Hong Kong, 8 Juillet 2008
-47, j’ai une nouvelle mission pour vous.
-La ligne est sécurisée ?
-Bien sûr…
Hong Kong, minuit et demi. La fenêtre était encore ouverte, laissant entrer dans la petite chambre plongée dans le noir une odeur de vieille friture qu’on avait jetée dans la rue et de gaz carbonique. Le Beretta dont s’était servi 47 était quelque part dans les égouts, le garde de l’Agence qu’il avait anesthésié le jour même probablement encore en train de dormir dans l’armoire, ou alors à raconter sa mésaventure à ses supérieur. De toute façon, pour eux, il était trop tard pour le retrouver.
-Vous avez un numéro de fax ? fit la voix de Beldingford
-Oui, je crois, répondit l’assassin d’une voix calme.
Il se leva, alluma sa lampe de chevet et partit en direction du fax, revenant quelques instants après pour donner son numéro à Beldingford.
-Qui est la cible ?
-Un requin de la finance… il a déjà coulé des dizaines d’entreprises pour sa fortune personnelle, estimée à six milliards de dollars. Je vous envoie sa photo.
Alors que le fax commençait à cracher le visage de l’homme, Hitman se rendit compte rapidement et avec un dégoût non retenu que ce n’était autre que la troisième personne qu’il avait aperçue sur le jeu de l’homme dans l’avion ; le huit de cœur, l’homme au visage maigre et squelettique.
-Un nom ? fit 47 en fronçant les sourcils, le combiné de l’appareil collé à ses oreilles sur son épaule.
-Aaron Dougall, qui tient une agence de placement à Wall Street.
Durant un instant, Hitman arrêta de faire le moindre geste, la bouche légèrement ouverte, les yeux écarquillés.
-Wall Street ? J’espère que notre contrat ne va pas se passer en plein Manhattan !
-Je crains que si…
-Non. La police de New York doit avoir ma photo sur tous leurs placards depuis que je me suis infiltré dans le commissariat de Brooklyn pour mettre une balle entre les yeux de leur chef corrompu!
Il se sentait à nouveau comme une petite marionnette dont les fils étaient de véritables chaînes. Le client était probablement bidon, la cible devait avoir été choisie pour une raison quelconque par son nouveau patron, comme pour Petersen. Une raison encore inconnue que ce dernier ne semblait pas être prêt à donner… Et il n’était pas idiot, et devait se douter que 47 était en train de se rendre compte de quelque chose. Mais d’autres pensées retentirent dans l’esprit du tueur : Gregory Neill, où était le lien avec lui ou Beldingford ? C’était simplement son contact qui avait en sa possession la photo cachée de deux des cibles du tueur… et aucun lien direct ! Et Lenny James qui accompagnait Petersen il y avait encore trop peu de temps ! Fronçant les sourcils, 47 se mit à penser qu’il aurait peut-être dû coller une balle dans le crâne de ce rat de Beldingford en Floride, quand il n’était pas trop tard…
-47, vous êtes là ?
-Oui.
-Vous avez encore le passeport de Bradley Kyle en votre possession ?
-Oui.
-Utilisez-le pour vous payer un vol à New York. Je vous retrouverai à l’hôtel Four Season, chambre 428, et vous donnerai un briefing en profondeur ainsi que votre équipement.
Alors que Beldingford s’apprêtait à raccrocher au nez du tueur, le combiné commença déjà à biper l’appel absent à son oreille.
-Une ligne sécurisée, mon cul oui ! s’écria Mike, enlevant son casque des oreilles.
-On dirait bien que mon vieil ami ne s’est pas rangé, ajouta Lenny James, un café noir et puissamment aromatisé entre ses doigts.
-On avertit la police de Manhattan ? demande l’informaticien avec un regard franc.
Le molosse réfléchit un instant, puis déclara d’un air sérieux :
-Non, fais simplement passer son portrait robot et dis-leur de nous fournir toutes leurs infos. Prends un vol pour New York.
New York City, 9 Juillet 2003
La chambre était d’une blancheur éclatante, et que ce fussent les murs candides ou les draps couleur crème, toute la suite resplendissait de cette pureté que seul l’Armani noir de Code 47 venait briser. Les mains dans le dos, il observait les immeubles de Manhattan, gris, ternes ; le meilleur endroit pour se cacher de ses poursuivants. Mais pour Dougall, ce n’était pas un poursuivant comme un autre. C’était Hitman.
-Le ciel est d’une pureté extraordinaire aujourd’hui, n’est-ce pas ? déclara soudain Beldingford, qui se servait un verre de whisky d’un petit buffet en bois fin.
-Vous savez très bien que je n’aime pas travailler dans ces conditions, répondit 47 avec une voix grave.
Le ciel était vraiment bleu. Et alors ?
-Vous êtes un professionnel pourtant.
-Quand un professionnel a la moitié des polices du monde a ses trousses, mieux vaut ne pas se jeter ainsi dans la gueule du loup. Vous avez d’autres infos ?
L’Anglais ne semblait pas être pressé. Un costume bleu marin et une cravate turquoise ne semblaient pas vouloir dire le contraire, tout comme le whisky qu’il n’avait pas encore porté à ses lèvres.
-À peu près, fit-il en donnant une enveloppe à 47.
Le tueur la prit avec un grand calme, son regard se portant droit dans les yeux de Beldingford. Un de ses doigts l’entrouvrit ; elle contenait trois photos de Dougall, des plans de l’immeuble et des photos prises par les caméras.
-Mieux vaut ne pas s’en occuper dans l’immeuble où il travaille. Même si c’est un requin, les petits poissons ont une grande gueule dans le coin.
Il commença à sourire pour inciter 47 à rire, ou alors simplement paraître amusé, mais celui-ci ne put que le stopper net avec son regard venu tout droit des plaines fantomatiques et effrayantes de son esprit.
-Bref, continua-t-il. On a pensé à mettre une bombe sous sa voiture, mais notre client ne désire pas attirer l’attention, ni ne faire de dommages collatéraux.
-Du poison ? demanda Hitman.
-Nous vous en fournirons si vous voulez… mais il ne boit que de l’eau, qui doit probablement venir de distributeurs, et nous ne tenons pas non plus à empoisonner la citerne, ce serait de la folie pure, nous ne sommes pas là pour annihiler son entreprise en tuant tous ses employés. Ah, j’allais oublier, fit-il avec de grands gestes, il y a quelques détecteurs de métaux, donc évitez de vous y jeter avec vos Ballers. Nous vous laissons donc le champ libre sur cette affaire… mais en vous fournissant tout de même de quoi vous aider ! Peter !
Beldingford claqua des doigts, et un jeune homme d’une trentaine d’années entra dans le salon, une mallette noire à la main. Les cheveux brun clair coupés court, une légère barbe sur le visage et un costume en soie lui donnaient l’air autant ingénieux que secrètement dangereux. Il jeta un regard étrange à 47, comme s’il voulait bien être sûr qu’il était face au célèbre assassin silencieux, puis posa la mallette sur une petite table.
-C’est une nouvelle recrue très prometteuse, fit Beldingford en guise d’écho.
Peter ouvrit la mallette avec assurance, et en sortit plusieurs pièces d’une singulière arme qu’Hitman avait l’habitude d’utiliser, autrefois.
-Vous connaissez bien ce modèle, je crois, dit Beldingford alors que Peter arrangeait les différentes pièces du W2000 sur la petite table. Si vous voulez, on peut arriver à vous trouver un bureau qui donne vue sur les quartiers de Dougall, et il vous suffira de tranquillement l’abattre à distance.
47 ne dit plus mot, prenant le temps de réfléchir à chaque problème qui pourrait se poser à lui, et déclara finalement dans un ton très posé :
-Ca devrait pouvoir se faire, oui… Mais trouvez-moi une fausse carte d’identité en béton, les flics de Manhattan sont des durs à cuir depuis le 11 Septembre. Je ne vais pas arriver à passer dans les bureaux sans passer cette mallette dans un détecteur de métaux si je n’ai pas de carte d’identité adéquate.
Beldingford fit la grimace, et Peter continuait d’observer 47 d’un œil étrange.
-Ca va être dur… Dougall doit partir demain pour un congrès quelque part en Europe, et je ne pourrai probablement pas vous avoir de laissez-passer d’ici-là…
-C’est vous le patron, déclara Code 47. Si vous voulez que je prenne des risques, c’est d’accord. Mais ne venez pas vous plaindre si demain le Times annonce qu’une demi-douzaine de policiers se sont fait abattre en tentant d’arrêter une homme avec un fusil de sniper dans une mallette.
Personne ne dit plus mot, et Hitman jeta à nouveau un coup d’œil aux photos des caméras, dans l’enveloppe. Elles ne permettaient quasiment aucun angle mort ; il faudrait espérer qu’il en était autrement dans les immeubles alentours.
-Son vol pour Berlin décolle demain à 17h34, dit Beldingford d’un ton noir. Poursuivez-le jusqu’en Allemagne si l’envie vous en prend, mais débarrassez-nous de lui.
Il claqua des doigts, et Peter le suivit alors qu’il sortait de la pièce. Hitman resta seul dans la chambre lumineuse, observant la porte se fermer, et le verre de whisky sur la table, dont Beldingford n’avait pas bu une seule goutte.
Le capitaine Forthy était une tête connue au commissariat principal du NYPD, à Manhattan. Il avait traqué un nombre incroyable de criminels et autant dire que tous les malfrats du coin se terraient sur son passage. Il n’hésitait pas à se servir de son arme de service au moindre petit ennui, et avait déjà à son tableau de chasse une trentaine de têtes, autant des délinquants que de sombres tueurs. Étonnamment, il n’était pas particulièrement massif, même plutôt gros, dégarni et mal rasé. Mais quand il entrait dans une pièce, si ce n’était son regard qui vous fusillait, c’était lui-même. Aussi, lorsqu’il vint prendre son café ce jour-là dans la petite salle de détente du commissariat et laissa tomber sa tasse au sol, ébahi, en voyant à une affiche placardée au mur que Code 47 était recherché par Interpol sur Manhattan même, le reste du service ne tarda pas à faire grand bruit de tout cela. Forthy avait eu affaire à 47 ; il était lieutenant dans le commissariat de Brooklyn quand l’assassin avait abattu le commandant Chanders dans son bureau même, en plein jour. Et la chose qui rendait Forthy encore plus hargneux, c’était probablement que 47 était allé le tuer avec la propre arme de service qu’il tenait à sa ceinture, avec ses habits, pendant que lui était dans les toilettes, dans ses songes, une bosse de la taille d’un œuf sur le crâne.
Le téléphone de l’assassin sonna.
Ses doigts étaient tendus. Sa respiration et sa position parfaites. Il observait les appartements de Dougall à la lunette de son W2000 depuis trois heures.
Son téléphone sonna à nouveau. Un tintement autant énervant que déconcentrant.
-Nom de Dieu !
Posté en équilibre parfaite sur la rambarde, il posa la crosse du fusil au sol pour le laisser appuyer contre la barre et mit calmement une jambe à terre, puis empoigna avec rage le téléphone portable qui continuait de grésiller sur la table de la terrasse.
-QUOI ? Hurla-t-il en ouvrant le combiné.
-On a un problème.
C’était Peter. 47 tourna la tête et observa l’immeuble d’en face ; personne, du moins il lui semblait. Seul le reflet d’un hélicoptère survolant l’île était visible sur les parois de l’immeuble.
-Qu’est-ce qu’il y a ? demanda l’assassin.
-Eh bien, il semble que Lenny James ait envoyé votre portrait robot aux polices de New York.
-On se demande bien comment il sait que je suis à New York, grommela l’assassin entre ses dents.
Peter avait entendu, mais ne répondit rien. 47 tourna sa tête vers le ciel d’un puissant bleu, et sa tête fut fouettée par une petite brise. Quelque chose le dérangeait. Le vent pourrait fausser la trajectoire de la balle, c’est vrai, et à plus de cinquante mètres de distance ce sera corsé, même s’il avait toujours été doué en tir. Ou alors est-ce que c’était le manque de discrétion de Beldingford ?
-Et alors, où est le véritable problème ? finit par demander Hitman après un petit silence.
Chaque seconde à parler avec ce bleu pouvait être l’unique seconde de la journée où Dougall partirait observer la ville à une fenêtre. C’était peut-être ça le problème… il ne viendrait pas.
-Vous avez dû passer devant des gardes de sécurité avant de prendre l’ascenseur, observa Peter d’une voix forte.
-Oui. Il n’y avait aucun détecteur de métaux dans ce bâtiment.
Le problème venait peut-être des infos de Beldingford… non, en fait non. Même s’il n’était pas très efficace, toutes les informations qu’il lui avait fournies étaient plus ou moins exactes. Ou alors est-ce que c’était simplement le fait qu’il se savait vieux et qu’il tirerait moins bien qu’avant ? Mais où était ce putain de problème qui était bordé par les vagues de son inconscient ?
-Eh bien le garde a dû vous…
-NYPD.
-Quoi ?
Le reflet. Sur l’immeuble. Un hélicoptère. Un hélicoptère de la police.
-47, un problème ?
Hitman tourna sa tête avec effroi pour apercevoir l’hélicoptère s’avancer vers le toit de l’immeuble, les sombres forces d’intervention déjà dans l’encadrement des portes, prêtes à descendre en rappel, en train de vérifier leur armement.
-47, est-ce que vous… ?
La communication coupa aussi sec.
vendredi 22 février 2008
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