Il l’avait prévenu ! Bon Dieu, Beldingford était un malfrat décidément très mal organisé… s’il continuait ainsi, la couverture de Hitman ne tarderait pas à être compromise. Celui-ci, marchant dans l’ombre d’un tunnel souterrain, hurlait dans sa radio :
-Je me fous de savoir ce qui est arrivé ! Passe-moi Beldingford !
Peter était tendu, Code 47 encore plus. Si le jeune homme de main avait vu son visage plongé dans la pénombre du tunnel et de sa propre colère, il aurait probablement accéléré le pas. À côté du tueur, une bouche d’égouts, ouverte, laissait entrer un filet de lumière éblouissante, remplie de poussières en tout genre. L’endroit était insalubre, tagué de partout, et l’odeur était insupportable. Ce qui n’était pas pour irriter Hitman.
-C’est la deuxième fusillade de ce genre à cause de son manque de professionnalisme ! Je dois lui parler, et je vais lui parler. Si ce n’est pas le cas, tu peux commencer à creuser ta tombe petit, je ne vais pas me faire attendre…
-Bien, bien. Il est en pleine discussion avec un… client, mais je vais vous le passer, par appel indirect.
Il boucla. Hitman rangea sa petite radio, et sortit son CZ 2000, qu’il avait trouvé dans la petite armurerie que Peter lui avait léguée, dans un sac de sport. Il le soupesa, observa son reflet noir sur la culasse longiligne de l’arme, puis tira celle-ci vers l’arrière, pour vérifier que la balle était bien dans la chambre. Elle l’était, et d’après son poids, le chargeur éteint plein : parfait. Mais une douleur lui perfora l’abdomen, et il mit sa main à son ventre, grognant de douleur, se forçant à ranger son arme bien que n’importe quel ennemi pouvait le surprendre durant ces quelques instants de faiblesse. Il enleva le haut de veste, et observa quelques instants la tache rouge qui s’était agrandie sur tout le côté de sa taille. Ce n’était qu’une égratignure, la balle l’ayant traversé, mais le sang lui coulait sur la jambe et lui collait les pantalons à la peau. Il prenait de l’âge, il devenait faible, et ce n’étaient ni une perte massive de sang ni le fait de jouer au Petit Poucet avec sa propre hémoglobine qui allait l’aider. Il enleva la chemise tâchée, la roula en boule et la jeta dans les vagues puantes et remplies de déchets qui sillonnaient derrière une petite barrière, disparaissant dans l’ombre derrière une grille. Les rayons solaires illuminèrent sa musculature, qui même si elle était devenue moins impressionnante à la quarantaine, était restée solide et largement assez utile contre n’importe quel ennemi, son réel atout au combat étant avant tout son sens des priorités et sa maîtrise de l’art du combat… et du meurtre. Ses instincts développés au fil du temps, son intelligence, telles étaient ses réelles armes. Tandis qu’il désinfectait la plaie avec de l’alcool, sans geindre le moins du monde, la radio recommença à émettre.
-47, vous êtes là ?
C’était Beldingford. Lentement, Hitman laissa de côté la bande de gaze et le pansement dont il comptait se servir et saisit le récepteur.
-Oui.
Il observa sa blessure, qui ne semblait pas nécessiter de manière urgente de points de sutures, et appliqua le pansement, puis commença à dérouler la bande, tenant la radio entre sa tête et son épaule.
-Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Beldingford d’une voix crue. Vous savez que je suis occupé.
-Si je ne suis plus là pour vous, ce seront Interpol et le FBI qui vont s’occuper de vous. Et pour l’instant, ce que vous me proposez n’est pas assez.
-Vous voulez que j’augmente votre salaire ?
-Non. Je veux un terrain complètement déblayé avant d’entrer en jeu.
-Qu’est-ce que vous voulez, exactement ?
-Je viens de vous le dire. J’exige autant une excellente protection que travailler dans mes règles. Je vous avais prévenu que travailler à Manhattan serait dangereux.
-Nom de Dieu 47, il s’est passé quelque chose ?
Hitman commença à enrouler la bande autour de son corps, la faisant passer autour de lui avec une étrange habileté. Mais il ne répondit pas.
-47 ! continua Beldingford. Que s’est-il passé ?
-On dirait que Lenny James est toujours sur mes traces. Vous avez fait vérifier le faux passeport ?
-Celui de Bradley Kyle ? Un de mes contacts l’a fait authentifier il y a deux mois !
-C’est trop. D’ailleurs je l’ai utilisé plusieurs fois. Trouvez-m’en un autre.
Il finit d’enrouler la bande, puis déchira un morceau de sparadrap et finit ainsi de soigner sa légère blessure.
-D’accord, mais ça ne répond pas à ma question ! Vous avez eu des ennuis ?
-Les forces d’interventions sont entrées dans l’immeuble. J’ai été obligé d’en tuer trois.
Un silence, révélateur. L’assassin empoigna le haut de son costume, vérifia qu’il n’y avait pas beaucoup de sang dans l’intérieur noir, et enfila rapidement le tout.
-Je vois… mais vous auriez pu limiter les pertes !
Sa voix, au départ calme, s’était muée en un terrible rugissement.
-C’était le minimum pour pouvoir m’enfuir. Si j’avais voulu réellement avoir toutes les chances de rester en vie, j’aurais tenu l’un de ces gars en otage et me serais servi de son fusil en même temps… puis j’aurais probablement repeint les murs avec les entrailles de ces flics. C’est uniquement, purement et simplement votre faute.
Il boutonna son costume, et rangea sa cravate rouge dans une de ses poches. Il n’avait plus de chemise en dessous… c’était presque préférable avec cette chaleur, au-dehors !
-Bien, fit Beldingford d’une voix soudain plus calme. Je vous où vous voulez en venir. Je vais faire réviser tous vos faux passeports et pièces d’identités, vous faire transiter uniquement par jet privé et voitures avec chauffeur de confiance.
-Parfait, répondit Hitman d’une voix neutre. Envoyez un chauffeur m’attendre dans le parking souterrain de l’immeuble, dans une voiture d’une marque allemande, qui écoutera de la musique techno… si je ne suis pas là-bas demain matin, je suis mort ou je me suis fait pincer. Maintenant, si vous permettez, j’ai un contrat à finir.
Sans dire un mot de plus, il lança la radio dans les flots dégoûtants et commencer à remonter vers la surface, le soleil lui éblouissant le visage.
Lenny James venait d’avaler un gobelet de café noir et sans sucre d’une traite, et avait aboyé à Mike, d’une haleine dont celui-ci dut se souvenir longtemps, d’aller lui en chercher un autre. Forthy était à côté de lui, pensif. L’agent d’Interpol se tourna vers lui, soudain plus calme, prêt à prendre les directives pour stopper 47 :
-Inutile de continuer à chercher ici, il est en liberté dans Manhattan. Alertez les commissariats de l’île, d’Harlem, du Queens, de Brooklyn… tous ! Faites organiser des barrages aux ponts qui enjambent l’East et l’Hudson River, faites patrouiller des navires dans la baie et des hélicoptères autour des toits des gratte-ciels… il ne faut pas le laisser s’enfuir !
Forthy, assis sur une chaise à côté de lui, se contentait de l’observer d’en bas, les yeux levés, comme un malentendant qui n’avait pas compris ses paroles. Il mit un certains temps à répondre, se redressant lentement sur son siège.
-Je crois qu’il est tout aussi inutile de discuter avec vous, finit-il par dire d’une voix calme. Vous devez aussi bien savoir que moi, vous avez travaillé ici il me semble, que faire mobiliser toute la police de New York pour retrouver, dans une ville de plus de sept millions d’habitants, un tueur à gage normalement décédé alors que les fusillades, les règlements comptes et les trafics de drogue font rage dans la rue est totalement et tout bonnement impossible. C’est une ombre qui nous a échappé, pas un idiot déguisé en sapin de Noël.
L’argument de Forthy avait fait choc dans l’esprit de Lenny James, et un long frisson, malgré la chaleur, lui remonta le long de la colonne vertébrale. La persévérance faisant partie intégrale de sa vie, si ce n’était sa vie toute entière… Code 47 lui avait échappé de nombreuses fois, et il savait que chacune pouvait être la dernière. Et il se trouvait à nouveau dans l’impasse, démuni, ne sachant pas si une pareille opportunité se représenterait un jour. Il ne voulait pas échouer… ne pouvait pas échouer. C’était également le dernier moyen de prouver à Interpol que le tueur à gages était encore en vie. Ses supérieurs lui demandaient chaque jour des preuves de son activité, des rapports, et la tension entre le molosse et le reste du réseau devenait très tendue. Mais prouver qu’il n’était pas mort, et l’arrêter, étaient autre chose qu’une simple question de place de travail, c’était devenu une chasse, une poursuite enragée dont le seul moyen d’en sortir était d’en être le vainqueur. S’éloignant de ses pensées sur son importance au sein d’Interpol et de ses convictions intimes, il allait prendre le café que lui tendait Mike, revenu rapidement de la machine, quand son téléphone portable sonna dans sa poche. Il laissa le café dans la main tendue de l’informaticien, qui resta dans cette position d’un air idiot, ne se risquant pas à boire le café du patron, alors que celui-ci sortait l’appareil de sa poche.
-Lenny James, fit-il d’un ton neutre en mettant le téléphone à l’oreille.
-Ici Carl, fit une faible voix d’homme. La police vient de retrouver l’uniforme de Jefferson dans la rue, je l’entends sur leur fréquence.
Au même moment, la radio de Forthy grésilla ; James eut un sourire.
-Quoi, encore ? demanda-t-il d’un ton posé.
-On a peut-être une piste.
Il l’écouta attentivement, alors que Forthy tentait de lui annoncer maladroitement que 47 se baladait en ville sans son uniforme de Swat.
En haut de son appartement, Dougall avait fini d’observer l’agitation qui avait lieu en bas de la rue, toujours accoudé sur la rambarde, l’air pensif.
-On dirait que la police a quelques problèmes, fit-il alors qu’Edward sortait sur la terrasse.
-J’ai fini de préparer les affaires pour le voyage vers Berlin, dit celui-ci avec une certaine peur dans la voix.
-Bien… faites-moi couler un bain, je vais aller prendre un whisky.
S’éloignant lentement de la petite barrière, Dougall s’avança dans son living-room, et ouvrit avec précaution le tiroir d’un petit buffet, qui contenait de l’alcool en tous genres. Boire était, pour Dougall, un moyen d’oublier ses soucis durant un instant, et le stress intense qui pesait au-dessus de sa tête. Il écarta les bouteilles de gin et de vodka, et pris délicatement celle de whisky, saisissant ensuite un fin petit verre en cristal. Il fit couler le liquide dans le verre avec adresse, puis rangea le tout de manière toute autant attentionnée, avant de partir s’asseoir dans un canapé de couleur rouge foncé. Le living-room semblait énorme, mais ce n’était en fait que la décoration, épurée, qui donnait cette impression. La moquette était de couleur claire, beige probablement, et les murs blancs décoré par quelques endroits de tableaux en tous genres, autant modernes et particuliers que classiques et impressionnants, dont un de Dougall lui-même à la Andy Warhol. Il lui avait été offert par un homme d’affaire irlandais, après que le requin de la finance ne lui ait conseillé de vendre à un prix plus que risible des dizaines d’actions d’American Airlines… deux semaines avant le 11 Setpembre. Bien sûr, ces prix plus que risibles étaient tout de même supérieurs à ceux auxquels on vendait les actions après les attentats, et l’Irlandais, même s’il n’avait jamais flairé la bonne affaire, lui avait également fourni assez de scotch pour le restant de ses jours. Dougall eut un petit sourire entre deux gorgées d’alcool, en y repensant. Son succès…
Il avait engagé, dix ans plus tôt, un expert en informatique qui l’avait connecté à Internet et à tous les réseaux d’informations mondiaux… Dougall était plus qu’un simple homme d’affaire, c’était un homme qui avait le pouvoir sur le monde, d’une certaine manière, sur son petit monde de Wall Street. Le réseau que cet informaticien, qui avait mystérieusement disparu quelque part en Alabama un mois après son installation, lui permettait d’observer toute la documentation des agences du monde entier. Les connections aux ordinateurs du monde entier étaient considérées comme les plus efficaces jamais réalisées par son créateur, même aux débuts d’Internet. Elles étaient invisibles, impossibles à détecter, et après dix ans d’intenses manipulations informatiques dans toutes les agences mondiales, en découvrir l’existence était devenu quasi-impossible. Dougall avait le pouvoir de connaître les décisions de toutes les agences gouvernementales américaines, de tous les gouvernements au monde… de tous les ordinateurs connectés sur cette planète. Il but une autre gorgée de whisky, observant le ciel dégagé à travers les larges baies vitrées de l’appartement. Il savait quoi vendre, quoi acheter, qui manipuler, avec qui devenir associé… il était devenu le monarque absolu d’un empire en allant espionner tous les paysans du bas pays. Son réseau avait suivi les progrès d’Internet sans problème, et il était encore dans son état initial : parfait. Son créateur était un génie. La seule chose que Dougall avait réellement pu prévoir, c’était l’importance de l’informatique.
D’après l’IRS (le fisc américain, ndla), sa fortune se montait à six milliards de dollars… en vérité, c’était le quintuple. Il éclata de rire au beau milieu de son appartement, songeant au fait qu’il avait caché les fichiers informatiques contenant l’argent numérisé des comptes en question du cœur même du réseau de l’IRS… Il était intouchable, il était invincible.Du moins c’est ce qu’il pensait.
vendredi 22 février 2008
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