feu était presque éteint, certains guérilleros étaient partis se coucher, d’autres jouaient aux cartes, mais toujours aucun signe du commando annoncé par Diana. A cinq heures et demie, le ciel était désormais illuminé d’une teinte rose orange, une beauté céleste qui illuminait la jungle et la mort imminente. Hitman vérifia son fusil sniper, puis le mit à l’épaule et observa les alentours du camp désormais éclairés par une faible lueur matinale. Après dix minutes resté dans bouger à attendre un mouvement, il vit enfin des hommes armés de fusils M4 ; c’était le Delta Force. Les unités se mirent en positions, suivies de près par l’armée colombienne. Lenny James devait être dans le coin… L’assassin silencieux plongea son regard sur un soldat qui semblait être le chef, et qui donna rapidement des ordres dans un micro. Soudain, des grenades fumigènes tombèrent par dizaines dans le camp, et rebondirent dans les tentes et entre les trafiquants de drogue. L’assaut était donné. Les guérilléros réagirent mais trop tard. Les deux unités Delta Force prirent le camp par l’Est et l’Ouest, suivis par l’armée colombienne qui semblait plus être ici pour avoir leur place diplomatique dans les journaux que pour réellement capturer Del Cosa. Del Cosa… Hitman zooma avec la lunette de visée et positionna le réticule à l’entrée de la tente du trafiquant. Les guérilléros n’avaient aucune chance. Ceux qui étaient près du feu s’étaient fait fusiller directement par les Delta Force et l’armée colombienne était entrée dans les tentes pour abattre froidement ceux qui s’étaient réveillés au rythme effréné des rafales. Presque tous les soldats ennemis y étaient restés, mais Del Cosa semblait toujours dans sa tente… s’il ne sortait pas bientôt, il serait capturé et la mission tomberait à l’eau, et c’est ce qui arriva. Les deux équipes de Delta Force se positionnèrent aux deux entrées de la tente, dans la ligne de mire de 47 qui ne devait pas les tuer. L’un des commando tira une grenade qui se révéla être aveuglante à la déflagration, puis le reste de l’équipe fit irruption dans la tente. Ils devaient être en train de passer les menottes à Del Cosa.
-Merde ! laissa échapper Code 47.
Il se mit à trembler plus fortement. Il était couché sur le sol mouillé et inconfortable depuis plus de deux heures, il avait froid et ses mains, même gantées, étaient engourdies. Il ne fallait pas commettre d’erreur maintenant. Puis soudain un visage familier apparut dans la ligne de mire du tueur : c’était Lenny James, il entrait dans la tente, et en ressortit avec Del Cosa, l’air éméché, mains menottées dans le dos, suivi par plusieurs soldats. 47 vida sa tête de toutes pensées, bloqua sa respiration et concentra sa visée sur sa cible. Son doigt pressa la détente, la crosse du W2000 s’enfonça dans son épaule et la douille éjecta sur le sol boueux. Malheureusement pour l’assassin, Del Cosa, encore ivre, avait soudain tourné vers la droite pour suivre un militaire, et ce fut un membre de la Delta Force qui se prit la balle destinée au trafiquant. Elle lui éclata la gorge, et il n’eut pas le temps de réagir, sombrant en arrière dans une giclée de sang. Hitman s’affola. Le tir n’avait fait aucun bruit grâce au silencieux du fusil, mais James s’était retourné et, voyant le corps inerte en ensanglanté du soldat, se mit à crier des ordres en anglais en pointant les alentours du doigts, et les militaires colombiens escortèrent alors plus rapidement Del Cosa. Il n’y avait pas une seconde à perdre. 47, qui commençait à trembler de plus en plus, redirigea le réticule vers Del Cosa et fit feu par trois fois. Le premier tir atteint un militaire colombien qui cachait la cible à la jambe. Celui-ci pencha instinctivement et les deux autres balles transpercèrent le dos de Del Cosa qui tituba puis tomba dans l’herbe, immobile. Pour être sûr d’avoir bien accompli son travail, il tira encore deux fois dans son corps qui tressauta, puis le fleuve de sang qui se dessina autour du corps prouva à Hitman que son contrat était rempli. Malheureusement pour lui, Lenny James avait trouvé la provenance des tirs et pointé du doigt la petite colline sur laquelle 47 se trouvait. Celui-ci, voyant les militaires colombiens lever leurs fusils, roula sur le côté à temps pour éviter les rafales qui trouèrent le sol humide. Il jeta son W2000 sur le côté et sortit d’un geste synchronisé ses deux Silverballers des holsters se trouvant sous ses aisselles. Il attendit deux secondes, écoutant les soldats courant vers lui, les tirs accrus et sa respiration forte, puis serra les dents, plongea son regard dans l’épaisse forêt colombienne et commença à courir. Les deux prochains kilomètres risqueraient d’être mouvementés…

Contrat: Petersen


dimanche 18 novembre 2007

Chapitre V: Le pire ennemi du tueur

Floride, 2 Juillet 2008

47 regardait le large, la mer, une vaste étendue d’eau où il aurait pu noyer chaque habitant de cette terre, pourtant il n’en était rien. Bien qu’il n’ait pas oublié son passé, il l’avait mis de côté durant un certain temps. Voilà un mois et demi qu’il avait fui Moscou, mais sa « nouvelle vie » ne lui plaisait pas, d’ailleurs, rien ne lui plaisait depuis. Son premier geste avait été de prendre un avion pour Zürich, où il avait retiré en liquide quatre millions de dollars de son compte avant de disparaître vers le Canada, à Toronto. Retirer quatre millions d’une banque était risqué, mais c’était pour sa sécurité future. Prendre l’avion est également risqué, pas pour les pourcentages de crash aériens ou autres, non, parce que la sécurité était totale dans un avion, encore plus depuis le 11 Septembre. Il avait jeté son revolver dans un caniveau de Moscou, et voyagé avec ses faux papiers fournis par l’Agence, qu’il avait ensuite jetés. De Toronto, il avait pris le bus, le train, marché, payant cash, mais s’éloignant le plus possible du dernier lieu où on avait pu suivre sa trace. Il habitait désormais en Floride, dans une petite maison également payée cash, dans un endroit désert. Il resterait ici le temps que ses quatre millions soient épuisés, ensuite il changerait encore de maison, et ferait un autre retirement de compte, si celui-ci n’était pas bloqué jusque là… Un souffle marin lui fouetta soudain violemment le visage et le ramena à la réalité. La mer était calme, le soleil était presque couché, 47 était habillé en civil, tentant d’oublier son passé, mais il savait bien que c’était impossible. Non pas à cause de ses crimes, mais à cause de ses principes, selon lesquels il avait agi toutes ces années. Il avait bien pourtant essayé de changer en Sicile, mais c’était un genre de coup d’essai. Cette fois-ci, il ne devait faire confiance à personne, même pas au facteur du coin, ni même à l’enfant innocent et à l’air angélique qui passait parfois en vélo près de chez lui. Ses principes l’avaient guidé toute sa vie, et il devait se rendre compte qu’il avait pris goût au meurtre. Il tentait de se sortir cette idée de la tête, prétextant qu’il devait le faire pour son travail, pour survivre, chasser pour ne pas être chassé... Mais plus il pensait à sa vie, plus il voyait son passé, une corde passée autour du cou, un poison délicat versé dans un verre, une balle envoyée directement entre deux yeux, un couteau enfoncé dans la chair tendre, une tête dans un réticule de visée… plus il revoyait sa vie, plus il devait se rendre à l’évidence : le meurtre était devenu sa vie. Il ne pourrait rien faire d’autre, il était condamné à tuer jusqu’à ce que la mort l’arrache à sa misérable vie. Il serra les dents, il aurait voulu pleurer, crier, rire, hurler sa peine, mais il ne pouvait pas, c’était une machine, un tas de chair qui rend les autres obsolètes. D’ailleurs, en arrivant ici, il n’avait pas tardé à faire comme en Russie, trouver un policier corrompu et acheter de quoi se défendre, mais il savait que c’était pour sa soif de meurtre. Il avait en ce moment sur lui-même un Glock 17 et avait caché dans une de ses armoires un fusil de chasse qu’il avait légèrement modifié pour y glisser plus facilement des munitions. Le soleil était presque couché. En ce moment même, une personne devait être en train d’agoniser, criant sa douleur dans ses ultimes instants. 47 ne pensait pas à l’enfant qui venait de naître en ce moment même, à la famille chaleureuse qui l’attendait. La naissance n’existait pas dans sa philosophie, il n’avait que la mort en tête. On aurait facilement pu lui mettre une faux entre les mains et un épais manteau avec capuchon qui lui couvrait le visage, les gens n’auraient pas vu la différence ; mais ce que pensent les gens n’était pas la première préoccupation d’un tueur. Le soleil était maintenant hors de vue, la mer devenait noire, le ciel également, les nuages étant encore furtivement éclairés par l’astre solaire. Hitman se leva calmement, retourna dans sa maison et verrouilla la porte. Il s’ennuyait à mourir ici, la télévision présentait des émissions sans aucun intérêt, et il passait ses journées à réfléchir sur lui-même, ce qui n’était pas quelque chose de nouveau, mais de dur à vivre pour lui. Il n’avait jamais encore pris conscience de l’impact de ses méfaits, et rien que l’idée lui effleure l’esprit lui paraissait futile, pourtant, ce soir-là, en s’asseyant dans son fauteuil, toutes lumières éteintes, 47 avait enfin compris que ce qu’il faisait était vraiment mal. Néanmoins il avait déjà eu cette pensée particulière à Paris, quand il avait été blessé et avait passé quelques heures sur une limite, entre une vie, et une mort, celle qui l’entraînerait un jour avec lui. Il avait déjà tenté de redevenir bon, et cette idée lui pourfendait l’esprit, mais on en avait profité sur son dos. Pour survivre, il devait rester seul, pourtant une partie de son âme lui dictait le contraire. Il avait en face de lui son pire ennemi, celui qui lui faisait rappeler qu’il ne serait jamais comme un autre, ce pire ennemi qu’il avait si souvent utilisé à son avantage et qui désormais était une arme retournée contre ses propres idéaux : lui-même.

La sonnette de la porte d’entrée résonna dans ses oreilles comme s’il s’était endormi dans le clocher d’une église. Il ouvrit rapidement un œil perçant, scruta la pièce de gauche à droite, palpa sa chemise pour vérifier que son pistolet était bien là, et se leva dans les lueurs du soleil qui avaient réussi à passer au travers de ses volets. Il marcha calmement jusqu’à la porte, vérifia que le couloir était exempt de tout piège et tourna la clé dans la serrure, avant de l’ouvrir légèrement.
-Bonjour !
L’homme qui se tenait devant Code 47 ne devait pas être habitué à partir à la suite d’un simple regard d’assassin, car il se mit aussitôt à faire preuve des avantages de sa société qui vendait, selon ce qu’avait compris l’ex-tueur, des machines de travaux urbains. Il était rasé de près, une paire de lunettes carrées sur le nez, et un air d’agent commercial très confirmé qui était prêt à promettre une villa à Hollywood si on lui achetait son matériel qui de toute manière ne servirait à rien dans une zone rurale. Néanmoins, l’homme continuant de parler avec éloquence, croyant sûrement que l’acheteur potentiel qui se tenait en face de lui allait craquer.
-… notre matériel est de dernière qualité ! Il est irréprochable en tout point de vue. Et vous aurez sûrement remarqué que notre société emploie de la main-d’œuvre partout dans le pays, avec un salaire bien payé pour un ouvrier de chantier, faites-nous savoir si cela vous intéresse !
-Non merci.
Ces mots prononcés au tac au tac avec une froideur intense n’ont pourtant pas été suivis avec le claquement de porte qu’Hitman offrait à ce genre de publicité après un discours pourtant séduisant. Le pied de l’homme se casa dans l’embrasure de la porte, et il se pencha vers l’interstice qui le séparait d’une moitié de visage de 47.
-Vous savez, nous pouvons faire des offres spéciales…
Pour toute réponse, l’assassin ouvrit rapidement la porte et la referma brutalement en écrasant le pied du vendeur. Il poussa un cri bruyant, mais ne retira pas son pied, et mis également sa main sur la porte pour l’empêcher de fermer.
-Nous engageons tous ceux qui ont besoin d’un tra…
47 en avait trop entendu, et lui parler de travail était la dernière des choses à faire, il ouvrit légèrement plus la porte et lança un puissant coup de pied dans le ventre de l’homme qui s’affaissa à terre, mais encore une fois, il glissa son pied dans la porte avant qu’elle ne se referme. Il y eut un bruit de craquement d’os, il hurla encore une fois, mais ne s’arrêta pas cette fois-ci à son discours précédant…
-1998, dossier Trent, c’était une de nos machines.
Hitman s’apprêta à nouveau à lui briser la jambe avec la porte quand il se stoppa net.
-On ne l’a jamais retrouvé hein ? Coulé dans le béton, personne n’a rien vu, mais on a parlé ce jour-là d’un étrange employé tatoué sur le crâne qui était aussitôt reparti. Il n’a parlé à personne, mais on sait qu’il avait disparu à peu près au même moment que Trent. Vous l’avez poussé dedans et il y est mort en avalant le ciment, ou bien vous l’avez d’abord exécuté avant d’y cacher son corps ?
47 laissa la jambe de l’homme se retirer, et celui-ci se mit debout avec difficulté.
-Il doit encore être dans le parking de Dakota Street à l’heure qu’il…
Le coup l’atteint dans le tibia, perfora l’os et déchiqueta ses muscles. La chair s’ouvrit avec souplesse pour illuminer le sol de sang frais. L’homme tituba en hurlant et sortit un pistolet, mais un autre tir de 47 lui traversa la main, et le pistolet tomba bien loin de sa portée. Code 47 s’avança vers lui, son Glock 17 encore fumant, et le pointa sur sa tête alors que l’étrange homme s’était mis à genoux, se tenant la jambe qui ne cessait de saigner.
-Pour qui travailles-tu ?
-Je… ah, ma jambe….
Nonchalamment, Hitman tourna l’arme vers son épaule et tira un troisième coup. La veste de l’homme était cette fois tâchée d’hémoglobine vive et dégoulinante, il cria une nouvelle fois, la douille cliqueta sur le sol avant de s’arrêter dans le sang frais. 47 mit à nouveau le pistolet contre son crâne.
-Dernière chance. Pour qui travailles-tu ?
-Arrrhhh… ils sont… dans la voiture… articula difficilement l’homme en pointa un véhicule du doigt.
Hitman tourna la tête. Il ne l’avait pas vue, une berline gris métallisée parquée sous les arbres près de la route, à moins d’une centaine de mètres. Il retourna son regard vers l’homme et remit son pistolet dans sa ceinture, avant de stopper son geste, de replacer l’arme vers la tête de l’homme et d’appuyer sur la détente. Il fut plaqué au sol par l’impact, le sang se répandant autour de sa tête aussi vite que la furie du tueur, le corps désarticulé sur la route de manière grotesque, les yeux encore grands ouverts sous la surprise. 47 remit alors avec le plus grand calme le pistolet dans sa ceinture, tira un coup de pied sur le corps pour vérifier qu’il était bien mort, même si cela paraissait évident, et s’aventura vers le véhicule stationné non loin. Il ouvrit la portière, pointa son pistolet dans l’embrasure de la porte avant d’entendre une voix calme et posée qui lui répliqua :
-Posez donc cette chose, vous n’en aurez pas besoin.
Hitman n’écouta pas ces paroles d’une personne qu’il ne voyait pas, et se mit sur l’agréable siège en cuir tout en gardant son arme levée. L’homme qui lui avait parlé était un vieil homme, assis avec élégance sur la banquette. Il avait un costume noir, de la même trempe que l’Armani que 47 portait en service, des cheveux gris coupés avec style, bien que légèrement dégarni, et un flegme on ne peut plus étrange. Il n’avait pas de rides, juste un peu de menton, et des yeux bleu foncés qui observaient Hitman avec la plus grande admiration. Celui-ci, tout en gardant l’homme dans sa ligne de mire, referma la portière.
-Si ça ne vous dérange pas, je garde ceci, lui annonça le tueur à propos du pistolet. Si ça vous dérange, vous finirez comme le gars dans la cour derrière moi et je n’aimerais pas être celui qui passera la serpillière.
L’homme le fixa quelques instants, puis se mit à rire avec dignité, pour soudain se stopper aussi vite qu’il avait commencé. Il claqua des doigts et dit au chauffeur :
-James, vers le yacht.
-Où comptez-vous m’emmener ? répliqua 47.
-Ailleurs, pour vous faire une proposition. Gardez votre arme si le cœur vous en dit.
-Je suppose que c’est pour mes talents d’élimination silencieuse et invisible.
-Entre autre oui, également parce que vous êtes libre.
-Et comment le savez-vous ? demanda 47 d’un ton on ne peut plus calme.
-Ce genre d’informations circule très vite dans mon milieu.
-C’est vous qui m’avez tendu un piège pour que l’Agence me foute à la porte ? s’énerva Hitman en plaquant son arme contre la tête de l’homme.
Aussitôt, le chauffeur freina extrêmement sec, la voiture tourna sur la droite et se stoppa en travers de la route, une large traînée de pneus derrière elle. Avant même que la voiture ait fini de s’arrêter, le chauffeur, qui était de dos avec une casquette de base-ball, s’était retourné et avait également pointé un pistolet en direction d’Hitman. Celui-ci lui lança un regard noir, c’était le chauffeur de Detroit.
-C’était donc vous ! pestifera Hitman en enfonçant le canon du Glock 17 dans le large cou du vieil homme qui n’avait rien perdu de son calme.
-Retire cette arme tout de suite, ordonna le chauffeur.
-Je pourrais lui faire sauter la tête et vous me faire sauter la mienne, ensuite vous deviendrez chauffeur de corbillard… répliqua Code 47 avec un grand sérieux.
-Allons allons, dit le vieil homme, rangeons ces armes et reprenons tout depuis le début… Je ne me suis même pas présenté en plus !
Il mit sa main face à l’ex-tueur, lui qui l’avait manipulé, et voulait à présent l’engager.
-Dites à votre gorille de ranger son arme.
-James…
James hésita, puis retira son pistolet. Au même moment, 47 frappa le visage du vieil homme avec la crosse de son arme. Du sang coula de sa bouche, mais il leva la main pour empêcher James de tirer, et celui-ci se remit au volant tout en grognant.
-Enchanté, Code 47, se présenta Hitman alors que le vieil homme essuyait son sang.
-Vous êtes souvent autant violent ? demanda le vieil homme après deux secondes de silence.
-Quand on se sert de moi comme d’une marionnette et que je suis mis à la porte du jour au lendemain alors que je suis innocent, oui. Je vous méprise déjà et j’ai une envie profonde de vous briser la nuque à mains nues, mais j’aime travailler, alors je vais écouter votre proposition. Et vous êtes ?
-Ken Beldindford…
Hitman leva un sourcil.
-Vous avez assassiné mon frère et mon neveu, ne faites pas la sourde oreille.
-Vous voulez vous venger ?
-Non. Mon frère était une ordure, vous avez bien fait de mettre fin à ses jours… Mais vous comprendrez que ce n’est pas un hasard que je vienne vous voir. En fait, j’ai d’autres ennemis, des ennemis très influents, et j’aimerais m’en débarrasser. J’ai beaucoup réfléchi à la manière dont était mort mon frère… J’avais été très étonné de voir que la police n’avait aucun suspect, aucune piste… et personne n’a jamais rien remarqué, vous avez fait un boulot parfait.
-Je vous en remercie, mais j’aimerais encore savoir pourquoi vous avez comploté contre moi !
-Je vois… en fait il me fallait justement un homme de main en qui j’aurais confiance, mais étant donné que je faisais partie de la famille d’une des cibles dans les archives de l’Agence, on ne m’a jamais laissé approcher un de leurs contacts, alors j’ai préféré agir tout autrement.
-C’est vous qui avez commandité l’assassinat de Gregorovitch ?
-Non, justement, mais nous avons réussi à modifier les documents que vous avez reçu, grâce à un contact au sein même de l’Agence. Il n’a fallu ensuite qu’attendre pour que vous perdiez votre emploi.
-…
-Je suppose que vous avez envie de me tuer.
-Je suis en train d’imaginer toutes les manières de le faire. Briser une vitre et vous égorger avec un éclat, vous pousser hors de la voiture, tirer dans la tête de ce brave James puis dans la vôtre… si vous n’aviez pas de travail à me proposer, je vous aurai déjà tué depuis deux minutes au moins.
Beldingford esquissa un sourire. La voiture roulait déjà depuis un moment, et le véhicule s’enfonçait dans une forêt où la lumière était rare, on y voyait un marais nauséabond à proximité.
-Mais le travail est à la hauteur de vos précédents contrats. Je suis bien sûr moins influent que l’Agence, mais vous aurez suffisamment de matériel pour mener à bien nos propositions.
-Je veux de la protection. Des faux papiers, un véhicule qui m’amène sur le lieu où se trouve la cible, que l’argent me soit remis en main propre et que je puisse partir rapidement de la zone du contrat.
-Tout cela sera fait selon vos exigences. Nous avons deux jets privés, quatre bateaux et nous avons largement assez d’argent pour du matériel et des véhicules.
-D’accord, acquiesça 47. Parlez-moi de vos… « projets ».
-Nous en parlerons dans mon yacht, d’ailleurs, nous y voilà.
La voiture était sortie de la forêt depuis une centaine de mètres et s’était rapprochée d’une jetée déserte, où mouillait un énorme yacht, blanc comme la neige. Il y avait plusieurs gardes armés qui montaient la garde avec des Spas 12, et, sur le pont, un petit hélicoptère. La voiture se stoppa devant la passerelle, et James sortit le premier, puis alla ouvrir la portière de Beldingford.
-Allons parler de votre premier contrat dans ce sublime yacht si vous le voulez bien. Nous avons du whisky en plus !
Beldingford sortit sous l’œil attentif de James. Hitman aurait fait n’importe quoi ce jour-là pour trouver du poison et lui réserver le même sort que son neveu, mais il avait désormais un nouvel employeur qui, s’il faisait ses preuves, pouvait lui offrir autant de protection que l’Agence. 47 ouvrit la portière et sortit, tout en vérifiant que son Glock 17 avait la sécurité décrochée, et s’engagea sur la passerelle à la suite de Beldingford.

Chapitre IV: Complot

Le hangar était énorme, et surtout vide. Le sol était humide, il y a avait quelques caisses traînant dans un coin, et le plafond était situé à une douzaine de mètres de hauteur, sous d’épaisses vitres qui formaient une voûte. Il l’avait découvert en cherchant autour de la planque de l’Agence, un édifice qui permettait de faire sortir les membres très discrètement, et c’était l’endroit parfait. Le hangar était totalement désaffecté, il y avait des planches par-dessus les fenêtres, la neige s’y engouffrait et on avait l’impression que les poutres allaient s’effondrer d’un moment à un autre. 47 avait repéré un genre de porte de cave dans un coin, c’était sûrement par ici qu’on rentrait et sortait de l’Agence. C’était une double porte en métal rouillé, massive et imposante. Il s’en approcha et l’observa attentivement, pas de lasers autour, pas de détecteur de mouvement, aucune lumière ne filtrait en dessous. Il souleva légèrement l’un des battants et jeta un bref coup d’œil à l’intérieur. Il y avait un tunnel aux murs de béton usés par le temps, mais il voyait une lueur de l’autre côté. Il regarda par-dessus son épaule pour vérifier qu’il était seul, puis ouvrit la porte juste assez pour pouvoir s’y infiltrer et la referma silencieusement. Il y avait un interrupteur près de lui, mais il préférait rester très discret. Il s’approcha à pas de loups de la lueur de l’autre côté, c’était une lampe à néon installée près d’une intersection. D’après la disposition du tunnel, il devait logiquement partir devant et laisser le chemin à droite, mais tout pouvait être totalement différent. Il décida tout de même de continuer tout droit, chose on ne peut plus logique. Il n’entendait aucun bruit, rien. Sur la pointe des pieds, 47 s’approcha de l’angle du mur et observa le chemin de droite, un homme armé d’un MP5 à silencieux montait la garde. Ce n’était sûrement pas un mafieux, mais bien un membre de l’Agence pour porter une arme bien plus chère qu’un Ak-47, fusil de prédilection de la mafia. Hitman attendit qu’il ait totalement tourné le dos pour rapidement franchir le couloir et continuer de l’autre côté, dans la pénombre. Si un homme montait la garde là-bas, c’était qu’il avait quelque chose d’important à surveiller, et 47 se trompait peut-être de chemin, mais il fallait avant tout éviter l’assaut direct. D’ailleurs, s’il voulait avoir ses chances de retourner à l’Agence, il était stupide d’ouvrir le feu sur un de ses soldats. Il continua de marcher durant cinq minutes dans les ténèbres, ici son ombre était obsolète, ici il était un chasseur, il se sentait bien dans son élément : seul, sans compassion, sans âme, un tueur né.
-Qui va là ?
Hitman ne prit pas le temps de se retourner et s’engagea dans un couloir extrêmement obscur. Le garde qui l’avait vu observa les environs, alluma une lampe torche mais ne vit rien, Code 47 était déjà dans la chambre d’à côté, où pendait du linge encore humide. Il n’était pas assez prudent. Déjà au Sheraton Palace, il avait pris le risque de laisser son pistolet totalement hors de portée et avait failli faire une prise au serveur pour l’étrangler à la corde à piano. Sur le marché du Kremlin non plus, il aurait dû trouver une autre sortie… Il chassa toutes ces idées de sa tête et se concentra sur l’instant présent. Le garde n’avait rien trouvé, éteignit sa lampe torche et repartit faire sa ronde. 47 était dans le noir total, et on lui avait confisqué ses lunettes de vision nocturne après l’avoir mis à la porte. Il tâta le sol, il était froid, il ne semblait pas y avoir de chauffage, c’était donc probablement un tunnel de connection entre la planque de l’Agence et le hangar. Il finit par trouver une porte et regarda par la serrure : personne ne montait la garde de l’autre côté. En plus il avait aperçu au fond du couloir des escaliers et de la lumière, ce devait être ici. Il ouvrit doucement la porte et s’engouffra dans le couloir, qui était très faiblement éclairé par une ampoule à nu sur un mur, qui clignotait fortement. Il observa les alentours pour s’assurer qu’aucun garde n’était encore dans le coin, et s’avança dans les escaliers. Au sommet se trouvait une porte, celle-ci était très simple, en bois, mais avec un lecteur de carte à côté, et il ne se risqua pas d’appuyer sur la poignée. Il devait absolument faire vite, un garde pouvait arriver à tout instant, et c’est ce qui arriva, mais pas dans le sens souhaité. La porte soudainement au détriment de 47, et le garde qui venait d’abaisser la poignée resta sur son séant, ayant devant lui le tueur le plus célèbre dont on parlait actuellement parce qu’il s’était fait mettre à la porte. Hitman le prit par le col et l’attira vers lui, le plaqua contre le mur et ferma la porte dans le même geste. Un MP5 sanglé traînait à sa hanche, mais il était trop apeuré pour tenter quelque chose. 47 sortit le revolver d’une main et le plaqua sous la gorge de l’homme. Celui-ci se mit à trembler, et quelques larmes coulèrent sur son visage.
-Pitié, ne me tuez pas ! J’ai une femme, des enfants,…
-Je pourrais les tuer, répliqua du tac au tac un Code 47 plus noir que jamais.
Il le regarda alors d’une autre manière, les yeux exorbités, encore plus qu’avant.
-Non, ne leur faites rien, je vous en supplie !
Hitman poussa le revolver un peu plus loin dans la gorge de l’homme.
-Je ne te ferai rien, mais tu as intérêt à te taire et à m’écouter attentivement. Tu vas descendre les escaliers et entrer dans la pièce où pend le linge sale.
-Mais…
-Fais-le ! prononça 47 entre ses dents. Sinon je trouverai quelqu’un d’autre et les rats du quartier joueront avec ton cadavre puant !
-D’accord… murmura le garde.
-J’aime mieux ça.
Il descendit calmement les escaliers, Hitman sur les talons, quand il s’arrêta net, un pied sur le plancher. Il regardait dans un angle mort du tueur, il y avait quelqu’un, sûrement un autre garde, qui demanda, l’air étonné :
-Piotr… tu pleures ?
47 enfonça le revolver dans le dos du soldat apeuré. Si celui-ci était suspect, il serait repéré et ne pourrait plus prouver son innocence.
-Euh oui… commença Piotr, ma tante s’est… s’est fait percuter par un bus.
47 leva les yeux aux ciels, si l’autre garde était autant stupide que Piotr, il n’avait pas de souci à se faire.
-Ta tante ? s’étonna l’autre garde. Je croyais que tu la détestais ?
L’assassin silencieux serra les dents et enfonça d’avantage le pistolet dans le dos du garde qui articula difficilement :
-Oui, mais… elle est morte sur le chemin du notaire, elle était vieille et devait changer son testament à mon honneur.
L’autre soldat éclata de rire.
-Bon, prends ta journée Piotr, je te remplace. Comme ça tu pourras avoir une partie de ta paie gratuitement si tu tiens tellement à l’argent... Mais enlève-toi du passage, j’aimerais prendre les escaliers.
Hitman eut un sursaut en voyant une jambe du garde s’avancer, et se plaqua un peu plus contre le mur. Heureusement, Piotr l’empêcha de franchir le pas.
-Non… travailler me fera du bien, mais toi tu peux prendre ta journée si tu veux.
-Hein ? Mais pourtant tu…
-Ca ne fait rien, ça ne fait rien. Et comme tu dis, je ne l’aimais pas, cette vieille tante. Prends ta journée je te dis, et laisse-nous passer.
-Comment ça laisse-nous passer ?
Cette fois-ci, pris de colère, Hitman prit carrément les cervicales de Piotr entre ses doigts et commença à les serrer. Grâce à l’épais manteau de celui-ci, les gants de 47 étaient invisibles sur la nuque du garde, et il n’hésiterait pas à lui briser la nuque puis éliminer l’autre garde pour s’enfuir,
-Oui, moi et mon ego, je veux dire, se rattrapa Piotr. Allez, tu peux y aller.
-Sacré Piotr, répliqua l’autre garde. Toujours le mot pour rire, mais si tu insistes je m’en vais. À demain.
-Oui, c’est ça, à demain, dit Piotr en tremblant.
Hitman entendit l’autre soldat s’en aller, puis mit son revolver sur la tempe du pauvre Piotr.
-Tu es un imbécile ! J’aurais dû te briser la nuque ! Avance !
Il le poussa dans la pièce où le linge pendait, et lui mit un puissant coup de crosse sur la tête.

La secrétaire s’appelait Irina, elle avait un élégant chemisier et une jupe moyennement longue qui montrait néanmoins le reste de ses belles et longues jambes. La chose qui l’intrigua le plus chez l’homme qui entra à ce moment-là, c’est qu’il ne lui adressa aucun signe d’importance. Elle était très jolie, et les gardes de la planque ne se privaient en général pas de lui faire un commentaire agréable sur son style vestimentaire ou de lui dire chaleureusement bonjour. Ce garde-là était totalement extérieur à ses charmes, et ce n’était pas normal. Curieuse de nature, elle observa ce mystérieux homme qui s’engagea vers la salle des ordinateurs. Il s’assit à l’un d’eux, regarda à gauche et à droite, puis l’alluma et attendit qu’il se mette en marche. Elle réfléchit un peu : elle n’avait jamais vu ce type auparavant, mais il portait bien la même tenue que les autres gardes de l’Agence. Elle retourna à sa paperasse mais était obsédée par cette étrange individu, non pas parce qu’elle ne l’avait jamais vu auparavant, mais parce qu’un homme qui ne réagissait pas en face d’elle n’était pas un homme normal. Elle décida d’en avoir le cœur net, prit un tas de dossiers et se leva. Elle les posa sur le bureau de l’ordinateur adjacent à celui de l’homme, qui lui jeta un regard désintéressé avant de commencer à taper au clavier. Elle alluma l’ordinateur, fit semblant d’observer son dossier tout en jetant un coup d’œil à son curieux voisin. Elle se leva, mais jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Le dossier Gregorovitch… celui de la bavure deux jours auparavant. Qu’est-ce qu’un simple garde voulait savoir à propos d’un contrat de l’Agence ? D’ailleurs, il n’était même pas censé y avoir accès. Irina s’apprêta à lui demander de s’en aller quand le téléphone de son bureau sonna. Elle quitta des yeux l’étrange individu, et décrocha le combiné tout en gardant un œil sur le mystérieux personnage.
-Irina Korlokov ?
-Oui ?
-Ecoutez-moi attentivement, et faites comme si rien de grave n’arrivait.
-Mais qu’est-ce que… ?
-Ne faites aucun geste brusque, asseyez-vous à votre bureau et écoutez-moi calmement.
Irina prit peur, regarda autour d’elle et s’assit, en se demandant qui était cette mystérieuse femme qui lui parlait.
-Mais qui êtes-vous ?
-Appelez-moi Diana.
-Dia…
-Chut ! Est-ce que quelqu’un est connecté au serveur de l’Agence sur l’un de vos ordinateurs ?
-Oui, pourquoi ?
-Regardez sa nuque. Discrètement.
Irina jeta un coup d’œil rapide à la nuque de l’homme.
-Il y a un truc… on dirait un taouage.
-Nom de Dieu… ne bougez surtout pas, et empêchez-le de s’enfuir.
-Mais enfin, qu’est-ce qui se passe ?
-S’il tente de partir, faites-le patienter ! Ne le laissez surtout pas sortir de l’immeuble, cet homme est dangereux !
Pendant qu’Irina parlait au téléphone, elle ne voyait pas que l’homme, même avec un chapeau russe traditionnel sur la tête, transpirait abondamment. 47 avait bien sûr compris que l’appel ne venait pas de la part d’un client, et devait faire très vite. D’après les fichiers de l’Agence, les photos de Gregorovitch étaient bel et bien différentes de celles que Code 47 avait reçues, l’Agence n’y était pour rien, mais quelqu’un d’autre avait pourtant comploté contre lui. Quand à la différence d’heure entre le rendez-vous censé commencer à 21 heures, cela restait un mystère, étant donné que même dans le serveur ceci était annoncé. Un pirate informatique aurait eu accès aux données du serveur ? Très peu probable, l’Agence employait le même système de codage informatique que le Pentagone. Hitman était désormais sûr que l’Agence n’y était pour rien, et sa seule piste était désormais épuisée. Il se leva, prit le chemin de la porte, mais la secrétaire qui était au téléphone raccrocha soudain et se posa devant lui. Elle avait une tête de moins, et il paraissait vraiment effrayant vu d’en bas.
-Heu… commença-t-elle, je crains de devoir vous faire patienter ici.
-Pour quelle raison ? demanda-t-il d’un ton plus que sec.
-Eh bien je…
-Laissez-moi passer avant que…
-Est-ce que ça vous dirait de passer la soirée avec moi ?
C’était le premier truc qu’elle avait trouvé, et elle n’en était pas fière. Cela aurait marché avec n’importe qui. Hitman n’était pas n’importe qui. Il la bouscula et mit la main sur la poignée. Quand il ouvrit la porte, ce fut pour la refermer aussitôt, le bois explosant sous les rafales de MP5 des gardes qui montaient les escaliers quatre à quatre. Il était pris au piège. Il sortit rapidement son revolver, Irina cria ; Code 47 lui prit le bras et lui mit le revolver sous la gorge quand les trois gardes entrèrent.
-Non… Irina ! s’écria l’un d’eux.
-Un seul mouvement et sa tête va voler tellement de temps sur orbite que Youri Gargarine s’en retournera dans sa tombe, hurla 47. C’est clair ?
Les trois soldats hochèrent calmement la tête, tout en gardant leurs armes levées.
-Alors si l’un de vous veut « passer la soirée avec elle » un de ces jours, vous allez laisser vos joujoux sur le sol, et immédiatement !
Les gardes s’abaissèrent aux ordres de 47, et celui-ci observa les alentours. Il s’approcha d’une fenêtre, tout en continuant à menacer Irina qui se mit à pleurer silencieusement, sa lèvre inférieure tremblant au rythme de leurs pas. Le tueur ouvrit calmement la fenêtre de la main où il tenait son pistolet, tout en serrant le coup de la secrétaire, puis il la lâcha et la poussa vers les gardes. Elle s’affala sur le sol en pleurs, l’un des hommes courut lui remonter le moral, les autres récupérèrent précipitamment leurs armes et tirèrent sur la fenêtre qui vola bruyamment en éclats. 47 était déjà dans la rue, s’enfuyant le plus loin possible de Moscou et de l’Agence, de cette impasse et de cette sensation horrible d’avoir été manipulé. Sa vie de tueur était à laisser entre parenthèses le temps qu’il trouve une solution au problème Stepanov. Une fois de plus, il était seul contre tous.

Chapitre III: La traversée du désert

Moscou, 16 Mai 2008

Hitman était assis sur un banc de la place rouge, face au palais du Kremlin. Tout c’était pourtant passé comme d’habitude. On vient sur les lieux, on observe, on réfléchit, on agit. Sur les photos du dossier et celles de la vidéo, la personne qu’on lui avait prétendue Gregorovitch était en fait Stepanov. Il avait passé la nuit dans un hôtel, après avoir été jeté dans la rue, à la fin de l’interrogatoire. Tout s’était passé sans anicroche, ce n’était pas sa faute, et il comptait bien le prouver. Sur le journal étalé à côté de lui était noté à la une « Mort étrange d’un parrain de la mafia » suivi par un article qui parlait en détails de l’incident du Sheraton Palace. La première chose dont Hitman était quasi-certain, c’est que le chauffeur de Detroit ne faisait pas partie de l’Agence, et c’était donc que quelqu’un qui avait une dent contre lui l’avait engagé, idem pour le copilote qui lui avait apporté la cassette. Pourtant, les informations autres que les photos sur Gregorovitch étaient presque toutes justes, le chauffeur s’était donc procuré le dossier d’un des membres de l’Agence, qui devait manger les pissenlits par la racine à l’heure qu’il était. C’était un coup monté, il en était sûr, mais il ne voyait personne qui lui en voulait. Tous ceux qui avaient déjà participé à l’élaboration du projet de clonage en Roumanie étaient morts, et le clan du Dragon Rouge était détruit, ses membres ayant tous trépassé grâce à Code 47. Bien sûr, il y avait peut-être encore de la famille qui voulait sa mort, comme il l’avait vu avec Arkadij Jegordv. Mais c’était stupide, pourquoi ne pas le tuer ? Non, justement c’aurait été trop simple. « Quels que soient l'endroit ou l'heure, de jour comme de nuit, il ne pense qu'à une chose : la mort. » 47 ne savait que tuer, c’était son métier, son travail, sa vie à lui : enlever celle d’autres. Le mettre au chômage était le meilleur moyen de le faire mourir à petit feu. Il ne voulait plus avoir de la pitié pour les gens et se faire des amis, c’était bien trop dangereux, mais refusait de travailler ailleurs qu’à l’Agence. Non pas pour une question d’orgueil, mais parce que l’Agence lui fournissait protection et fausses identités. Devenir mercenaire était une idée, mais bien trop dangereuse, il n’aurait plus de couverture, et finirait également assassiné dans les quelques années qui allaient suivre, comme la plupart des tueurs à gages. Il le savait, et ne comptait pas laisser sa vie parce que ses employeurs étaient naïfs. Vivre avec son argent actuel était également possible, mais encore une fois la sécurité lui ferait défaut. Il fallait qu’il retourne à l’Agence, qu’il prouve son innocence. Mais il n’avait aucune piste… enfin, presque.

Il y avait un début à tout, et lors du contrat Crooney, Hitman avait reçu les instructions par une simple enveloppe, et dans celle-ci il était dit qu’il devait rejoindre le chauffeur quatre rues plus loin de la maison de Crooney après avoir assassiné celui-ci. La personne qui lui l’avait remise était inconnue, étant donné qu’il l’avait trouvée là où Diana le lui avait dit par téléphone, ce qui voulait dire qu’il y avait une taupe à l’agence qui avait modifié le document. Ce pouvait être n’importe qui, même Diana, bien que Code 47 en doutait fortement. La taupe pouvait être à l’Agence depuis des mois, et peut-être des années. D’ailleurs c’était bien plus probable, étant donné que si elle avait pu modifier un ordre de mission de leur meilleur agent, elle devait être une personne de confiance. L’Agence avait plusieurs planques, mais personne ne connaissait la base principale. Néanmoins Hitman connaissait l’emplacement de celle de Moscou, et c’était la seule chose sur quoi il pouvait compter. Le chauffeur s’était évanoui dans la nature, il ne lui restait que cette solution. Il était une heure du matin, les volets de la planque étaient fermés, mais on voyait de la lumière filtrer. Hitman était encore dans son costume Armani, mais n’avait plus aucune arme, sauf une qu’il s’était acheté au marché noir de la ville dans l’après-midi. Il avait acheté une paire de jumelles d’approche et s’était confectionné un croche serrures, quant à ses armes, ses vrais armes, elles tenaient en ce moment même les jumelles. Il était dans une chambre d’hôtel dégradée et minable. La planque de l’Agence était située dans l’une des rues les plus mal famées de Moscou, pour la discrétion sûrement. Les lumières étaient éteintes, et 47 observait attentivement le petit immeuble, tentant de trouver une entrée. La porte principale n’était pas gardée, mais à coup sûr protégée par un système qui déclencherait rapidement une alarme. Toutes les fenêtres étaient fermées, et aucun moyen d’escalader l’immeuble pour entrer par le toit. La seule solution était d’y entrer avec un déguisement, mais tout le monde devait connaître Code 47 là-bas, il était à nouveau dans l’impasse. Mais cette fois-ci, il était seul. Il observa l’immeuble toute la nuit, rien ne bougea. À sept heures et demie, le soleil commença à se lever, illuminant les immeubles de la capitale soviétique. Le ciel était clair et parsemé de nuages. Code 47 posa ses jumelles et recommença à réfléchir, quand il vit quelqu’un sortir de l’immeuble. Il s’empressa de prendre ses lunettes pour vérifier, c’était bien un homme de l’Agence, qu’il avait l’impression d’avoir déjà rencontré. Rapidement, il mit ses jumelles dans son Armani, enfila une chaude veste et mit un bonnet pour cacher son crâne chauve. Il descendit quatre à quatre les deux étages qui le séparaient du rez-de-chaussée et se mit à courir dans les quartiers froids et sales de la banlieue de Moscou. Comme à Denver, il y avait des trous dans le sol remplis d’eau de pluie sale, l’hiver était juste fini en Russie et des tas de neige fondue collaient encore aux immeuble. 47 ne devait pas être découvert, et fut forcé de contourner la planque de l’Agence, mais il savait dans quelle direction l’homme était parti. Il le retrouva sur un trottoir, marchant au rythme de la foule, affalé d’un simple jeans et d’une veste en cuir, et il le reconnut, c’était le chauffeur qui l’avait amené au Sheraton Palace. Il le suivit à distance, armé uniquement d’un simple revolver. Il l’avait acheté dans la journée précédente à un marchand d’armes de la mafia, qui ignorait qu’il venait de vendre son matériel à l’homme qui avait tué le parrain du coin. Il aurait très bien pu se trouver un Ak-47 pour quelques dollars de plus, mais il devait rester discret, un simple revolver à six coups lui suffisait. L’homme accéléra la cadence, comme s’il craignait d’être suivi, mais 47 marcha à la même allure parmi la foule dense, sinon sa proie aurait pu se douter de quelque chose. Il le suivit durant dix minutes, l’homme ne tournait pas en rond, et ne craignait donc pas d’avoir quelqu’un à ses traces, et pourrait le mener loin. Il subsistait encore une zone d’ombre dans toute l’histoire. La vidéo de briefing qu’il avait vue dans le jet était trafiquée, étant donné qu’on y voyait des photos de Stepanov alors que la cible était Gregorovitch, mais c’était seulement la vidéo elle-même, la voix de Diana lui indiquait clairement qu’on l’amènerait en camionnette devant le Sheraton Palace. Trois possibilités étaient donc possibles : soit Diana était un traître ou avait agi sous menaces pour lui donner de fausses infos, soit le chauffeur ici présent était également un traître qui s’était débarrassé d’un membre de l’Agence, soit il pistait tout simplement un agent totalement innocent, qu’on avait uniquement changé les photos de la vidéo et qu’il avait trop de soupçons. Lorsqu’il vit l’homme entrer dans une boulangerie et en ressortir avec un sac rempli à ras bords de croissant et de petits pains, il comprit que la troisième solution était la plus probable. Il pourchassait un fantôme, il n’allait pas dans la bonne direction. La planque de l’Agence restait en éveil 24 heures sur 24, et on envoyait quelqu’un prendre de quoi manger de temps en temps, il n’y avait aucune chance pour qu’il puisse y entrer. Mais ceci lui apporta un autre élément très important et d’une logique évidente. Les personnes présentent à l’Agence ne pouvaient rester enfermées là-bas toute leur vie sans jamais sortir, il devait donc y avoir une autre entrée, peut-être un parking souterrain. D’ailleurs, en y repensant, il n’avait vu l’homme sortir précisément de la planque, et avait bien fait de suivre son intuition en le pistant. Désormais il savait qu’il y avait un moyen pour y entrer, il suffisait juste de le trouver.