85e étage. L’ascenseur s’arrêta net, avec un léger recul. Il était maintenant question de ne pas faire trop de bruit, pour ne pas éveiller l’attention de la demi-douzaine de personnes qui se trouvaient à quelques centimètres à peine de Code 47, sous le plafond, qui observaient le vide dans un profond silence qui pourrait bien trop facilement permettre d’entendre le moindre craquement sur le toit. Il se déplaça avec une certaine lenteur jusqu’au bord de la cabine puis, lorsque celle-ci reprit sa course vers les sommets sombres et métalliques de l’immeubles, l’assassin, dans un petit saut élégant et maîtrisé, s’accrocha à l’échelle de secours qui parcourait tout le long de la cage. Il attendit quelques secondes que l’ascenseur disparaisse dans la pénombre, et attendit quelques secondes également que ses yeux lui permettent de percer celle qui l’entourait. Il ne voyait pas le fond de la cage, ni le haut. Pas question de tomber… ni de monter trop haut. Aaron Dougall devait se trouver à quelques mètres de lui ; Lenny James était sur ses talons. Ses préoccupations étaient ailleurs que de faire une erreur. Lentement, 47 tourna la tête, mais ne put rien apercevoir, de nombreuses poutres d’acier lui bloquant la vue. Prudemment, il lâcha une des mains des barreaux de l’échelle et s’appuya contre une des poutres, observant soigneusement le meilleur moyen d’entrer dans les appartements de Dougall. Et il le repéra bien vite : une petite grille d’aération, suffisamment grande pour lui permettre de passer… mais loin de l’échelle.
Lentement, ses pieds bien accrochés aux barreaux froids, il lâcha son deuxième bras et l’appuya également sur la poutre, laissant son corps ainsi au-dessus du vide, balayé par un vent froid et sec qui traversait son uniforme. De sa main droite, il tâta un tuyau collé au mur, apparemment non brûlant, auquel il s’accrocha rapidement de ses deux mains, laissant tomber ses jambes au-dessus du vide. Mais le tuyau était légèrement glissant, et il fallait dire que la situation n’était pas gagnée pour Code 47… Heureusement, il profita de son élan pour s’élancer au-dessus du vide et s’accrocher à celui qui se trouvait juste à côté. Reprenant son souffle et son courage après ce soudain instant kamikaze, il commença à avancer. Une main après l’autre, le bout des pieds sur les murs sombres et granuleux, il traversa rapidement la distance qui le séparait du panneau, qui se trouvait à un mètre au-dessus de lui. Lâchant à nouveau sa main droite, il empoigna un tuyau, vertical celui-ci, et, après sa rapide ascension, resta accroché à celui-ci et observa la grille d’aération.
-J’aurais dû m’en douter…
Des rayons lasers. Quatre, disposés en croix, devant la grille. Invisibles à l’œil nu. Pas leurs dispositifs en petits tubes métalliques.
Et un grondement profond, venu des entrailles sombres et profondes de l’immeuble. 47 poussa un juron… pas maintenant, non, pas maintenant…
Il observa, avec une rapidité effarante, les environs de la grille pour trouver un petit boîtier, dont il arracha le ridicule cadenas d’un coup de main, qu’il envoya valser dans les airs. L’intérieur était un entremêlement de fils de toutes les couleurs… Mieux valait ne pas arracher celui qui était relié à l’alarme, ni celui qui était directement relié aux faisceaux lasers. Il faudrait arracher ceux qui se trouvaient à l’intermédiaire, et faire croire à l’alarme que les lasers étaient encore en état de marche.
Le grondement recommença, un peu plus fort. L’ascenseur venait directement dans la direction des tuyaux… et de 47.
Celui-ci grogna, et commença à démêler les fils. Une perte de temps, malheureusement nécessaire. Le terme sac de nœuds était un réel optimisme que 47 ne se permettait pas de s’imaginer. Les fils étaient tordus, enroulés entre eux, se séparaient en des jonctions atteignaient diverses sorties, emplissant ainsi la totalité de la petite boîte qui les contenait. Ignorant le son de la bête métallique en éveil se rapprochant lentement de lui des profondeurs de sa tanière, Hitman se força à se concentrer sur cet amas de vermicelles colorés. Il les avait tous séparés, et il en dépassait de partout, mais il pouvait enfin commencer à voir à quoi ils étaient connectés. C’était même plutôt simple : une entrée pour les lasers, une entrée pour l’alarme. Il fallait dévier les fils. Mais comment ?
Code 47 s’épongea le front et garda son regard fixe dans la boîte, tenté de regarder la masse de métal qui allait bientôt l’écraser contre le mur. Dans une dizaine d’étages, il était bon pour plonger de 85 autres étages… Et impossible de sauter dessus, l’angle était bien trop mauvais, et le toit de l’ascenseur n’était pas plat, mais incliné directement vers les profondeurs. Mais il trouva rapidement la solution, tant elle était proche de lui. Proche de son visage en fait, à moins de quinze centimètres. 47 arracha la radio de l’agent Robert, en sortit la batterie et jeta le reste au loin, pour qu’il ne retombe pas sur le toit de l’ascenseur qui allait peut-être faire de la purée de son insignifiante carcasse humaine. Il repéra bien vite les deux extrémités de la grosse pile, et commença à défaire de manière optimale le sac de nœuds. Et il commit l’erreur, il regarda en bas. Il vit la bête, remontant des profondeurs du Tartare…
Au moins encore six étages avant l’impact…
Putain de grille à rayons laser !
Ses mains commençaient à devenir moites, et il glissait presque sur le tuyau, ses jambes commençant à se mouvoir lentement, son étreinte faiblissant à vue d’œil. Commençant à trembler, 47 approcha la batterie des extrémités du fil, puis commença à le retirer, lentement, pour que le métal conducteur y touche en même temps l’entrée électrique des faisceaux lasers et de la batterie de la radio.
Cinq étages.
Le fil ne semblait pas vouloir se dénuder. Le contact avec le métal conducteur était impossible. Sortant, avec une rapidité forcée par la peur qui le tenaillait, un petit couteau suisse trouvé sur Roberts, il commença à dénuder le long fil rouge sang qui était relié au récepteur de l’alarme. Il le faisait avec des petits coups secs, éliminant un peu plus d’isolant à chaque fois, mais ne pouvant, avec le stress qui lui écrasait les tripes, faire un travail efficace, comme d’habitude.
Quatre étages.
Ses doigts tremblaient. Peu, mais un peu trop. Aussi, quand la lame effilée du petit couteau lui taillada le doigt et qu’il le laissa tomber par surprise, s’observant inutilement le doigt qui laissa échapper un mince filet de sang, il se dit qu’il était peut-être temps de se dépêcher…
Trois étages.
Le couteau rebondit sur le toit de l’ascenseur avec un petit bruit sec, avant de filer vers les entrailles de l’immeuble, bien plus de six pieds sous terre. Bloquant le bout de fil dénudé sur la polarité correspondante de la batterie et commençant à l’enrouler autour, il la posa ensuite sur le bord de la boîte. La batterie fournissait désormais l’énergie fournie par les lasers qui entraient dans leurs conducteurs. L’énergie devrait suffire. Il fallait qu’elle suffise. Il n’y avait pas d’autre solution, de toute façon.
Deux étages.
Hitman arracha le fil relié aux faisceaux lasers et tira sur la grille. Les vis bougeaient… mais ne sautaient pas. Il tira à nouveau, de toutes ses forces, au risque d’arracher le panneau dans un élan trop puissant et de s’écraser dans le vide. Mais les fichus bouts de métal tenaient le coup…
Plus qu’un étage.
Il pouvait presque voir son reflet sur le toit de l’ascenseur.
Trop tard pour faire quoi que ce soit de réfléchi. Son instinct de survie, son envie de vivre pour tuer, vivre pour l’argent et pour lui-même le poussèrent à dégainer (avec une rapidité effrayante) le CZ 2000 en direction des vis. Mais il y en avait quatre à exploser. Quatre. Et un seul éta…
Ding !
La respiration de Hitman ressemblait fort à celle d’un marathonien qui venait de se faire écraser par un bus.
Il resta ainsi, les jambes douloureuses encore accrochées au tuyau, le pistolet levé en direction de la grille, tandis que l’ascenseur s’arrêtait à l’étage inférieur, le toit incliné de celui-ci se posant carrément sur les fesses de l’assassin silencieux, dont les gouttes de sueur tombaient désormais dans le vide plus si effrayant que ça. Il entendait même trois secrétaires sortir en claquant leurs talons dans les bureaux en parlant de Brad Pitt et des flics qui patrouillaient dans l’immeuble.
Ne perdant pas une seconde de plus, il rangea le pistolet, s’appuya fermement sur le toit froid et gris de la cage d’ascenseur, se tint aux cordes qui se trouvaient en amont et enfonça la grille avec ses deux pieds. Elle ne céda pas, mais le mouvement inverse que celui qu’avait effectué 47 lorsqu’il pensait aller faire son ultime balade l’avait fortement affaiblie. Aussi un deuxième double de coup de pieds l’arracha quasi-totalement de ses gonds, et 47 n’eut qu’à se raccrocher au tuyau avec ses jambes et tirer la plaque striée pour la décrocher. Plaque qu’il envoya dans le vide avec une joie dissimulée à la perfection. La grille était assez large pour s’y tenir accroupi, mais c’était bien trop pénible. Aussi le tueur se remit, plutôt rapidement, sur le toit de l’ascenseur, puis lâcha les câbles de ses mains et se laissa glisser tout entier dans le conduit, juste avant que l’horrible bête métallique ne continue son ascension vers le 7e ciel.
Le visage de Forthy était un habile mélange de frustration, de déception et de colère. Continuant à faire les cent pas au rez-de-chaussée du premier immeuble, il se demandait comment dire à Lenny James que c’était un abruti irréfléchi de première, ou alors comment camoufler son meurtre en accident… Finalement, il opta pour la pire chose à faire face à un James encore plus énervé que lui de ne pas avoir de nouvelles de 47 : rester calme.
-Cher collègue, fit-il d’un ton faussement solennel en se mettant face au molosse, qui se tenait assis et immobile, le dos courbé sur une chaise. Cher collègue, il me semble que nous avons perdu la trace de notre chère ombre… Êtes-vous certain que cet…informateur (et il appuya sur le mot avec un faux et grinçant accent britannique) était bel et bien digne de votre humble confiance ?
-Allez vous faire foutre, Forthy.
Le ton était sans appel, sec et tranchant. Ils n’étaient plus que les deux dans l’énorme hall du gratte-ciel, et la tension était plus que palpable. Tous les autres policiers et agents avaient été dépêchés dans les immeubles environnants ou les avenues de New York bordant Wall Street. Leurs voix résonnaient légèrement à travers les larges pylônes en marbre jusqu’au plafond, tout aussi sombre, qui semblait vouloir s’écraser sur eux. Pour Lenny James en tout cas.
-Vous ne semblez pas vraiment enjoué par les événements actuels, très cher confrère, continua Forthy en se dandinant sur la pointe des pieds. Auriez-vous un quelconque problème avec…
-La ferme.
Un silence. Et Forthy jubilait.
Mais le silence, encore plus pesant que le plafond, s’installa, Le molosse restait sur son siège, le dos voûté, les mains en clocher, coudes sur les genoux, soutenant son menton. Forthy recommença à faire les cent pas, dans l’attente d’un éventuel appel radio. Tous les deux commençaient à entrevoir l’issue de ce qui se déroulait en ce moment même. Hitman était à nouveau sur le point de s’enfuir, et tous les deux allaient en pâtir, surtout Lenny James, dont la crédibilité au sein d’Interpol se faisait de plus en plus faible. Le conseil d’administration était sur le point de retirer son budget après la mort de Petersen à Édimbourg, et attraper 47 était sa dernière issue, l’autre étant quasi-indéniablement la porte.
-Dites-moi, peut-être auriez vous l’amabilité de…
Lenny James ne dit pas mot, mais leva ses yeux gris comme l’acier vers Forthy. Son regard était un mélange extrêmement perçant, teinté de haine, d’intimidation et de pitié. Et même Forthy ne pouvait pas y rester insensible.
Un autre silence. Rompu rapidement à nouveau par Forthy :
-Avouez-le, vous avez merdé. Votre soi-disant contact a merdé.
Lenny James secoua la tête, sans dire un mot, puis se leva.
-Je vais à la pêche aux infos. Vous, restez ici à attendre qu’on appelle et à mettre des contraventions sur les voitures mal parquées. Vous aurez probablement de mes nouvelles.
Devant un Forthy aussi frustré qu’agacé, le molosse tourna les talons et marcha rapidement jusqu’à la porte, ignorant le son de ses chaussures claquant le sol et réfléchissant au problème Hitman. Premièrement, le tueur savait qu’il commettait un risque en venant à Manhattan, où il avait déjà abattu le commandant Chanders : c’était donc que son contrat en valait la peine. Il n’était sûrement pas venu ici pour assassiner un simple businessman, et encore moins un agent du Swat. En venant ici, il savait qu’il jouait en terrain miné, et le trésor était bien caché. Sortant dans la chaleur du mois de Juillet, il leva les yeux vers les gratte-ciels qui emplissaient l’étendue bleue surplombant la mégalopole. Que venait faire Hitman ici, dans cet immeuble ? Au pas de course, il traversa la cour de l’immeuble, et toqua à l’arrière d’une petite fourgonnette blanche. Mike lui ouvrit rapidement, un casque sur les oreilles.
-Je suis en communication avec le patron, dit-il. Tu devrais venir t’expliquer, il est pas content du t…
-Rien à foutre. Introduis-toi dans le système permettant de connaître l’indenté des personnes travaillant ici.
L’informaticien écarquilla de grands yeux, qu’il plissa ensuite rapidement à cause du soleil.
-Ici… dans cet immeuble ?
-Et ceux qui sont autour de cet immeuble.
-Ce n’est pas légal, fit Mike en haussant un sourcil.
-Tu sais très bien que là n’est pas le problème, trancha Lenny James sur un ton plus sec que l’air ambiant.
-J’en ai pour deux heures au moins !
-Tu as vingt minutes. Fais du café.
Sur ce, il claque la porte au nez de son acolyte et se dirigea à nouveau au pas de course dans le hall de l’immeuble, avant de se diriger vers un ascenseur libre. Les portes s’ouvrirent en tintant, et tandis qu’elles se refermaient, il jeta un dernier regard sur Forthy, qui malgré sa petite stature, osait encore le toiser du regard de l’autre bout du hall.
La grille d’aération était assez grande pour laisser passer Hitman. Le problème était maintenant de ne faire aucun bruit. Lentement, il se glissait le long de l’étroite cavité, le vent faisant légèrement gondoler l’uniforme de police qu’il avait sur le dos, comme dans la cage d’ascenseur. Après avoir rampé sur quelques dizaines de mètres, il trouva une grille de sortie, et y jeta un coup d’œil furtif. A l’extérieur se trouvait un petit bureau, où trônaient uniquement un simple bureau, quelques casiers et une grande armoire, mais il ne voyait rien de plus, la grille se trouvant au ras du sol. Rejetant son regard sur la grille lui-même, il ne découvrit aucun rayon raser. La voie était libre, et fort heureusement, plus besoin de dévisser la grille ici, celle-ci se décrochant facilement de ses gonds en forçant quelque peu.
Il glissa ensuite la grille dans le conduit d’aération, et commença à observer les hauts des murs. Aucune caméra ici… étrange, d’ailleurs. Lentement, 47 entreprit de se glisser hors du conduit, et reporta son attention sur tous les meubles se trouvant dans la pièce. Quatre casiers de métal dans un coin, un bureau avec un petit ordinateur portable, et une grande armoire contenant une tonne de classeurs. Mais aucune fenêtre. Le bureau de Dougall semblait être étrangement petit pour un homme ayant consacré sa vie aux flux monétaires et aux placements d’argent. Ils se glissa près de la porte, se mit à genoux et observa par la serrure le couloir qui s’étalait face à lui. Le bureau en était la dernière pièce, et quatre autre se côtoyaient par rangées de deux. Et un garde de sécurité faisait la ronde. Impossible à passer sans le neutraliser. Il fallait trouver une astuce… Son regard balaya à nouveau toute la pièce, et se posa sur une collection de pièces anciennes, dont il en prit une au passage. Sa main abaissa lentement la poignée de la porte, qu’il ouvrit lentement pour voir le couloir vide. Il s’avança, lentement, jusqu’à ce que l’ombre d’un individu musclé apparaisse à l’angle du couloir. N’hésitant pas une seconde, 47 prit la pièce et la lança en direction de l’angle. Le résultat fut immédiat : le garde, avec un soupçon de doute, s’avança pour ramasser la pièce. « Voilà qui pourrait dorénavant être très utile », se dit l’assassin avant d’abaisser avec une précision parfaite la crosse du CZ 2000 sur la nuque du pauvre homme de main.
Il observa les alentours, et repéra une caméra de l’autre côté du couloir d’où venait le garde. Heureusement, celui-ci avait été assommé dans une zone peu éclairée, mais mieux valait éviter de se faire filmer… 47 traîna le corps inanimé du gorille jusqu’à une porte, à laquelle il mit son oreille, pour ne détecter au final aucun bruit. Prenant le Micro-Uzi silencieux à l’intérieur du holster du garde, il ouvrit lentement la porte (tout en traînant sa victime par le pied de l’autre main), et braqua rapidement les environs. C’était une simple pièce avec un lit de camp, une table de nuit et une armoire. Un quartier pour les gardes, probablement. Il déshabilla ensuite le puissant homme de ses habits (ces gars-là portaient des caleçons blancs à poix rouges…), et le coucha sur le lit. 47 repartit ensuite dans le couloir, passa comme si de rien n’était devant la caméra, lunettes à soleil sur les yeux et écouteur dans l’oreille, et arriva dans la salle principale de l’immeuble. C’était un grand salon, composé de plusieurs canapés dans un coin, d’une cheminée géante, d’un tableau multicolore de Dougall et d’une baie vitrée menant à un balcon qui surplombait New York. Fouiller les chambres était trop dangereux, mieux valait chercher des indices ici. Comme ce verre de whisky vide, posé sur la table, qu’un jeune majordome venait de prendre sur un plateau d’argent. Dougall n’avait quitté ce siège que depuis quelques minutes à peine, et n’était pas dans son bureau. Probablement dans sa chambre.
-Nom de Dieu Edward, vous voulez me tuer ?! Le bain est bouillant !!
Probablement pas dans sa chambre.
-J’arrive, monsieur, j’arrive !
47 observa le jeune homme reposer le plateau sur la table en verre et courir en direction de la salle de bains. Gardant un pas suffisamment lent, le tueur le suivit, tourna à l’angle du même couloir, qui était face à celui d’où il était arrivé, et observa le jeune homme entrer dans une pièce et se confondre en excuses, avant d’entendre le vieil homme hurler encore plus de venir le déranger dans son bain. Le pauvre Edward sortit ensuite de la pièce, et se dirigea sans regarder vers le couloir.
-Oh, désolé, fit-il lorsque son épaule cogna celle de l’assassin.
Celui-ci émit un grognement, tourna la tête pour ne pas qu’il se rappelle de son visage et continua jusqu’au bout du couloir, où se trouvait une porte gardée par une caméra, un clavier électronique et un lecteur de cartes. 47 décida d’entrer dans la chambre à côté, une petite cuisine vide où se trouvaient les équipements high-tech du monde culinaire. Il se dirigea directement vers la porte vitrée, et sortit sur le balcon. Aussitôt, le vent chaud lui écrasa les poumons et le soleil lui brûla le crâne. Mais la vue sur New York était indéniablement superbe. Tournant la tête vers l’immeuble d’où il aurait dû éliminer Dougall au fusil à lunettes, la surprise le prit comme avec des pinces, et il revint aussitôt à l’intérieur de la cuisine, l’œil alerte. Lenny James était sur le balcon, en train d’inspecter soigneusement son fusil W2000. Reprenant calmement ses esprits, Code 47 sortit sa paire de jumelles, et commença à observer furtivement l’agent d’Interpol. Celui-ci observait l’arme sous toutes ses coutures, l’air pensif, avant de le mettre à l’épaule et de commencer à scruter les environs de l’immeuble de Dougall. 47 se remit à nouveau à couvert, observant la porte d’entrée de la cuisine au cas où quelqu’un viendrait, et attendit. Les policiers essayaient toujours de se mettre à la place de leur ennemi pour mieux le piéger. Lenny James ne faisait pas exception à la règle, bien au contraire, et mieux valait rester caché un petit moment pour ne pas prendre de risques. Deux minutes plus tard, après avoir compté les secondes dans sa tête et observé maintes fois la porte de la cuisine, Hitman jeta un nouveau coup d’œil à l’immeuble d’en face ; Lenny James était reparti, emmenant le fusil sniper avec lui. Mieux valait faire vite au cas où il reviendrait… 47 revint sur le balcon, passa ses jambes par-dessus, et se plaqua à la petite bordure qui l’empêchait de tomber dans le vide. Heureusement, celle-ci n’était longue que d’un peu plus de deux mètres, et il put rapidement atteindre le balcon d’en face, celui de la chambre protégée par le clavier, le lecteur de cartes et la caméra. Il s’attendait à y trouver un poste de garde ou une chambre importante, mais ne dénicha que la chambre de Dougall. Il n’eut pas besoin de forcer la serrure pour entrer, et en fermant la porte, constata immédiatement d’après les murs que la pièce était insonorisée. Elle contenait de nombreuses armoires, un grand lit, et, d’après ce qu’il avait pu voir, un accès direct à la salle de bains. Parfait…
Lenny James embarqua dans l’ascenseur avec le fusil W2000 dans sa mallette, démonté. Voilà enfin la preuve que l’agent 47 était venu ici, et avait eu dans l’intention de tuer quelqu’un dans l’un des immeubles d’en face. La mallette contenait, dessiné sur son alliage métallique, le symbole du tueur, cette espèce de flamme tournoyante qu’Interpol connaissait déjà bien. C’était la preuve irréfu…
Son téléphone sonnait.
-Ici Mike, dit immédiatement la voix dès que James eût décroché. Humphrey a encore appelé : il t’ordonne d’arrêter tes investigations et de laisser la police de New York faire son boulot. Il était vraiment en colère, il…
-J’ai la preuve.
-Quoi ?
-J’ai la preuve que notre tueur était bien dans l’immeuble, que c’était lui.
-Il ne veut rien savoir.
-Comment peux-tu en être sûr ? fit le molosse avec une teinte d’agacement.
-Je lui ai dit qu’on était à deux doigts de l’attraper. Il a répliqué que c’était des foutaises, qu’on courait après une ombre, et qu’il avait envoyé une voiture venir nous chercher.
Le temps jouait désormais contre lui.
-Merde, siffla James avant de se mettre à réfléchir. Mike, où en est la recherche des noms ?
-J’ai la liste de celles de cette immeu…
-Inutile, ma preuve, c’est un fusil Walter 2000. Il voulait abattre sa cible à distance, il a loupé son coup et doit être en ce moment même dans un immeuble adjacent.
-Je commence les recherches.
-Dépêche-toi.
Et il raccrocha sans attendre un mot de plus, tentant de contenir le stress qui commençait à monter en lui. Code 47 était encore dans la ville, tout près. C’était sa dernière chance, se dit-il en se massant les mains, pris d’une série d’étranges picotements glacés.
Au fur et à mesure que les pas de l’assassin silencieux s’avançaient vers la finalisation de son contrat, d’agréables notes de musiques, bien connues, montèrent à ses oreilles. Quelques notes vives, qui s’entrechoquaient dans son esprit néanmoins avec une certaine légèreté. Cette tension allègre, cette intrigue musicale, cet ordre parfait et cette virtuosité inaliénable…
-Carmina Burana… Ave Formosissima, murmura 47. Carl Orff. Cela me dégoûterait presque de finir ce contrat avec une cible aussi raffinée…
« Dommage que j’aie encore quelques comptes à régler avec Beldingford », finit-il de se dire en son for intérieur.
Á mesure qu’il s’approchait de la porte, et que la musique s’amplifiait, il se demandait de quelle manière il finirait par faire cracher le morceau à Beldingford quant à ses vraies intentions. Il se demanda qui était le huit de pique, et ce qui se passerait le 8 novembre, en plein milieu de l’après-midi… Transporté par la musique, il abaissa lentement la poignée, y glissa l’avant de sa tête et le Uzi, et entreprit d’ouvrir la porte. Dougall était face à lui, dans un bain rempli de mousse, assis dans une large baignoire ronde qui s’étendait au niveau du sol, dans une salle de bain sans vitres, au sol immaculé. Les lampes n’éclairaient que peu la pièce, et laissaient flotter une atmosphère de détente, que venait compléter à la perfection une petite stéréo, posée à côté de la baignoire. Immédiatement, l’humidité colla au costume sombre de 47, qui enleva ses lunettes à soleil et referma lentement la porte. Dougall, qui était en train d’agiter les mains les yeux fermés, projetant de la mousse un peu partout et savourant ces quelques ultimes instants de détente, ouvrit lentement les yeux, au son du déclic du battant.
-Un geste, et il faudra une éternité à votre femme de ménage pour faire briller cette baignoire comme avant, lança 47 sur un ton sans équivoque, son arme levée en direction du thorax du vieil homme.
Au son des cordes et des voix divines qui s’élevaient de la stéréo, Hitman observa le visage de l’homme se raidir. Non pas par la peur, mais par la haine. Ses yeux se plissèrent, son menton se renfrogna, et ses poings se serrèrent à la surface de l’eau.
-Qui vous a amené ici ?
-Moi-même.
Ses yeux se plissèrent un peu plus, laissant apparaître un tas de rides frontales assez impressionnant. « Il devrait déjà être mort », se dit et se répéta Hitman dans sa tête. « J’aurai déjà dû le tuer, et je serais en cet instant en train de partir… chaque seconde ici est un danger supplémentaire ». Mais il devait savoir… on s’en était déjà pris à lui en kidnappant le père Vittorio, et il avait fait justice. Beldingford l’avait traité comme un chien pour lui faire faire une sale besogne qui cachait trop de choses ; cette fois-ci on s’en prenait directement à lui, et la justice ne serait que plus puissante. Il lui fallait la vérité… mais vite.
-Pour qui travaillez-vous ? siffla le requin des finances, les dents serrées.
-Quelle importance cela peut-il vous faire, maintenant ?
Le visage de Dougall était semblable à celui d’un démon, comme on peut en voir dans les manuscrits datant du Moyen-Âge. Mais cela était loin d’impressionner 47.
-J’ai quelques questions à vous poser, dit lentement celui-ci.
Accompagnées de quelques percussions, les voix finirent le morceau dans un élan féerique, et d’un puissant coup de gong la stéréo passa directement à « O Fortuna », le morceau le plus célèbre de toute l’œuvre. 47, la main toujours tendue et le doigt proche de la gâchette, tenta de ne pas trop se laisser envahir par la musique, mais il fallait bien avouer qu’une partie de lui était en train de savourer cet instant.
-Je dois savoir, commença Hitman tandis que les voix puissantes envahissaient la pièce à un rythme démoniaque. J’ai été engagé par Kenneth Beldingford. Pourquoi ?
Le visage de Dougall se radoucit, et il observa son assaillant avec un regard clair empli de surprise et de retenue.
-Beldingford… Nom de Dieu, c’est pour ça que Petersen est mort l’autre jour… C’est vous qui vous en êtes chargé ?
Le temps pressait. Il devait le tuer dans les secondes qui suivaient. Le temps devenait son pire ennemi. Il était en train de briser ses règles pour obtenir de quoi satisfaire sa vengeance. C’était dangereux, mais il ressentait cela comme un besoin impossible à éviter.
-Oui. Que savez-vous à propos de Beldingford ?
Les voix continuèrent leur ascension, puis redescendirent aussitôt, laissant leur place à des murmures calmes et légers. Les mains du tueur devenaient moites, et la chaleur l’incommodait. Mieux valait en finir rapidement… de plus, n’importe qui pouvait débarquer dans la salle de bains.
-Que devrais-je vous dire ? Vous allez mettre fin à mes jours, de toute manière.
Hitman garda le silence, et, pour guise d’avertissement, décrocha la sécurité du pistolet mitrailleur. Le déclic se perdit rapidement au milieu des voix qui commençaient à leur souffler aux oreilles leurs mystérieuses visions. Dougall haussa un sourcil.
-Le coup classique, ce petit bruit mécanique sur le pistolet, fit-il avec calme. De toute façon, vous n’aurez aucune chance de sortir d’ici en vie.
-Vous comptez crier ? Essayez, lui répondit 47 sans conviction d’aucune sorte.
Dougall sembla réfléchir, comme s’il se servait des murmures environnants pour faire peser sur les épaules du tueur une épée de Damoclès. C’était futile, évidemment. 47 n’était pas du genre à se laisser intimider par un vieux roublard.
-Beldingford est un manipulateur né. Quand son frère et son neveu ont été tués (et 47 ne réagit pas le moins du monde), il a été crédibilisé aux yeux du grand public, ce qui lui a permis d’accroître son pouvoir au sein des pontes mafieux de nombreux pays, le tout en restant sous le couvert d’un homme d’affaires chevronné et équilibré, et un gentleman d’une hypocrisie sensationnelle. C’est la tête pensante du Conseil, et malheureusement, on dirait qu’il cherche à nous doubler. Tous.
Il sembla s’arrêter, laissant les voix envahir à nouveau la pièce.
-Continuez, siffla 47 d’une voix froide.
-Si vous ne m’avez pas encore tué, je devine que vous cherchez encore des informations, finit par dire le requin tandis que les voix continuaient leur légère ascension. Que voulez-vous savoir ?
L’assassin pesa lentement ses mots dans sa tête, sachant pertinemment que chaque seconde au milieu de la pièce était une seconde de danger supplémentaire.
-Pourquoi ai-je été engagé par Beldingford ?
-Pour éliminer ses adversaires… Petersen, moi, et je devine Le…
-Pourquoi veut-il votre mort ?
Les voix commencèrent à s’élever.
-Afin d’avoir le pouvoir, bien évidemment… Le Conseil a main basse sur de nombreuses entreprises et gouvernements. Jeffery et moi avions prévu de renforcer notre mainmise sur le Royaume-Uni par l’intermédiaire de Scotland Yard, en agissant de l’intérieur. Peut-être cela n’a-t-il pas plus à Beldingford et ses trafics en tous genre, y compris ceux qu’il faisait avec le chef du…
-Que va-t-il faire de moi ? le coupa 47, pressé d’en finir.
-Je n’en sais rien.
Un petit coup de gong, suivi d’un autre. Et les voix s’amplifièrent, envahirent la pièce tandis que le regard noir de l’assassin se perdait dans celui de sa victime. Il disait la vérité sur Beldingford, mais les derniers mots n’étaient que mensonges pour éviter la mort. Il fallait l’assassiner. Maintenant. Maintenant !
-Je peux vous payer le double de Beldingford… le triple ! Donnez votre prix !
Dougall commençait à stresser, à être effrayé par la mort et les coups de gongs qui résonnaient de plus en plus puissamment dans la petite pièce humide, dont la vapeur se dégageait comme des vapeurs de soufre… un avant-goût de l’enfer. Son visage était partagé entre la peur et la haine, entre le mépris et la pitié. Comme beaucoup de victimes, dans l’incompréhension. Hitman s’avança, le pistolet mitrailleur pointé vers le crâne de Dougall, alors que les détonations résonnaient dans la pièce et que les murmures, transformés en puissants éclats, s’accéléraient au rythme infernal des derniers instants du morceau.
-Ma fortune se compte en dizaines de milliards ! cria Dougall, désemparé. Venez de mon côté, vengeons-nous de Beldingford et…
-Non.
La voix était froide, implacable. C’était devenu une affaire personnelle.
-On vous retrouvera, hurla Dougall, les yeux exorbités, commençant à accepter l’idée de sa mort et voulant entraîner 47 dans sa chute. Un meurtre pareil ne passera jamais inaperçu !!! On vous retrouvera et on vous fera la peau !
-Qui a parlé de meurtre ? articula lentement Hitman dans l’ explosion musicale qui envahissait la pièce, tout en poussant violemment la stéréo de son talon droit.
La musique cessa. La stéréo atterrit immédiatement dans l’eau, et Dougall fut secoué aussitôt par la décharge, convulsant dans l’eau et râlant quelques mots incompréhensibles parmi lesquels 47 crut entendre « pantin », « mort » et « mafia ». Détournant les yeux du spectacle macabre qui s’offrait à lui, l’assassin ouvrit nonchalamment la porte, et la referma rapidement, observant que personne n’avait rien entendu, la salle de bain semblant comme la chambre, insonorisée. Il remit ses lunettes à soleil, marcha jusqu’à l’ascenseur et, une fois à l’intérieur et quand les portes se furent refermées, sortit son téléphone portable.
-Ici Pet… commença le jeune homme de main.
-47. Le contrat est terminé. Faites-moi évacuer comme prévu.
Sans un mot de plus, la communication cessa.
Lenny James sortit de l’immeuble dans le brûlant soleil de l’après-midi, le fusil W2000 qu’il avait remonté dans une main en guise de preuve directe et la mallette dans l’autre, Forthy sur les talons.
-J’ai trouvé ça à l’étage 78, expliqua le molosse en accélérant le pas. Ce qui prouve que cet homme avait bel et bien prévu de commettre un meurtre.
Forthy, plus replet et petit que lui, avait du mal à le suivre, et parlait en saccades, essoufflé, tout en étant toujours énervé contre James, et il fallait le dire, un peu étonné.
-Et qu’est-ce que… qu’est-ce qui prouve que c’est l’arme… de CE tueur ?
James s’arrêta, et pointa du doigt le signe sur la mallette, permettant au capitaine de se reposer un tout petit peu.
-Ceci, est le symbole qu’arbore l’agent 47.
Forthy haussa un sourcil, la respiration haletante.
-Et c’est tout ? Donc si je me pointe avec ce symbole tatoué sur mon bras demain matin au commissariat, je suis un tueur à gage mort trois ans de cela ?
James s’empourpra, et repartit immédiatement en direction de la camionnette de Mike, assez vite pour que Forthy aie du mal à suivre. Mais au moment où il voulut ouvrir la porte, son téléphone commença à vibrer.
-QUOI ? hurla le molosse au combiné, devant déposer sa mallette à terre.
La voix lui annonça rapidement la situation, et James hocha la tête.
-Qui est-ce ? demanda Forthy, reprenant encore une fois sa respiration, son visage encore rouge.
James ne répondit pas tout de suite :
-Le contact.
Forthy sembla s’énerver, et son visage redevenu pâle redevint rouge sous l’effet de la rage.
-Cet espèce de connard qui ne sait pas ce qu’il dit ? passez-le moi !!!
-Attendez.
James ne dit plus mot, et son regard, ou plutôt son oreille, sembla s’égarer. Tournant lentement la tête, levant une main pour se protéger du soleil, il observa l’hélicoptère bleu commencer son atterrissage en direction de la tour voisine. Le molosse, la mâchoire serrée, referma son portable dans un claquement et jura à voix haute avant d’ouvrir les portes de la camionnette à la volée.
-Mike, arrête de chercher, on a trouvé !
L’informaticien, baissant son micro sur sa nuque, semblait presque autant troublé que son supérieur. Mais tandis que celui-ci était empli d’excitation, les yeux pétillants malgré son très faible sourire, le désespoir se lisait sur les traits de Mike.
-Humphrey a appelé il y a cinq minutes… pour dire que ses agents seraient là dans cinq minutes.
L’excitation qui emplissait James s’amplifia soudain de manière extraordinaire… mais plus dans la joie. Sans dire un mot de plus, il plaça brutalement le fusil sniper et la mallette à l’intérieur de la camionnette, et s’élança à toute vitesse en direction de l’immeuble d’en face, hurlant un dernier « Forthy, ordonnez à vos équipes de ne pas laisser partir cet hélico ! ». La respiration haletante, courant à en perdre le souffle sous le soleil de plomb, tout aurait pu peut-être se passer comme il l’aurait fallu si trois voitures noires n’avaient pas débarqué sur la place séparant les deux immeubles, bloquant le chemin au molosse. Celui-ci, non troublé le moins du monde, continua sa course, se servit du capot d’une des voitures pour faire un petit bond et se rapprocha à grandes enjambées de l’immeuble, sans prêter attention aux portières s’ouvrant derrière lui et aux « James, ordre direct de Humphrey, stoppez-vous ! ». La distance était extrêmement faible, les agents d’Interpol étaient loin derrière… il fallait juste que Forthy l’aie aidé. Pour une fois, une seule fois.Le premier policier tenta de l’attraper au bras, mais le molosse se servit de l’une de ses nombreuses prises de combat rapproché apprises au MI-6 pour lui prendre l’avant-bras à deux mains, le déséquilibrer d’un coup sec et l’éjecter à terre d’un coup de pied retourné. Mais ce n’était pas suffisant, et tandis qu’il recommençait sa course en direction du hall, ce furent trois policiers qui se jetèrent sur lui, et bien que l’un d’eux se retrouva immédiatement à terre, les deux autres le maintirent plaqué au sol, la face exposée au soleil, tandis que celui-ci était légèrement masqué par l’hélicoptère s’éloignant du toit de l’immeuble.
vendredi 22 février 2008
Chapitre XVI: Insertion
La sécurité avait été renforcée dans l’immeuble de Dougall. Des policiers en uniforme, l’air sérieux et pressés, s’affairaient dans le hall pour tenter de trouver le mystérieux homme recherché par la police, cherchant dans ses coins, ses recoins, ses toilettes, les pièces réservées au personnel, et même derrière les plantes vertes. Hitman savait pertinemment qu’il n’avait aucune chance d’entrer sans déguisement, même s’il savait également que les policiers n’avaient absolument pas cure de ce qui s’était passé dans la tour voisine, et que c’était pour eux une journée aussi ennuyeuse que les autres. Malheureusement pour l’assassin, ce n’était pas cet ennui profond qui les empêcherait de porter la main à leur hanche en cas de contact oculaire avec lui. Il faudrait agir prudemment, avec intelligence… en bref, comme d’habitude.
Il observa durant quelques dizaines de secondes encore les patrouilles des onze différent gardes de sécurité et policiers, assis sur un banc, le visage à demi caché derrière un large journal qui prônait une nouvelle loi sur le clonage humain. Il se trouvait dans un petit parc, devant l’immeuble, à côté d’un arrêt de bus, côtoyant vieilles dames et mères de familles avec leurs rejetons. C’était plus qu’une couverture… il était parfait mirage aux yeux de ses opposants. Observant à demi les pas des hommes armés et lisant diagonalement l’article, 47 formula son plan d’attaque dans la tête. Pas de silencieux sur le CZ 2000, mais un coussin ferait l’affaire, et sa corde à piano encore mieux… Il faudrait passer les derniers étages à l’escalier, surprendre sa cible… Dougall était vieux et faible, et sans l’intervention de Lenny James, le contrat aurait été d’une étonnante simplicité. Le tueur baissa les yeux et remonta le journal, effaçant ainsi de la vue de n’importe qui celle de son crâne chauve.
Hitman ne se souciait pas de la politique. On pouvait cloner des dizaines d’imbéciles, du temps qu’ils ne devenaient pas tueurs à gages qui se mettaient sur sa chasse, ça ne lui posait pas de problème. Oui, ça ne lui posait pas de problème.
Il baissa le journal, le plia avec dédain et le posa sur le banc. Il avança, dans la journée brûlante et accablante, au milieu de la foule qui s’ameutait sur le passage piéton au rythme d’une vague qui se perd sur une plage vide. La place qui s’étalait devant le gratte-ciel était, fort heureusement, cachée par un large portique en verre sombre qui, même si ne cachait pas toute la lumière, rafraîchit immédiatement 47 quand il y pénétra, d’un pas autant calme et réfléchi que d’habitude. Le policier qu’il avait repéré trois minutes plus tôt avait bonne vue. Code 47 l’avait vu observer de loin les fesses d’une passante, d’un œil vif, faisant semblant de perdre son regard vers le ciel. Il avait des lunettes de soleil peut-être, mais une bonne vision, et cela se vérifia à cet instant précis.
Le policier s’arrêta net dans sa ronde en voyant Hitman s’approcher de l’immeuble. Il se figea sur place, et l’assassin silencieux l’imagina en train d’écarquiller les yeux derrière ses larges lunettes sombres. 47 changea de direction, et tourna vers un autre passage piéton. Il entendit les pas du policier se faire plus rapide, se rapprocher de lui de manière légère : le doute s’était bel et bien installé dans son esprit, et la chasse commençait. Hitman s’enfonça dans la masse qui attendait que le feu piéton passât au vert, écoutant d’une oreille quelque peu distraite les sirènes des voitures de police qui quittaient le building voisin. Lenny James étoffait ses recherches. Le molosse a du flair.
Le feu passa au vert. Immédiatement, la masse humaine tant compacte s’élongea et partit en toutes directions. Le policier, qui était de plus en plus proche, ne put arrêter Hitman même avec quelques interjections plutôt confuses, et se mit à courir sur le passage piéton, dont le feu était passé au rouge. Tandis que l’agent 47 continuait sa route d’un pas décidé et léger en direction d’une ruelle, le policier dut à deux fois brandir sa plaque pour pouvoir passer, sous le joug des klaxons et des insultes des conducteurs New-Yorkais. Il avait perdu de vu l’homme chauve, avec ce code barre sur l’arrière du crâne… c’était lui, aucune doute possible. Et la ruelle était sombre. Il enleva ses lunettes, les rangea dans la poche de sa veste, et s’avança lentement. L’homme, un costume Armani sur le dos, semblait en train de s’affairer quelque part près d’un container. Lentement, l’agent décrocha la sangle de son holster, et sortit lentement son arme, la pointant vers le sol.
-Tourne-toi.
Le tueur s’arrêta, ses gestes brutalement stoppés, comme un acte prémédité. Le policier eut un grand frisson dans le dos et sur tout l’avant-bras, et dut contenir ses tremblements pour ne pas appuyer sur la détente. Mais l’étrange individu au crâne rasé ne s’était toujours pas tourné.
-Je t’ai dit de te tou…
En un volte-face rapide, précis et imprévisible, Hitman pivota sur lui-même et asséna d’un coup brusque et violent la barre et fer sur la tempe du policier. Trop surpris pour faire quoi que ce soit, celui-ci n’avait pu, impuissant, que voir l’objet s’écraser sur lui, et se vue se brouiller rapidement.
-Si vous le demandez… fit Code 47 sans une once d’humour dans la voix, mais d’un air froid et implacable.
Il lança la barre de fer dans la benne à ordures, prévoyant d’y mettre également rapidement celui qu’elle avait envoyé dans les songes, quand la radio de l’homme grésilla. Lentement, Hitman s’agenouilla, et pris la radio entre ses doigts, écoutant juste les échos vides des sirènes qui se répercutaient dans la petite ruelle. Même d’ici, le ciel était étonnamment bleu…
-Je répète : qu’en est-il de votre côté, Roberts ?
-J’ai entendu ! fit 47 d’un air faussement agacé. Fausse piste, fit-il ensuite dans une quinte de toux pour masquer sa voix différente. J’ai poursuivi le gars sur au moins trois avenues, mais en fait il était clean… Roberts, terminé.
-Et vous pensez qu’il serait dans l’immeuble d’en face ? demanda Forthy avec un haussement de sourcil.
Lenny James prit son temps, et laissa couler le café le long de sa gorge, puis prit plaisir à laisser entrer de l’air frais dans ses poumons alors qu’il savait que le capitaine bouillait d’incompréhension.
-J’en suis certain, répondit-il sans autre explication.
Forthy ne répondit pas, se massa l’arrête du nez entre ses doigts grassouillets et murmura quelques paroles inaudibles. Lentement, il laissa glisser sa main le long de son visage, puis regarda l’agent d’Interpol au plus profond de ses yeux. Mike, debout à côté d’eux, n’en savait pas plus non plus.
-Et… sur quels arguments détonants pouvez-vous affirmer ceci ? articula lentement Forthy en mettant ses mains sur ses hanches, faisant tomber sa veste derrière ses bras et laissant apparaître un ventre étonnamment plat pour sa stature.
-Sur un contact sûr, répondit James avec son étrange calme plat, le regard clair. Interpol a aussi quelques agents dormants ici, à New York.
-C’est autorisé, ça?
-Je ne sais pas, j’ai dû lire le règlement il y a vingt ans… mais en tout cas, c’est efficace.
Forthy se calma un peu, et empoigna sa radio.
-J’espère que c’est un bon agent.
-C’est certain.
Le capitaine appuya sur le bouton, et il y eut aussitôt une réception à la voix féminine.
-Ici central.
-Capitaine Forthy…
-Ah… C’est pour le tueur ?
-Oui. Nous pensons qu’il est entré dans un des immeubles se situant juste à côté de celui où la fusillade a eu lieu.
-Vous rigolez ? On a placé des dizaines d’agents, il y a des contrôles à tous les coins de r…
-Le tuyau est en béton. (Il lança un regard sévère à James, lui disant clairement que si ce n’était pas le cas, celui-ci allait s’en prendre plein la tronche.) Laissez les contrôles, mais à plus faible fréquence. Envoyez des hommes dans tout Wall Street, et faites patrouiller l’hélico. Il est peut-être sous déguisement.
-Quel genre de déguisement ? fit la voix avec une pointe d’agacement.
-Aucune idée.
-Et comment voulez-vous que nous le reconnaissions ?
-Il a gardé la même tête depuis les dix dernières minutes, normalement, non ? répliqua Forthy avec ardeur, sur un ton qui ne donnait pas envie de continuer.
-Bien… je fais passer le message, et son portrait-robot.
-Merci. Terminé.
Forthy allait ranger la radio, quand la voix féminine revint dans un petit grésillement :
-Capitaine… cet homme, il est mort à Paris, en 2000…
L’officier se mordit la lèvre, pris une petite respiration et tourna les yeux au ciel.
-Je sais. D’après le rapport. Mais ce n’est pas un fantôme qui a envoyé nos agents six pieds sous terre. Que ce soit lui ou un autre, ça reste un tueur. Exécution.
-Compris. Terminé.
Forthy rangea sa radio, et ne regarda pas Lenny James quand il partit d’un pas lourd en direction de la sortie. Celui-ci lui était reconnaissant. Il savait très bien que tous les deux risquaient leur place, mais le contact était sûr, on ne peut plus sûr.
Le code barre était à moitié caché par la casquette, mais les larges lunettes à soleil permettaient au moins de masquer le visage squelettique de l’assassin. Le hall n’était pas si bondé que ça, en fait. Les divers hommes et femmes d’affaire semblaient éviter la présence des policiers, ces mêmes policiers qui recherchaient l’homme qui les côtoyait. Hitman les regarda du coin de l’œil, derrière les verres fumés, et partit en direction des ascenseurs. Il pensait devoir vérifier qu’aucun autre policier ne le vît quitter le hall de l’hôtel, la seule position qu’ils devaient surveiller, quand sa radio grésilla :
-Ici central… on pense de source sûre que le tueur n’a pas quitté Wall Street. Je répète : la cible recherchée est encore à Wall Street. Demande aux unités de contrôle en position dans les rues pour cette affaire d’envoyer une partie de leurs effectifs en renfort. Fouillez tous les immeubles du coin, il peut être n’importe où, même déguisé. Ne négligez personne. Terminé.
47 appuya sur le bouton de l’ascenseur, qui s’illumina légèrement. Sa couverture était désormais quasi-parfaite.
Aaron Dougall avait l’esprit embrumé. Peut-être était-ce la vieillesse, mais il sentait bien que son sens critique n’était plus aussi performant. Il se sentait las, vidé, et commençait à baisser sa garde. Il observa le fond de son verre de whisky, dénichant son visage déformé à travers le verre bombé. Berlin lui permettrait de se racheter. C’était à Berlin qu’il porterait le coup final de son plan devant le Conseil, et qu’il deviendrait le plus grand requin de la finance de tous les temps. « Genius », son ordinateur, lui avait permis d’en apprendre sur tous ses subordonnés et ses intermédiaires. Il était entré dans leurs données personnelles, leurs revenus, leurs dossiers médicaux et même psychologiques pour certains… une aubaine ! Il savait aussi qu’il devenait trop gênant, et qu’on voulait le remplacer. Il avait déjà imaginé toutes les questions qu’on lui poserait, tous les pièges qui seraient dressés face à lui. Et il avait, de même imaginé toutes les répliques cinglantes qui empêcheraient le reste du conseil de prendre sa place. Chaque seconde de son itinéraire dans la capitale germanique avait été pensée, repensée, et toutes les possibilités avaient été abordées. Il n’avait rien à craindre.
-Votre bain est prêt, monsieur, fit Edward du bout du couloir.
-Bien, répondit Dougall d’une voix faible. Bien, bien, j’arrive.
Il reposa son verre sur la table également de verre, qui émit comme une vibration sourde, puis se leva, sans trop de difficulté. On allait vouloir l’assassiner à Berlin… c’était certain.
Un ascenseur à Wall Street ne peut pas être vide. C’est comme vouloir affirmer que le Sahara cache de la neige ou qu’Elvis Presley est encore en vie, c’est plus un fantasme délirant qu’une réalité… et 47 en était le témoin de premier ordre. Depuis trente-deux étages, l’ascenseur avait toujours quelqu’un d’autre à supporter. Un homme d’affaire sérieux en costume, une serviette ou une mallette à la main ; une secrétaire au chignon serré et aux lunettes carrées ; un employé moyen sirotant un café ; une femme de ménage, l’air exténué, qui grognasse dans son coin ; un comptable nerveux aux gestes frétillants, qui remet sans arrêt ses petites lunettes sur son nez. Mais jamais, jamais une seconde de libre pour continuer le contrat… et 47 savait que son temps était compté. Le temps qu’il arrive au 86e étage, Lenny James pourrait très bien avoir encerclé l’immeuble. Mieux valait ne pas perdre de temps. Secouant légèrement la tête, comme s’il avait perçu un bruit, l’assassin mis sa main à sa radio, sans pour autant appuyer sur le bouton.
-Oui, ici… Roberts. Qu’y a-t-il ?
Les deux secrétaires qui bavardaient se turent ; le comptable stoppa d’un geste sec sa main qui allait remettre ses lunettes ; un électricien qui se tenait à côté de lui haussa un sourcil. Hitman ne dit pas mot de plus, et fit semblant d’écouter une conversation radio. Il n’avait pas d’écouteur à l’oreille, mais qu’à cela ne tienne, les civils étaient toujours impressionnés par l’uniforme.
-Vous en êtes certains ?
L’une des secrétaires se mit à tapoter nerveusement sa serviette, tandis que l’autre essayait de reprendre la conversation. Et le comptable se mordillait maintenant les doigts…
-D’accord, compris. Roberts, terminé.
Il s’avança vers la porte et se tourna vers les quatre personnes. L’électricien laissa sa boîte à outils sur le sol et mis ses bras en croix, l’air sceptique avant même que 47 ne dise le moindre bout de mot.
-Désolé, je crois qu’il y a un problème, dit-il d’une voix forte et autoritaire.
-Un… problème ? fit le comptable d’une voix étouffée.
Les secrétaires se mirent à se chuchoter des mots inquiétants à l’oreille. L’électricien esquissa un bâillement, mettant nonchalamment la main devant la bouche.
-Nous recherchons un homme, continua calmement Hitman. Un homme dangereux, qui est peut-être dans cet immeuble.
-On n’a pas vu d’homme dangereux dans le coin, fit l’électricien d’une voix grave.
-Vous en êtes sûrs ? répliqua 47.
-Certain.
-Comment pouvez-vous en être certain ? demanda Code 47 d’une voix calme et soudain plus sombre. Je suis théoriquement autant dangereux qu’un tueur avec une arme dans les mains.
L’ironie pour masquer la vérité. Une tactique qui fait toujours effet.
-Théoriquement, oui, continua l’électricien en levant les yeux au ciel.
-Écoutez, on pense qu’il a pu piéger cet ascen…
-Quoi ? l’interrompit le comptable. P… piégé ? Avec… une bombe ???
-C’est possible, lui dit 47 sur un ton calme. C’est pour ça que je dois vous demander de…
DING !
Le comptable se rua à l’extérieur dès l’ouverture des portes, et les secrétaires suivirent rapidement. L’électricien, quant à lui, frôla 47 avec un œil interrogateur, l’air sceptique. Hitman n’y répondit pas, et bloqua l’accès à un homme d’affaire au costume clair qui voulait entrer dans l’ascenseur.
-Problème techniques, fit 47 juste avant que les portes ne se referment.
Il appuya sur le bouton de l’étage 85, puis leva rapidement les yeux vers le plafond alors que l’ascenseur commençait à gravir rapidement les paliers. Il repéra vite une poignée, qu’il poussa dans un petit bond. La trappe s’ouvrit dans un bruit violent, comme un coup de feu, et s’écrasa sur le haut de la cage. Le tueur y accrocha ses mains, puis s’y éleva rapidement, non sans peine, du haut de sa quarantaine. Puis, lentement, il referma la trappe, doucement, et observa les ténèbres au-dessus de lui, se demandant à quelle distance se trouvait réellement sa prochaine cible. Il ne restait plus qu’à attendre la petite montée de 50 étages…
Il observa durant quelques dizaines de secondes encore les patrouilles des onze différent gardes de sécurité et policiers, assis sur un banc, le visage à demi caché derrière un large journal qui prônait une nouvelle loi sur le clonage humain. Il se trouvait dans un petit parc, devant l’immeuble, à côté d’un arrêt de bus, côtoyant vieilles dames et mères de familles avec leurs rejetons. C’était plus qu’une couverture… il était parfait mirage aux yeux de ses opposants. Observant à demi les pas des hommes armés et lisant diagonalement l’article, 47 formula son plan d’attaque dans la tête. Pas de silencieux sur le CZ 2000, mais un coussin ferait l’affaire, et sa corde à piano encore mieux… Il faudrait passer les derniers étages à l’escalier, surprendre sa cible… Dougall était vieux et faible, et sans l’intervention de Lenny James, le contrat aurait été d’une étonnante simplicité. Le tueur baissa les yeux et remonta le journal, effaçant ainsi de la vue de n’importe qui celle de son crâne chauve.
Hitman ne se souciait pas de la politique. On pouvait cloner des dizaines d’imbéciles, du temps qu’ils ne devenaient pas tueurs à gages qui se mettaient sur sa chasse, ça ne lui posait pas de problème. Oui, ça ne lui posait pas de problème.
Il baissa le journal, le plia avec dédain et le posa sur le banc. Il avança, dans la journée brûlante et accablante, au milieu de la foule qui s’ameutait sur le passage piéton au rythme d’une vague qui se perd sur une plage vide. La place qui s’étalait devant le gratte-ciel était, fort heureusement, cachée par un large portique en verre sombre qui, même si ne cachait pas toute la lumière, rafraîchit immédiatement 47 quand il y pénétra, d’un pas autant calme et réfléchi que d’habitude. Le policier qu’il avait repéré trois minutes plus tôt avait bonne vue. Code 47 l’avait vu observer de loin les fesses d’une passante, d’un œil vif, faisant semblant de perdre son regard vers le ciel. Il avait des lunettes de soleil peut-être, mais une bonne vision, et cela se vérifia à cet instant précis.
Le policier s’arrêta net dans sa ronde en voyant Hitman s’approcher de l’immeuble. Il se figea sur place, et l’assassin silencieux l’imagina en train d’écarquiller les yeux derrière ses larges lunettes sombres. 47 changea de direction, et tourna vers un autre passage piéton. Il entendit les pas du policier se faire plus rapide, se rapprocher de lui de manière légère : le doute s’était bel et bien installé dans son esprit, et la chasse commençait. Hitman s’enfonça dans la masse qui attendait que le feu piéton passât au vert, écoutant d’une oreille quelque peu distraite les sirènes des voitures de police qui quittaient le building voisin. Lenny James étoffait ses recherches. Le molosse a du flair.
Le feu passa au vert. Immédiatement, la masse humaine tant compacte s’élongea et partit en toutes directions. Le policier, qui était de plus en plus proche, ne put arrêter Hitman même avec quelques interjections plutôt confuses, et se mit à courir sur le passage piéton, dont le feu était passé au rouge. Tandis que l’agent 47 continuait sa route d’un pas décidé et léger en direction d’une ruelle, le policier dut à deux fois brandir sa plaque pour pouvoir passer, sous le joug des klaxons et des insultes des conducteurs New-Yorkais. Il avait perdu de vu l’homme chauve, avec ce code barre sur l’arrière du crâne… c’était lui, aucune doute possible. Et la ruelle était sombre. Il enleva ses lunettes, les rangea dans la poche de sa veste, et s’avança lentement. L’homme, un costume Armani sur le dos, semblait en train de s’affairer quelque part près d’un container. Lentement, l’agent décrocha la sangle de son holster, et sortit lentement son arme, la pointant vers le sol.
-Tourne-toi.
Le tueur s’arrêta, ses gestes brutalement stoppés, comme un acte prémédité. Le policier eut un grand frisson dans le dos et sur tout l’avant-bras, et dut contenir ses tremblements pour ne pas appuyer sur la détente. Mais l’étrange individu au crâne rasé ne s’était toujours pas tourné.
-Je t’ai dit de te tou…
En un volte-face rapide, précis et imprévisible, Hitman pivota sur lui-même et asséna d’un coup brusque et violent la barre et fer sur la tempe du policier. Trop surpris pour faire quoi que ce soit, celui-ci n’avait pu, impuissant, que voir l’objet s’écraser sur lui, et se vue se brouiller rapidement.
-Si vous le demandez… fit Code 47 sans une once d’humour dans la voix, mais d’un air froid et implacable.
Il lança la barre de fer dans la benne à ordures, prévoyant d’y mettre également rapidement celui qu’elle avait envoyé dans les songes, quand la radio de l’homme grésilla. Lentement, Hitman s’agenouilla, et pris la radio entre ses doigts, écoutant juste les échos vides des sirènes qui se répercutaient dans la petite ruelle. Même d’ici, le ciel était étonnamment bleu…
-Je répète : qu’en est-il de votre côté, Roberts ?
-J’ai entendu ! fit 47 d’un air faussement agacé. Fausse piste, fit-il ensuite dans une quinte de toux pour masquer sa voix différente. J’ai poursuivi le gars sur au moins trois avenues, mais en fait il était clean… Roberts, terminé.
-Et vous pensez qu’il serait dans l’immeuble d’en face ? demanda Forthy avec un haussement de sourcil.
Lenny James prit son temps, et laissa couler le café le long de sa gorge, puis prit plaisir à laisser entrer de l’air frais dans ses poumons alors qu’il savait que le capitaine bouillait d’incompréhension.
-J’en suis certain, répondit-il sans autre explication.
Forthy ne répondit pas, se massa l’arrête du nez entre ses doigts grassouillets et murmura quelques paroles inaudibles. Lentement, il laissa glisser sa main le long de son visage, puis regarda l’agent d’Interpol au plus profond de ses yeux. Mike, debout à côté d’eux, n’en savait pas plus non plus.
-Et… sur quels arguments détonants pouvez-vous affirmer ceci ? articula lentement Forthy en mettant ses mains sur ses hanches, faisant tomber sa veste derrière ses bras et laissant apparaître un ventre étonnamment plat pour sa stature.
-Sur un contact sûr, répondit James avec son étrange calme plat, le regard clair. Interpol a aussi quelques agents dormants ici, à New York.
-C’est autorisé, ça?
-Je ne sais pas, j’ai dû lire le règlement il y a vingt ans… mais en tout cas, c’est efficace.
Forthy se calma un peu, et empoigna sa radio.
-J’espère que c’est un bon agent.
-C’est certain.
Le capitaine appuya sur le bouton, et il y eut aussitôt une réception à la voix féminine.
-Ici central.
-Capitaine Forthy…
-Ah… C’est pour le tueur ?
-Oui. Nous pensons qu’il est entré dans un des immeubles se situant juste à côté de celui où la fusillade a eu lieu.
-Vous rigolez ? On a placé des dizaines d’agents, il y a des contrôles à tous les coins de r…
-Le tuyau est en béton. (Il lança un regard sévère à James, lui disant clairement que si ce n’était pas le cas, celui-ci allait s’en prendre plein la tronche.) Laissez les contrôles, mais à plus faible fréquence. Envoyez des hommes dans tout Wall Street, et faites patrouiller l’hélico. Il est peut-être sous déguisement.
-Quel genre de déguisement ? fit la voix avec une pointe d’agacement.
-Aucune idée.
-Et comment voulez-vous que nous le reconnaissions ?
-Il a gardé la même tête depuis les dix dernières minutes, normalement, non ? répliqua Forthy avec ardeur, sur un ton qui ne donnait pas envie de continuer.
-Bien… je fais passer le message, et son portrait-robot.
-Merci. Terminé.
Forthy allait ranger la radio, quand la voix féminine revint dans un petit grésillement :
-Capitaine… cet homme, il est mort à Paris, en 2000…
L’officier se mordit la lèvre, pris une petite respiration et tourna les yeux au ciel.
-Je sais. D’après le rapport. Mais ce n’est pas un fantôme qui a envoyé nos agents six pieds sous terre. Que ce soit lui ou un autre, ça reste un tueur. Exécution.
-Compris. Terminé.
Forthy rangea sa radio, et ne regarda pas Lenny James quand il partit d’un pas lourd en direction de la sortie. Celui-ci lui était reconnaissant. Il savait très bien que tous les deux risquaient leur place, mais le contact était sûr, on ne peut plus sûr.
Le code barre était à moitié caché par la casquette, mais les larges lunettes à soleil permettaient au moins de masquer le visage squelettique de l’assassin. Le hall n’était pas si bondé que ça, en fait. Les divers hommes et femmes d’affaire semblaient éviter la présence des policiers, ces mêmes policiers qui recherchaient l’homme qui les côtoyait. Hitman les regarda du coin de l’œil, derrière les verres fumés, et partit en direction des ascenseurs. Il pensait devoir vérifier qu’aucun autre policier ne le vît quitter le hall de l’hôtel, la seule position qu’ils devaient surveiller, quand sa radio grésilla :
-Ici central… on pense de source sûre que le tueur n’a pas quitté Wall Street. Je répète : la cible recherchée est encore à Wall Street. Demande aux unités de contrôle en position dans les rues pour cette affaire d’envoyer une partie de leurs effectifs en renfort. Fouillez tous les immeubles du coin, il peut être n’importe où, même déguisé. Ne négligez personne. Terminé.
47 appuya sur le bouton de l’ascenseur, qui s’illumina légèrement. Sa couverture était désormais quasi-parfaite.
Aaron Dougall avait l’esprit embrumé. Peut-être était-ce la vieillesse, mais il sentait bien que son sens critique n’était plus aussi performant. Il se sentait las, vidé, et commençait à baisser sa garde. Il observa le fond de son verre de whisky, dénichant son visage déformé à travers le verre bombé. Berlin lui permettrait de se racheter. C’était à Berlin qu’il porterait le coup final de son plan devant le Conseil, et qu’il deviendrait le plus grand requin de la finance de tous les temps. « Genius », son ordinateur, lui avait permis d’en apprendre sur tous ses subordonnés et ses intermédiaires. Il était entré dans leurs données personnelles, leurs revenus, leurs dossiers médicaux et même psychologiques pour certains… une aubaine ! Il savait aussi qu’il devenait trop gênant, et qu’on voulait le remplacer. Il avait déjà imaginé toutes les questions qu’on lui poserait, tous les pièges qui seraient dressés face à lui. Et il avait, de même imaginé toutes les répliques cinglantes qui empêcheraient le reste du conseil de prendre sa place. Chaque seconde de son itinéraire dans la capitale germanique avait été pensée, repensée, et toutes les possibilités avaient été abordées. Il n’avait rien à craindre.
-Votre bain est prêt, monsieur, fit Edward du bout du couloir.
-Bien, répondit Dougall d’une voix faible. Bien, bien, j’arrive.
Il reposa son verre sur la table également de verre, qui émit comme une vibration sourde, puis se leva, sans trop de difficulté. On allait vouloir l’assassiner à Berlin… c’était certain.
Un ascenseur à Wall Street ne peut pas être vide. C’est comme vouloir affirmer que le Sahara cache de la neige ou qu’Elvis Presley est encore en vie, c’est plus un fantasme délirant qu’une réalité… et 47 en était le témoin de premier ordre. Depuis trente-deux étages, l’ascenseur avait toujours quelqu’un d’autre à supporter. Un homme d’affaire sérieux en costume, une serviette ou une mallette à la main ; une secrétaire au chignon serré et aux lunettes carrées ; un employé moyen sirotant un café ; une femme de ménage, l’air exténué, qui grognasse dans son coin ; un comptable nerveux aux gestes frétillants, qui remet sans arrêt ses petites lunettes sur son nez. Mais jamais, jamais une seconde de libre pour continuer le contrat… et 47 savait que son temps était compté. Le temps qu’il arrive au 86e étage, Lenny James pourrait très bien avoir encerclé l’immeuble. Mieux valait ne pas perdre de temps. Secouant légèrement la tête, comme s’il avait perçu un bruit, l’assassin mis sa main à sa radio, sans pour autant appuyer sur le bouton.
-Oui, ici… Roberts. Qu’y a-t-il ?
Les deux secrétaires qui bavardaient se turent ; le comptable stoppa d’un geste sec sa main qui allait remettre ses lunettes ; un électricien qui se tenait à côté de lui haussa un sourcil. Hitman ne dit pas mot de plus, et fit semblant d’écouter une conversation radio. Il n’avait pas d’écouteur à l’oreille, mais qu’à cela ne tienne, les civils étaient toujours impressionnés par l’uniforme.
-Vous en êtes certains ?
L’une des secrétaires se mit à tapoter nerveusement sa serviette, tandis que l’autre essayait de reprendre la conversation. Et le comptable se mordillait maintenant les doigts…
-D’accord, compris. Roberts, terminé.
Il s’avança vers la porte et se tourna vers les quatre personnes. L’électricien laissa sa boîte à outils sur le sol et mis ses bras en croix, l’air sceptique avant même que 47 ne dise le moindre bout de mot.
-Désolé, je crois qu’il y a un problème, dit-il d’une voix forte et autoritaire.
-Un… problème ? fit le comptable d’une voix étouffée.
Les secrétaires se mirent à se chuchoter des mots inquiétants à l’oreille. L’électricien esquissa un bâillement, mettant nonchalamment la main devant la bouche.
-Nous recherchons un homme, continua calmement Hitman. Un homme dangereux, qui est peut-être dans cet immeuble.
-On n’a pas vu d’homme dangereux dans le coin, fit l’électricien d’une voix grave.
-Vous en êtes sûrs ? répliqua 47.
-Certain.
-Comment pouvez-vous en être certain ? demanda Code 47 d’une voix calme et soudain plus sombre. Je suis théoriquement autant dangereux qu’un tueur avec une arme dans les mains.
L’ironie pour masquer la vérité. Une tactique qui fait toujours effet.
-Théoriquement, oui, continua l’électricien en levant les yeux au ciel.
-Écoutez, on pense qu’il a pu piéger cet ascen…
-Quoi ? l’interrompit le comptable. P… piégé ? Avec… une bombe ???
-C’est possible, lui dit 47 sur un ton calme. C’est pour ça que je dois vous demander de…
DING !
Le comptable se rua à l’extérieur dès l’ouverture des portes, et les secrétaires suivirent rapidement. L’électricien, quant à lui, frôla 47 avec un œil interrogateur, l’air sceptique. Hitman n’y répondit pas, et bloqua l’accès à un homme d’affaire au costume clair qui voulait entrer dans l’ascenseur.
-Problème techniques, fit 47 juste avant que les portes ne se referment.
Il appuya sur le bouton de l’étage 85, puis leva rapidement les yeux vers le plafond alors que l’ascenseur commençait à gravir rapidement les paliers. Il repéra vite une poignée, qu’il poussa dans un petit bond. La trappe s’ouvrit dans un bruit violent, comme un coup de feu, et s’écrasa sur le haut de la cage. Le tueur y accrocha ses mains, puis s’y éleva rapidement, non sans peine, du haut de sa quarantaine. Puis, lentement, il referma la trappe, doucement, et observa les ténèbres au-dessus de lui, se demandant à quelle distance se trouvait réellement sa prochaine cible. Il ne restait plus qu’à attendre la petite montée de 50 étages…
Chapitre XV: Money
Il l’avait prévenu ! Bon Dieu, Beldingford était un malfrat décidément très mal organisé… s’il continuait ainsi, la couverture de Hitman ne tarderait pas à être compromise. Celui-ci, marchant dans l’ombre d’un tunnel souterrain, hurlait dans sa radio :
-Je me fous de savoir ce qui est arrivé ! Passe-moi Beldingford !
Peter était tendu, Code 47 encore plus. Si le jeune homme de main avait vu son visage plongé dans la pénombre du tunnel et de sa propre colère, il aurait probablement accéléré le pas. À côté du tueur, une bouche d’égouts, ouverte, laissait entrer un filet de lumière éblouissante, remplie de poussières en tout genre. L’endroit était insalubre, tagué de partout, et l’odeur était insupportable. Ce qui n’était pas pour irriter Hitman.
-C’est la deuxième fusillade de ce genre à cause de son manque de professionnalisme ! Je dois lui parler, et je vais lui parler. Si ce n’est pas le cas, tu peux commencer à creuser ta tombe petit, je ne vais pas me faire attendre…
-Bien, bien. Il est en pleine discussion avec un… client, mais je vais vous le passer, par appel indirect.
Il boucla. Hitman rangea sa petite radio, et sortit son CZ 2000, qu’il avait trouvé dans la petite armurerie que Peter lui avait léguée, dans un sac de sport. Il le soupesa, observa son reflet noir sur la culasse longiligne de l’arme, puis tira celle-ci vers l’arrière, pour vérifier que la balle était bien dans la chambre. Elle l’était, et d’après son poids, le chargeur éteint plein : parfait. Mais une douleur lui perfora l’abdomen, et il mit sa main à son ventre, grognant de douleur, se forçant à ranger son arme bien que n’importe quel ennemi pouvait le surprendre durant ces quelques instants de faiblesse. Il enleva le haut de veste, et observa quelques instants la tache rouge qui s’était agrandie sur tout le côté de sa taille. Ce n’était qu’une égratignure, la balle l’ayant traversé, mais le sang lui coulait sur la jambe et lui collait les pantalons à la peau. Il prenait de l’âge, il devenait faible, et ce n’étaient ni une perte massive de sang ni le fait de jouer au Petit Poucet avec sa propre hémoglobine qui allait l’aider. Il enleva la chemise tâchée, la roula en boule et la jeta dans les vagues puantes et remplies de déchets qui sillonnaient derrière une petite barrière, disparaissant dans l’ombre derrière une grille. Les rayons solaires illuminèrent sa musculature, qui même si elle était devenue moins impressionnante à la quarantaine, était restée solide et largement assez utile contre n’importe quel ennemi, son réel atout au combat étant avant tout son sens des priorités et sa maîtrise de l’art du combat… et du meurtre. Ses instincts développés au fil du temps, son intelligence, telles étaient ses réelles armes. Tandis qu’il désinfectait la plaie avec de l’alcool, sans geindre le moins du monde, la radio recommença à émettre.
-47, vous êtes là ?
C’était Beldingford. Lentement, Hitman laissa de côté la bande de gaze et le pansement dont il comptait se servir et saisit le récepteur.
-Oui.
Il observa sa blessure, qui ne semblait pas nécessiter de manière urgente de points de sutures, et appliqua le pansement, puis commença à dérouler la bande, tenant la radio entre sa tête et son épaule.
-Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Beldingford d’une voix crue. Vous savez que je suis occupé.
-Si je ne suis plus là pour vous, ce seront Interpol et le FBI qui vont s’occuper de vous. Et pour l’instant, ce que vous me proposez n’est pas assez.
-Vous voulez que j’augmente votre salaire ?
-Non. Je veux un terrain complètement déblayé avant d’entrer en jeu.
-Qu’est-ce que vous voulez, exactement ?
-Je viens de vous le dire. J’exige autant une excellente protection que travailler dans mes règles. Je vous avais prévenu que travailler à Manhattan serait dangereux.
-Nom de Dieu 47, il s’est passé quelque chose ?
Hitman commença à enrouler la bande autour de son corps, la faisant passer autour de lui avec une étrange habileté. Mais il ne répondit pas.
-47 ! continua Beldingford. Que s’est-il passé ?
-On dirait que Lenny James est toujours sur mes traces. Vous avez fait vérifier le faux passeport ?
-Celui de Bradley Kyle ? Un de mes contacts l’a fait authentifier il y a deux mois !
-C’est trop. D’ailleurs je l’ai utilisé plusieurs fois. Trouvez-m’en un autre.
Il finit d’enrouler la bande, puis déchira un morceau de sparadrap et finit ainsi de soigner sa légère blessure.
-D’accord, mais ça ne répond pas à ma question ! Vous avez eu des ennuis ?
-Les forces d’interventions sont entrées dans l’immeuble. J’ai été obligé d’en tuer trois.
Un silence, révélateur. L’assassin empoigna le haut de son costume, vérifia qu’il n’y avait pas beaucoup de sang dans l’intérieur noir, et enfila rapidement le tout.
-Je vois… mais vous auriez pu limiter les pertes !
Sa voix, au départ calme, s’était muée en un terrible rugissement.
-C’était le minimum pour pouvoir m’enfuir. Si j’avais voulu réellement avoir toutes les chances de rester en vie, j’aurais tenu l’un de ces gars en otage et me serais servi de son fusil en même temps… puis j’aurais probablement repeint les murs avec les entrailles de ces flics. C’est uniquement, purement et simplement votre faute.
Il boutonna son costume, et rangea sa cravate rouge dans une de ses poches. Il n’avait plus de chemise en dessous… c’était presque préférable avec cette chaleur, au-dehors !
-Bien, fit Beldingford d’une voix soudain plus calme. Je vous où vous voulez en venir. Je vais faire réviser tous vos faux passeports et pièces d’identités, vous faire transiter uniquement par jet privé et voitures avec chauffeur de confiance.
-Parfait, répondit Hitman d’une voix neutre. Envoyez un chauffeur m’attendre dans le parking souterrain de l’immeuble, dans une voiture d’une marque allemande, qui écoutera de la musique techno… si je ne suis pas là-bas demain matin, je suis mort ou je me suis fait pincer. Maintenant, si vous permettez, j’ai un contrat à finir.
Sans dire un mot de plus, il lança la radio dans les flots dégoûtants et commencer à remonter vers la surface, le soleil lui éblouissant le visage.
Lenny James venait d’avaler un gobelet de café noir et sans sucre d’une traite, et avait aboyé à Mike, d’une haleine dont celui-ci dut se souvenir longtemps, d’aller lui en chercher un autre. Forthy était à côté de lui, pensif. L’agent d’Interpol se tourna vers lui, soudain plus calme, prêt à prendre les directives pour stopper 47 :
-Inutile de continuer à chercher ici, il est en liberté dans Manhattan. Alertez les commissariats de l’île, d’Harlem, du Queens, de Brooklyn… tous ! Faites organiser des barrages aux ponts qui enjambent l’East et l’Hudson River, faites patrouiller des navires dans la baie et des hélicoptères autour des toits des gratte-ciels… il ne faut pas le laisser s’enfuir !
Forthy, assis sur une chaise à côté de lui, se contentait de l’observer d’en bas, les yeux levés, comme un malentendant qui n’avait pas compris ses paroles. Il mit un certains temps à répondre, se redressant lentement sur son siège.
-Je crois qu’il est tout aussi inutile de discuter avec vous, finit-il par dire d’une voix calme. Vous devez aussi bien savoir que moi, vous avez travaillé ici il me semble, que faire mobiliser toute la police de New York pour retrouver, dans une ville de plus de sept millions d’habitants, un tueur à gage normalement décédé alors que les fusillades, les règlements comptes et les trafics de drogue font rage dans la rue est totalement et tout bonnement impossible. C’est une ombre qui nous a échappé, pas un idiot déguisé en sapin de Noël.
L’argument de Forthy avait fait choc dans l’esprit de Lenny James, et un long frisson, malgré la chaleur, lui remonta le long de la colonne vertébrale. La persévérance faisant partie intégrale de sa vie, si ce n’était sa vie toute entière… Code 47 lui avait échappé de nombreuses fois, et il savait que chacune pouvait être la dernière. Et il se trouvait à nouveau dans l’impasse, démuni, ne sachant pas si une pareille opportunité se représenterait un jour. Il ne voulait pas échouer… ne pouvait pas échouer. C’était également le dernier moyen de prouver à Interpol que le tueur à gages était encore en vie. Ses supérieurs lui demandaient chaque jour des preuves de son activité, des rapports, et la tension entre le molosse et le reste du réseau devenait très tendue. Mais prouver qu’il n’était pas mort, et l’arrêter, étaient autre chose qu’une simple question de place de travail, c’était devenu une chasse, une poursuite enragée dont le seul moyen d’en sortir était d’en être le vainqueur. S’éloignant de ses pensées sur son importance au sein d’Interpol et de ses convictions intimes, il allait prendre le café que lui tendait Mike, revenu rapidement de la machine, quand son téléphone portable sonna dans sa poche. Il laissa le café dans la main tendue de l’informaticien, qui resta dans cette position d’un air idiot, ne se risquant pas à boire le café du patron, alors que celui-ci sortait l’appareil de sa poche.
-Lenny James, fit-il d’un ton neutre en mettant le téléphone à l’oreille.
-Ici Carl, fit une faible voix d’homme. La police vient de retrouver l’uniforme de Jefferson dans la rue, je l’entends sur leur fréquence.
Au même moment, la radio de Forthy grésilla ; James eut un sourire.
-Quoi, encore ? demanda-t-il d’un ton posé.
-On a peut-être une piste.
Il l’écouta attentivement, alors que Forthy tentait de lui annoncer maladroitement que 47 se baladait en ville sans son uniforme de Swat.
En haut de son appartement, Dougall avait fini d’observer l’agitation qui avait lieu en bas de la rue, toujours accoudé sur la rambarde, l’air pensif.
-On dirait que la police a quelques problèmes, fit-il alors qu’Edward sortait sur la terrasse.
-J’ai fini de préparer les affaires pour le voyage vers Berlin, dit celui-ci avec une certaine peur dans la voix.
-Bien… faites-moi couler un bain, je vais aller prendre un whisky.
S’éloignant lentement de la petite barrière, Dougall s’avança dans son living-room, et ouvrit avec précaution le tiroir d’un petit buffet, qui contenait de l’alcool en tous genres. Boire était, pour Dougall, un moyen d’oublier ses soucis durant un instant, et le stress intense qui pesait au-dessus de sa tête. Il écarta les bouteilles de gin et de vodka, et pris délicatement celle de whisky, saisissant ensuite un fin petit verre en cristal. Il fit couler le liquide dans le verre avec adresse, puis rangea le tout de manière toute autant attentionnée, avant de partir s’asseoir dans un canapé de couleur rouge foncé. Le living-room semblait énorme, mais ce n’était en fait que la décoration, épurée, qui donnait cette impression. La moquette était de couleur claire, beige probablement, et les murs blancs décoré par quelques endroits de tableaux en tous genres, autant modernes et particuliers que classiques et impressionnants, dont un de Dougall lui-même à la Andy Warhol. Il lui avait été offert par un homme d’affaire irlandais, après que le requin de la finance ne lui ait conseillé de vendre à un prix plus que risible des dizaines d’actions d’American Airlines… deux semaines avant le 11 Setpembre. Bien sûr, ces prix plus que risibles étaient tout de même supérieurs à ceux auxquels on vendait les actions après les attentats, et l’Irlandais, même s’il n’avait jamais flairé la bonne affaire, lui avait également fourni assez de scotch pour le restant de ses jours. Dougall eut un petit sourire entre deux gorgées d’alcool, en y repensant. Son succès…
Il avait engagé, dix ans plus tôt, un expert en informatique qui l’avait connecté à Internet et à tous les réseaux d’informations mondiaux… Dougall était plus qu’un simple homme d’affaire, c’était un homme qui avait le pouvoir sur le monde, d’une certaine manière, sur son petit monde de Wall Street. Le réseau que cet informaticien, qui avait mystérieusement disparu quelque part en Alabama un mois après son installation, lui permettait d’observer toute la documentation des agences du monde entier. Les connections aux ordinateurs du monde entier étaient considérées comme les plus efficaces jamais réalisées par son créateur, même aux débuts d’Internet. Elles étaient invisibles, impossibles à détecter, et après dix ans d’intenses manipulations informatiques dans toutes les agences mondiales, en découvrir l’existence était devenu quasi-impossible. Dougall avait le pouvoir de connaître les décisions de toutes les agences gouvernementales américaines, de tous les gouvernements au monde… de tous les ordinateurs connectés sur cette planète. Il but une autre gorgée de whisky, observant le ciel dégagé à travers les larges baies vitrées de l’appartement. Il savait quoi vendre, quoi acheter, qui manipuler, avec qui devenir associé… il était devenu le monarque absolu d’un empire en allant espionner tous les paysans du bas pays. Son réseau avait suivi les progrès d’Internet sans problème, et il était encore dans son état initial : parfait. Son créateur était un génie. La seule chose que Dougall avait réellement pu prévoir, c’était l’importance de l’informatique.
D’après l’IRS (le fisc américain, ndla), sa fortune se montait à six milliards de dollars… en vérité, c’était le quintuple. Il éclata de rire au beau milieu de son appartement, songeant au fait qu’il avait caché les fichiers informatiques contenant l’argent numérisé des comptes en question du cœur même du réseau de l’IRS… Il était intouchable, il était invincible.Du moins c’est ce qu’il pensait.
-Je me fous de savoir ce qui est arrivé ! Passe-moi Beldingford !
Peter était tendu, Code 47 encore plus. Si le jeune homme de main avait vu son visage plongé dans la pénombre du tunnel et de sa propre colère, il aurait probablement accéléré le pas. À côté du tueur, une bouche d’égouts, ouverte, laissait entrer un filet de lumière éblouissante, remplie de poussières en tout genre. L’endroit était insalubre, tagué de partout, et l’odeur était insupportable. Ce qui n’était pas pour irriter Hitman.
-C’est la deuxième fusillade de ce genre à cause de son manque de professionnalisme ! Je dois lui parler, et je vais lui parler. Si ce n’est pas le cas, tu peux commencer à creuser ta tombe petit, je ne vais pas me faire attendre…
-Bien, bien. Il est en pleine discussion avec un… client, mais je vais vous le passer, par appel indirect.
Il boucla. Hitman rangea sa petite radio, et sortit son CZ 2000, qu’il avait trouvé dans la petite armurerie que Peter lui avait léguée, dans un sac de sport. Il le soupesa, observa son reflet noir sur la culasse longiligne de l’arme, puis tira celle-ci vers l’arrière, pour vérifier que la balle était bien dans la chambre. Elle l’était, et d’après son poids, le chargeur éteint plein : parfait. Mais une douleur lui perfora l’abdomen, et il mit sa main à son ventre, grognant de douleur, se forçant à ranger son arme bien que n’importe quel ennemi pouvait le surprendre durant ces quelques instants de faiblesse. Il enleva le haut de veste, et observa quelques instants la tache rouge qui s’était agrandie sur tout le côté de sa taille. Ce n’était qu’une égratignure, la balle l’ayant traversé, mais le sang lui coulait sur la jambe et lui collait les pantalons à la peau. Il prenait de l’âge, il devenait faible, et ce n’étaient ni une perte massive de sang ni le fait de jouer au Petit Poucet avec sa propre hémoglobine qui allait l’aider. Il enleva la chemise tâchée, la roula en boule et la jeta dans les vagues puantes et remplies de déchets qui sillonnaient derrière une petite barrière, disparaissant dans l’ombre derrière une grille. Les rayons solaires illuminèrent sa musculature, qui même si elle était devenue moins impressionnante à la quarantaine, était restée solide et largement assez utile contre n’importe quel ennemi, son réel atout au combat étant avant tout son sens des priorités et sa maîtrise de l’art du combat… et du meurtre. Ses instincts développés au fil du temps, son intelligence, telles étaient ses réelles armes. Tandis qu’il désinfectait la plaie avec de l’alcool, sans geindre le moins du monde, la radio recommença à émettre.
-47, vous êtes là ?
C’était Beldingford. Lentement, Hitman laissa de côté la bande de gaze et le pansement dont il comptait se servir et saisit le récepteur.
-Oui.
Il observa sa blessure, qui ne semblait pas nécessiter de manière urgente de points de sutures, et appliqua le pansement, puis commença à dérouler la bande, tenant la radio entre sa tête et son épaule.
-Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Beldingford d’une voix crue. Vous savez que je suis occupé.
-Si je ne suis plus là pour vous, ce seront Interpol et le FBI qui vont s’occuper de vous. Et pour l’instant, ce que vous me proposez n’est pas assez.
-Vous voulez que j’augmente votre salaire ?
-Non. Je veux un terrain complètement déblayé avant d’entrer en jeu.
-Qu’est-ce que vous voulez, exactement ?
-Je viens de vous le dire. J’exige autant une excellente protection que travailler dans mes règles. Je vous avais prévenu que travailler à Manhattan serait dangereux.
-Nom de Dieu 47, il s’est passé quelque chose ?
Hitman commença à enrouler la bande autour de son corps, la faisant passer autour de lui avec une étrange habileté. Mais il ne répondit pas.
-47 ! continua Beldingford. Que s’est-il passé ?
-On dirait que Lenny James est toujours sur mes traces. Vous avez fait vérifier le faux passeport ?
-Celui de Bradley Kyle ? Un de mes contacts l’a fait authentifier il y a deux mois !
-C’est trop. D’ailleurs je l’ai utilisé plusieurs fois. Trouvez-m’en un autre.
Il finit d’enrouler la bande, puis déchira un morceau de sparadrap et finit ainsi de soigner sa légère blessure.
-D’accord, mais ça ne répond pas à ma question ! Vous avez eu des ennuis ?
-Les forces d’interventions sont entrées dans l’immeuble. J’ai été obligé d’en tuer trois.
Un silence, révélateur. L’assassin empoigna le haut de son costume, vérifia qu’il n’y avait pas beaucoup de sang dans l’intérieur noir, et enfila rapidement le tout.
-Je vois… mais vous auriez pu limiter les pertes !
Sa voix, au départ calme, s’était muée en un terrible rugissement.
-C’était le minimum pour pouvoir m’enfuir. Si j’avais voulu réellement avoir toutes les chances de rester en vie, j’aurais tenu l’un de ces gars en otage et me serais servi de son fusil en même temps… puis j’aurais probablement repeint les murs avec les entrailles de ces flics. C’est uniquement, purement et simplement votre faute.
Il boutonna son costume, et rangea sa cravate rouge dans une de ses poches. Il n’avait plus de chemise en dessous… c’était presque préférable avec cette chaleur, au-dehors !
-Bien, fit Beldingford d’une voix soudain plus calme. Je vous où vous voulez en venir. Je vais faire réviser tous vos faux passeports et pièces d’identités, vous faire transiter uniquement par jet privé et voitures avec chauffeur de confiance.
-Parfait, répondit Hitman d’une voix neutre. Envoyez un chauffeur m’attendre dans le parking souterrain de l’immeuble, dans une voiture d’une marque allemande, qui écoutera de la musique techno… si je ne suis pas là-bas demain matin, je suis mort ou je me suis fait pincer. Maintenant, si vous permettez, j’ai un contrat à finir.
Sans dire un mot de plus, il lança la radio dans les flots dégoûtants et commencer à remonter vers la surface, le soleil lui éblouissant le visage.
Lenny James venait d’avaler un gobelet de café noir et sans sucre d’une traite, et avait aboyé à Mike, d’une haleine dont celui-ci dut se souvenir longtemps, d’aller lui en chercher un autre. Forthy était à côté de lui, pensif. L’agent d’Interpol se tourna vers lui, soudain plus calme, prêt à prendre les directives pour stopper 47 :
-Inutile de continuer à chercher ici, il est en liberté dans Manhattan. Alertez les commissariats de l’île, d’Harlem, du Queens, de Brooklyn… tous ! Faites organiser des barrages aux ponts qui enjambent l’East et l’Hudson River, faites patrouiller des navires dans la baie et des hélicoptères autour des toits des gratte-ciels… il ne faut pas le laisser s’enfuir !
Forthy, assis sur une chaise à côté de lui, se contentait de l’observer d’en bas, les yeux levés, comme un malentendant qui n’avait pas compris ses paroles. Il mit un certains temps à répondre, se redressant lentement sur son siège.
-Je crois qu’il est tout aussi inutile de discuter avec vous, finit-il par dire d’une voix calme. Vous devez aussi bien savoir que moi, vous avez travaillé ici il me semble, que faire mobiliser toute la police de New York pour retrouver, dans une ville de plus de sept millions d’habitants, un tueur à gage normalement décédé alors que les fusillades, les règlements comptes et les trafics de drogue font rage dans la rue est totalement et tout bonnement impossible. C’est une ombre qui nous a échappé, pas un idiot déguisé en sapin de Noël.
L’argument de Forthy avait fait choc dans l’esprit de Lenny James, et un long frisson, malgré la chaleur, lui remonta le long de la colonne vertébrale. La persévérance faisant partie intégrale de sa vie, si ce n’était sa vie toute entière… Code 47 lui avait échappé de nombreuses fois, et il savait que chacune pouvait être la dernière. Et il se trouvait à nouveau dans l’impasse, démuni, ne sachant pas si une pareille opportunité se représenterait un jour. Il ne voulait pas échouer… ne pouvait pas échouer. C’était également le dernier moyen de prouver à Interpol que le tueur à gages était encore en vie. Ses supérieurs lui demandaient chaque jour des preuves de son activité, des rapports, et la tension entre le molosse et le reste du réseau devenait très tendue. Mais prouver qu’il n’était pas mort, et l’arrêter, étaient autre chose qu’une simple question de place de travail, c’était devenu une chasse, une poursuite enragée dont le seul moyen d’en sortir était d’en être le vainqueur. S’éloignant de ses pensées sur son importance au sein d’Interpol et de ses convictions intimes, il allait prendre le café que lui tendait Mike, revenu rapidement de la machine, quand son téléphone portable sonna dans sa poche. Il laissa le café dans la main tendue de l’informaticien, qui resta dans cette position d’un air idiot, ne se risquant pas à boire le café du patron, alors que celui-ci sortait l’appareil de sa poche.
-Lenny James, fit-il d’un ton neutre en mettant le téléphone à l’oreille.
-Ici Carl, fit une faible voix d’homme. La police vient de retrouver l’uniforme de Jefferson dans la rue, je l’entends sur leur fréquence.
Au même moment, la radio de Forthy grésilla ; James eut un sourire.
-Quoi, encore ? demanda-t-il d’un ton posé.
-On a peut-être une piste.
Il l’écouta attentivement, alors que Forthy tentait de lui annoncer maladroitement que 47 se baladait en ville sans son uniforme de Swat.
En haut de son appartement, Dougall avait fini d’observer l’agitation qui avait lieu en bas de la rue, toujours accoudé sur la rambarde, l’air pensif.
-On dirait que la police a quelques problèmes, fit-il alors qu’Edward sortait sur la terrasse.
-J’ai fini de préparer les affaires pour le voyage vers Berlin, dit celui-ci avec une certaine peur dans la voix.
-Bien… faites-moi couler un bain, je vais aller prendre un whisky.
S’éloignant lentement de la petite barrière, Dougall s’avança dans son living-room, et ouvrit avec précaution le tiroir d’un petit buffet, qui contenait de l’alcool en tous genres. Boire était, pour Dougall, un moyen d’oublier ses soucis durant un instant, et le stress intense qui pesait au-dessus de sa tête. Il écarta les bouteilles de gin et de vodka, et pris délicatement celle de whisky, saisissant ensuite un fin petit verre en cristal. Il fit couler le liquide dans le verre avec adresse, puis rangea le tout de manière toute autant attentionnée, avant de partir s’asseoir dans un canapé de couleur rouge foncé. Le living-room semblait énorme, mais ce n’était en fait que la décoration, épurée, qui donnait cette impression. La moquette était de couleur claire, beige probablement, et les murs blancs décoré par quelques endroits de tableaux en tous genres, autant modernes et particuliers que classiques et impressionnants, dont un de Dougall lui-même à la Andy Warhol. Il lui avait été offert par un homme d’affaire irlandais, après que le requin de la finance ne lui ait conseillé de vendre à un prix plus que risible des dizaines d’actions d’American Airlines… deux semaines avant le 11 Setpembre. Bien sûr, ces prix plus que risibles étaient tout de même supérieurs à ceux auxquels on vendait les actions après les attentats, et l’Irlandais, même s’il n’avait jamais flairé la bonne affaire, lui avait également fourni assez de scotch pour le restant de ses jours. Dougall eut un petit sourire entre deux gorgées d’alcool, en y repensant. Son succès…
Il avait engagé, dix ans plus tôt, un expert en informatique qui l’avait connecté à Internet et à tous les réseaux d’informations mondiaux… Dougall était plus qu’un simple homme d’affaire, c’était un homme qui avait le pouvoir sur le monde, d’une certaine manière, sur son petit monde de Wall Street. Le réseau que cet informaticien, qui avait mystérieusement disparu quelque part en Alabama un mois après son installation, lui permettait d’observer toute la documentation des agences du monde entier. Les connections aux ordinateurs du monde entier étaient considérées comme les plus efficaces jamais réalisées par son créateur, même aux débuts d’Internet. Elles étaient invisibles, impossibles à détecter, et après dix ans d’intenses manipulations informatiques dans toutes les agences mondiales, en découvrir l’existence était devenu quasi-impossible. Dougall avait le pouvoir de connaître les décisions de toutes les agences gouvernementales américaines, de tous les gouvernements au monde… de tous les ordinateurs connectés sur cette planète. Il but une autre gorgée de whisky, observant le ciel dégagé à travers les larges baies vitrées de l’appartement. Il savait quoi vendre, quoi acheter, qui manipuler, avec qui devenir associé… il était devenu le monarque absolu d’un empire en allant espionner tous les paysans du bas pays. Son réseau avait suivi les progrès d’Internet sans problème, et il était encore dans son état initial : parfait. Son créateur était un génie. La seule chose que Dougall avait réellement pu prévoir, c’était l’importance de l’informatique.
D’après l’IRS (le fisc américain, ndla), sa fortune se montait à six milliards de dollars… en vérité, c’était le quintuple. Il éclata de rire au beau milieu de son appartement, songeant au fait qu’il avait caché les fichiers informatiques contenant l’argent numérisé des comptes en question du cœur même du réseau de l’IRS… Il était intouchable, il était invincible.Du moins c’est ce qu’il pensait.
Chapitre XIV: SWAT Team
-Ici l’unité 2, nous avons la cible en visuel… sur un balcon… attendons instructions.
L’hélicoptère avait fini de survoler l’immeuble, et on venait de repérer l’homme. Tueur à gages selon l’avis de recherche. Dans l’équipe, certains disaient qu’il avait couvert sa propre mort quelques années auparavant pour continuer son métier. Jefferson, le chef de l’unité 2, n’en avait pas vraiment souci. Pour lui, c’était une cible, une simple cible. Il fallait le chasser, et l’attraper. Il aurait certainement vomi ou aurait jeté son uniforme à terre en sachant que l’assassin agissait selon les mêmes règles, sauf que celui-ci finissait son travail par la sentence fatale. Jefferson préférait ses menottes à son M4, mais il fallait avouer que celui-ci était parfois bien plus utile.
-Ici central, vous avez ordre de l’intercepter.
Le pilote entendait la conversation, et finit de contourner un gratte-ciel pour repartir en direction de Code 47.
-Très bien, fit Jefferson. Vif j’imagine.
-De préférence, lui répondit la voix du central avec un petit grésillement. Mais vous êtes autorisé à tirer. Il est dangereux, d’après nos renseignements.
L’hélicoptère s’approchait de l’immeuble, quand Jefferson remarqua qu’un fusil sniper était disposé contre la barrière. Ce satané tueur semblait encore en activité, et sur un coup. Jefferson ajusta son casque et ses lunettes, puis changea le mode de tir de sa mitraillette, de sécurité vers automatique.
-Préparez les cordes ! Il semble nous avoir repéré.
Alors que le tueur laissait tomber une radio sur le sol et qu’il s’élançait à l’intérieur de l’immeuble, le chef de l’équipe attachait son harnais au système de descente en rappel de l’appareil.
-La cible vient de rentrer dans l’immeuble. Je répète : la cible vient de rentrer dans l’immeuble.
L’hélicoptère se stabilisa, et avant même que la corde qui tombait sur le toit de l’immeuble ne touchât le toit, Jefferson sautait déjà au-dehors de l’appareil, la main serrée sur sa corde en nylon. Durant ces quelques secondes où son corps était balancé le long de la corde, où le fort vent qui longeait les immeuble le frappait de plein fouet, il profita simplement de la vue sur l’Hudson River, du calme et du bleu du ciel ainsi que des jeux de miroirs des immeubles de Manhattan, reflétant la beauté de ce coin qui paraissait si tranquille.
-L’unité 1 a bloqué les ascenseurs et est en train de passer par les escaliers, informa le central alors que les pieds de Jefferson tombaient sur béton du toit avec force. Où en êtes-vous ?
-On débarque. 78e étage c’est ça ?
-Affirmatif.
Jefferson ne dit pas un mot de plus, et courut en direction des rebords. Des barrières de deux mètres de hauts empêchaient les dépressifs suicidaires à tenter l’expérience, mais ce n’était aucunement un problème pour l’unité. Les six membres de l’équipe se mirent rapidement en position sur les lieux, et accrochèrent les harnais en acier autour des sorties de la climatisation, rambardes et autres pythons installés ici on ne sait trop pourquoi. Ca n’avait pas d’importance. Jefferson fit cliqueter son harnais, vérifia son matériel et escalada la barrière, puis attendit que le reste de l’équipe ait fini. Huit secondes. Huit secondes de paix le haut d’un gratte-ciel. Le roi du monde…
-Ici central, l’unité 1 a des problèmes !
Le standardiste semblait stressé, il y avait des emmerdes. Jefferson avait entendu quelques crépitements au loin, et avait eu le secret espoir que c’étaient une télévision ou autre radio. La réalité les rattrapait : leur ennemi était on ne peut mieux entraîné.
-Ici unité 2, nous sommes prêts à descendre, dit Jefferson en adressant un coup d’œil au reste de l’équipe.
Le central ne répondit pas. Jefferson tourna la tête de chaque côté, observant ses hommes assis sur la rambarde. Il hocha la tête et tira la culasse de son M4 en arrière, avec ce bruit sec et caractéristique précédant un massacre proche, et chacun fit de même, comme dans un funeste ballet.
Il prit une dernière respiration, laissa pendre son arme dans son dos et s’élança en direction du vide.
-Nom de Dieu nous avions bien précisé à vos services de ne pas intervenir ! Vous deviez seulement nous fournir vos informations !
Lenny James connaissait bien New York. Il y avait passé un peu de temps en tant qu’agent dans les années 90, et avait probablement aidé à faire fortement baissé la moyenne de crime. La seule différence entre lui et Forthy, qui restait de marbre devait la fureur du molosse, c’était que celui-ci y allait à l’arme de service et au fusil à pompe lors de descentes, alors que l’agent d’Interpol faisait des planques de plusieurs jours pour coincer un suspect.
-Ecoutez mon gars… foutez-moi la paix, je sais faire mon boulot, lui répondit Forthy d’un ton sec.
Ils étaient au pied de l’immeuble, se dirigeant vers son large hall. Les passants regardaient avec attention le camion des Swats garé devant l’immeuble, qu’aucun policier n’avait pris la peine de déplacer. Quant à Forthy, même s’il faisait au bas mot vingt centimètres de moins que James, il n’en était que plus dur à cuire.
-Justement, NON ! Lui hurla Lenny James, lui postillonnant quasiment au visage. Ou alors vous ne savez pas lire, espèce de….
Mike, qui s’était tenu tacite jusque là, lui donna une tape sur l’épaule. James tourna son visage enragé vers lui, quand il se rendit compte que c’était juste pour le calmer. Son cou musclé se détendit soudain et il reprit d’un ton plus calme, devant un Forthy qui n’avait pas l’air intimidé le moins du monde :
-Cet homme est intelligent. Il a déjà tué des dizaines de fois à travers le monde… certains cas tiennent presque de la science-fiction. Vous avez entendu parler de Fournier, le commissaire de Paris assassiné dans une ruelle sans que personne ne s’en aperçoive avant des heures ? Ou alors Hayamoto, ce mafieux japonais qui tient presque du mythe tellement il travaille dans l’ombre ? Les exemples tiennent dans un dictionnaire, et ce n’est pas, excusez-moi, un simple flic de New York qui va lui mettre le grappin dessus aujourd’hui !
Forthy fit la grimace. Même s’il avait un mental en fer forgé, le souvenir de la mort du commandant Chanders et de l’humiliation qu’il avait vécues lui revinrent en mémoire. Mais il n’était pas du tout du genre à laisser tomber. Ç’aurait été trop facile.
-J’ai envoyé deux unités spéciales en haut, pour le prendre par surprise. Je peux vous assurer que…
Sa radio grésilla. Il cligna des yeux, lentement, inutilement, sachant pertinemment que c’était le canal réservé aux mauvaises nouvelles. James le savait aussi, et fit peser sur lui un regard réprobateur. Forthy appuya sur le bouton de la radio.
-Ici Forthy, fit-il après un silence.
-Ici central… nom de Dieu, on a perdu deux hommes !
Il lâcha le bouton de la radio, et observa Lenny James dans le fond des yeux.
-Je vous écoute. Qu’est-ce que vous proposez ?
James eut un sourire.
Toutes les vitres du 78e étage volèrent en éclat alors que les six hommes pénétraient à l’intérieur de l’appartement. Dans le même mouvement, alors que leurs pieds n’avaient pas encore touché terre et que les éclats brillants des baies vitrées virevoltaient dans l’air, ils décrochèrent leurs harnais et atterrirent au sol avec bruit, les bris de verre crissant sous leurs bottes noires. Aussitôt, leurs M4 furent levés vers le vide et l’inconnu, vers une cible potentielle qui serait rapidement transformée en passoire. Durant quelques secondes, les membres de l’unité 2 restèrent ainsi, immobiles, leurs formes découpées par la lumière du puissant soleil de juillet qui filtrait à travers ce qui restait des fenêtres et des bouts de verres qui étaient encore raccrochés aux cadres. Puis, lentement, Jefferson leva une main et fit signe à chacun de s’avancer deux par deux. Sans un bruit (sauf peut-être le verre qui crissait à nouveau sous ses pas), il commença à avancer et à vérifier les pièces. L’appartement était spacieux, et les rayons solaires faisaient briller les œuvres d’art anciennes sur les étagères et les tableaux sur les murs. Un appartement de riche… et une porte ouverte, trouée de quatre trous qui s’étendaient à l’horizontale à la hauteur des yeux. Et des tirs. Trois tirs, de pistolet, suivis rapidement par des crépitements rapides d’armes automatiques. Jefferson, son arme toujours levée devant lui, gloussa, puis fit un pas de plus et ouvrit la porte d’un grand coup de pied, alors que son coéquipier braquait inutilement ce qui aurait pu se trouver dans son encadrement. Celui-ci jeta un coup d’œil à Jefferson, lui indiquant de vérifier la droite. Rapidement, chacun sortit de l’appartement, se positionnant à genoux dans le couloir, dos à dos, visant de leur côté. Puis encore deux tirs de pistolets dans les environs, et un gémissement, suivis à nouveau de tirs de mitraillettes, dont on entendait clairement les ricochets des balles dans la cage d’escalier, contiguë à l’ascenseur.
-Ici unité 2, articula Jefferson dans son casque, en tentant de rester calme. Où est en la situation ?
Un silence. Puis…
-MERDE !!! hurla le standardiste du central. Merde, merde, merde, merde !
-Bon sang, qu’est-il arrivé à l’unité 1 ?!
Les autres membres de l’équipe avaient fini de fouiller l’appartement et sortirent de la porte, les armes pointées vers le sol, s’avançant lentement de la cage d’escalier, dont un duo en tête. Jefferson leur fit signe de ne pas s’approcher, mais les deux hommes étaient déjà en train de s’avancer.
-On vient de perdre un homme… non deux !!!
Soudain, trois autres coups de feu déchirèrent le calme moyen du couloir et le premier homme qui s’avançait vers l’escalier fut éjecté contre le mur, laissant tomber son arme au sol. Jefferson coupa net la conversation, et alors que le soldat glissait contre le mur ensanglanté et que son coéquipier commençait à tirer vers l’ennemi invisible, il sauta sur celui-ci et l’attira à terre. Juste à temps d’ailleurs, car alors que des tirs confus de son M4 faisaient voler en éclats la lampe au-dessus d’eux dans une nuée d’étincelles, le mur qui se situait derrière eux fut troué par ce qui restait de la fin du chargeur de 47, qui lança une grenade fumigène dans le couloir, puis se cacha rapidement derrière un pan de mur. Jefferson, empli d’un puissant stress, le dos en sueur et la bouche sèche, hurla un repli à travers le couloir. Alors que sa cible, qui venait de faire cliqueter son arme d’un chargeur neuf, tentait de tirer à nouveau, il leva sa mitraillette vers le mur et pressa la détente sans lâcher. Le mur fut troué verticalement dans une nuée de plâtre volant dans les airs à travers la fumée épaisse du fumigène. Les soldats avaient sorti leur masque à gaz et se repliaient dans l’appartement, tandis que Jefferson vidait son chargeur par tirs réguliers en direction du tueur, terré dans son abri. Il entra dans l’appartement, essoufflé, jeta son M4 au sol et s’écroula contre le mur. Difficilement, il prit contact avec le central :
-Je… ici… ici Jefferson. Enfin, je… je veux dire, l’uni… l’unité 2. Nous avons… avons perdu un homme.
-Ici central, compris. Des blessés.
Jefferson tourna la tête vers ses hommes qui le regardaient hébétés, debout dans l’appartement. « Des blessés ? », hurla-t-il d’une exécrable voix haute. Quatre têtes se secouèrent.
-Non, aucun.
-Où est la cible ?
Jefferson prit une grande respiration, se leva, et demanda à un de ces hommes d’aller jeter un coup d’œil. Celui-ci, prévoyant, tint sa mitraillette d’une main et tira une rafale à travers la porte, puis ouvrit celle-ci et observa le couloir avec intérêt : les portes de l’ascenseur étaient ouvertes, laissant apparaître les câbles qui pendaient dans la pénombre.
-Il vient de… pénétrer dans la cage d’ascenseur, dit-t-il d’un air étrange. En ouvrant la porte manuellement apparemment. Mais… les ascenseurs sont hors service !!!
Il était malin. Jenkins était mort ; il ne le serait pas inutilement.
-Ici central, je répète : où est la cible ?
Jefferson sortit son Glock 17 du holster de sa cuisse, tira la culasse en arrière, huma le goût du sang dans la bouche, et répliqua d’un ton qui n’avait que peu d’humain :
-Dans un aller simple vers l’Enfer.
-Monsieur… monsieur, que faites-vous ?
Aaron Dougall avait l’habitude de travailler dans son bureau sans être dérangé. Quand un bruit trop pesant ou quelque chose d’inhabituel se passait dans Manhattan, il ne pouvait s’empêcher d’aller regarder au balcon se qui se passait, délaissant son appartement à plusieurs millions de dollars pour la vue des gratte-ciel.
-Eh bien… pour tout vous dire, Edward, ce sont ces hommes qui m’intriguent.
Dougall était toujours habillé à la perfection. Un costume Armani, bleu royal, et des mocassins qui coûtaient le prix d’une voiture. Son appartement était également au top ; tables en bois de qualité importé d’Europe de l’Est, cheminée dont l’antre était gigantesque et composée de solides briques rouges, tapis de première qualité et moquette qui l’était tout autant. Les femmes de ménage passaient l’aspirateur sans rien omettre de nettoyer quand il dormait dans sa chambre, insonorisée, dans un lit moelleux et qui sentait le neuf 365 jours par an, parfois en compagnie de filles de joie de luxe. Il avait huit gardes du corps, armés de Uzi silencieux, et son maître d’hôtel, Edward, un jeune Noir qui faisait le tiers de son âge. Mais Dougall, malgré ses 74 ans, restait en pleine forme, toujours autant aigri et égoïste, dangereux et méprisant. C’était un monstre, et mieux valait lui baiser les pieds pour ne pas que ceux-ci ne vous bottent le cul de manière définitive.
-Quels hommes ?
-Bon sang, vous êtes aveugle ou quoi ? Être Noir dans cette ville et avoir grandi dans un quartier où les gens côtoient les merdes, si c’est bien différent de là où vous venez, ne vous a pas suffi ? Vous voulez encore avoir des yeux d’une qualité plus que mauvaise ? Je vous demande encore pourquoi je vous garde ici !
Edward gloussa. Dougall était en plus raciste confirmé, et maniait le verbe avec brio.
-Je parle de ces hommes qui descendent l’immeuble avec des cordes… Ils viennent de se faire déposer il y a à peine quelques instants par un hélicoptère… de la police, figurez-vous !
-Je vois monsieur… ils viennent de briser les fenêtres !
-Je l’ai vu, que croyez-vous ? Mes yeux sont encore suffisamment performants pour leur âge, contrairement aux vôtres. Et puis… que faites-vous encore ici ? Vous avez mes affaires à préparer pour notre voyage à Berlin, vous souvenez-vous ?
-Bien sûr… heu, j’y vais.
-J’espère bien.
Le regard mauvais et perçant de Dougall fut attiré vers l’étage 78, alors qu’il s’appuyait un peu plus sur la rambarde.
-Il faut en premier boucler toutes les issues, dit Lenny James en pointant du doigts le plan du rez-de-chaussée de l’immeuble. Faites installer des snipers sur les immeubles alentours, demandez aux employés d’être vigilants, de nous informer de tout comportement suspect de la part de n’importe qui, et surtout… vérifiez toutes les personnes qui sortent dans l’immeuble, et ne laissez plus rentrer personne.
-Mais vous êtes malade ! lui répondit Forthy sur un ton plus que méprisable. Dans un immeuble pareil, c’est impossible !
-Il le faudra bien, fit Lenny James en fronçant les sourcils. Il est peut-être déjà dehors…
Un autre grésillement dans la radio de Forthy. Le nombre de morts était désormais de trois.
-Bordel mais que font nos hommes ?! hurla celui-ci tellement fort que tout le monde dans le hall de l’immeuble s’arrêta pour lui jeter un regard inquiet.
-Heu… ils semblent être partis à leur poursuite, du mois l’unité 2, lui répondit le central.
-Parfait. Ordonnez à l’unité 1 de redescendre pour surveiller le périmètre, et envoyez des hommes supplémentaires pour surveiller les caméras.
-En fait, toutes les caméras de l’hôtel semblent hors service. On ne sait pas trop pourquoi…
Forthy serrait les dents, le visage écarlate, la radio craquant entre ses doigts tellement sa poigne était puissance. Lenny James, quant à lui, se demandait s’il devait les aider ou leur mettre bien en face leurs erreurs, en premier celle d’avoir fait intervenir les forces spéciales.
-Mike, va nous prendre trois cafés, fit-il en se tournant vers son jeune cadet. Et de rajouter en chuchotant : moi et ce monsieur avons à parler…
Mike hocha la tête, et tourna rapidement les talons, cherchant un distributeur de café. Lentement, James décrocha son pistolet de son holster, puis appuya sur le bouton à côté de la crosse, laissant glisser le chargeur entre ses doigts osseux.
-Je crois, dit-il avant de replacer celui-ci, plein, que nous nous comportons mal. Surtout avec cet homme qui tente de nous échapper… Mieux vaut faire équipe.
Forthy acquiesça, son regard malin aux yeux brun foncés offrant enfin un peu de lucidité.
-J’espère que votre arme est chargée, lui dit le molosse sans un sourire.
Le silence s’abattit tandis que Jefferson s’enfonçait dans les profondeurs de la cage d’ascenseur, sa main vérifiant sa vitesse, son pistolet vérifiant son chemin. Après une descente d’une vingtaine d’étage, ses pieds touchèrent enfin le toit de l’ascenseur, et il décrocha son harnais avec précaution. Le panneau supérieur était déjà enlevé, et la cabine vide. Il se laissa brutalement tomber d’une main, fixant le vide de son pistolet de l’autre, prêt à faire feu, la respiration haletante : la porte était ouverte. Il se laissa tomber avec précaution, quand un grésillement se fit entendre dans son casque.
-Unité 2, où êtes-vous ?
Jefferson observa les chiffres notés au-dessus de la porte, sans pour autant détacher son attention du bout de couloir, ses doigts tâtant lentement son arme.
-Ici Jefferson, étage 62.
-Très bien unité 2. Continuez à patrouiller, nous allons réactiver les ascenseurs pour que l’unité 1 puisse descendre.
-NON ! Surtout pas !
-Vous n’avez pas l’autorité pour empêcher un ordre direct.
-Bon sang, il se trouve ici ! À l’étage 62 !!! Si les ascenseurs se remettent en route, il va…
-Unité 2, je répète : surveillez l’étage.
-L’unité 2 est au 78e.
-Mais… ?
-Je suis parti seul.
Un silence. Il n’avait toujours pas bougé de la cage d’ascenseur. Lentement, il observa le couloir à gauche, puis à droite. Aucune trace. Mais, lorsque son regard se posa sur le sol, il vit un chargeur vide, sur sa droite.
-Vous êtes dingue ! Vous savez que vous n’avez aucun protection ni tir de couverture ! Remontez immé…
Sans un mot, Jefferson cliqua sur le bouton de sa radio, à la hauteur de son épaule, et s’avança dans le couloir. Une porte était ouverte. Et il perçut une respiration. Faible. Très faible. Sans un mot, il tourna dans l’encadrement de la porte, arme levée, et observa la pièce en un clin d’œil. Un mouvement. Nom de Dieu, un mouvement, derrière le canapé !!! Son doigt pressa six fois la détente, trouant le canapé de cuir de parts et d’autres. Puis le silence revint. Un silence pesant, presque effrayant. Lentement, Jefferson s’avança en direction du canapé, puis braqua ce qui aurait dû se trouver derrière, inerte et baignant dans son sang. Un chien, la bouche ouverte, gémissant, ses poils ensanglantés plaqués sur son petit corps.
-What the fuck ?
Il se retourna, son arme baissée, et n’eut pas le temps de voir la crosse du M4 lui arriver dans le visage.
Ding !
-Ah, les voilà, fit Forthy sans un sourire alors que l’unité 1 entrait, morose, dans le rez-de-chaussée. Toutes mes sincères condoléances pour vous coéquipiers. Maintenant, mettez-vous en position !
Les hommes grognèrent, puis commencèrent à sécuriser les entrées. Le regard de Lenny James, un café à la main, se posa sur chaque soldat qui lui passait devant ; il observait leurs insignes et leurs noms avec grande attention. Johnson, Tornado, Waser, Jeffe…
-Bien, d’accord, fit Forthy en hochant la tête, parlant dans sa radio. Lenny, l’unité 2 vient de faire une découverte. Le corps de leur chef, en caleçon, à l’étage 62…
Même si Forthy était petit et dénué de charme, il n’en était pas moins insensible à la peur. Mais ce jour-là, les yeux exorbités de Lenny James, son coup plus tendu que celui d’une girafe et la puissance destructrice avec laquelle sa voix articula ces quelques mots ne put que le faire frémir.
-SON NOM !!!
Un frisson parcourut l’échine du policier, qui lui répondit d’une voix qu’il tenta de garder neutre :
-Jefferson.
En moins de deux secondes, le molosse avait sorti et pointé son arme en direction du soldat d’élite le plus proche.
-PERSONNE NE BOUGE ! PERSONNE ! Forthy, allez vérifier tous vos hommes. Braquez-les, n’hésitez pas à leur coller une balle dans la cuisse pour tout comportement suspect.
-Mais… ce sont nos hommes !
-Qu’importe ! Vérifiez-les tous ! Toi, avance.
L’homme s’avança. Tornado.
-TOI ! Fit-il en en braquant un autre. Avance !
Johnson. Puis Waser. Du côté de Forthy, tout était vérifié : aucun intrus. James avait la mâchoire plus que serrée, si bien que certaines de ses dents craquèrent. Il lui était passé à moins de trente centimètres, il avait dû le regarder derrière ses lunettes sans un sourire. A moins de trente centimètres…Alors que le cri de rage du molosse emplissait le rez-de-chaussée, Jefferson se réveillait en se massant le nez au 62e étage. Ses habits, quant à eux, étaient déjà dans une poubelle, quelque part entre lui et le building de Dougall.
L’hélicoptère avait fini de survoler l’immeuble, et on venait de repérer l’homme. Tueur à gages selon l’avis de recherche. Dans l’équipe, certains disaient qu’il avait couvert sa propre mort quelques années auparavant pour continuer son métier. Jefferson, le chef de l’unité 2, n’en avait pas vraiment souci. Pour lui, c’était une cible, une simple cible. Il fallait le chasser, et l’attraper. Il aurait certainement vomi ou aurait jeté son uniforme à terre en sachant que l’assassin agissait selon les mêmes règles, sauf que celui-ci finissait son travail par la sentence fatale. Jefferson préférait ses menottes à son M4, mais il fallait avouer que celui-ci était parfois bien plus utile.
-Ici central, vous avez ordre de l’intercepter.
Le pilote entendait la conversation, et finit de contourner un gratte-ciel pour repartir en direction de Code 47.
-Très bien, fit Jefferson. Vif j’imagine.
-De préférence, lui répondit la voix du central avec un petit grésillement. Mais vous êtes autorisé à tirer. Il est dangereux, d’après nos renseignements.
L’hélicoptère s’approchait de l’immeuble, quand Jefferson remarqua qu’un fusil sniper était disposé contre la barrière. Ce satané tueur semblait encore en activité, et sur un coup. Jefferson ajusta son casque et ses lunettes, puis changea le mode de tir de sa mitraillette, de sécurité vers automatique.
-Préparez les cordes ! Il semble nous avoir repéré.
Alors que le tueur laissait tomber une radio sur le sol et qu’il s’élançait à l’intérieur de l’immeuble, le chef de l’équipe attachait son harnais au système de descente en rappel de l’appareil.
-La cible vient de rentrer dans l’immeuble. Je répète : la cible vient de rentrer dans l’immeuble.
L’hélicoptère se stabilisa, et avant même que la corde qui tombait sur le toit de l’immeuble ne touchât le toit, Jefferson sautait déjà au-dehors de l’appareil, la main serrée sur sa corde en nylon. Durant ces quelques secondes où son corps était balancé le long de la corde, où le fort vent qui longeait les immeuble le frappait de plein fouet, il profita simplement de la vue sur l’Hudson River, du calme et du bleu du ciel ainsi que des jeux de miroirs des immeubles de Manhattan, reflétant la beauté de ce coin qui paraissait si tranquille.
-L’unité 1 a bloqué les ascenseurs et est en train de passer par les escaliers, informa le central alors que les pieds de Jefferson tombaient sur béton du toit avec force. Où en êtes-vous ?
-On débarque. 78e étage c’est ça ?
-Affirmatif.
Jefferson ne dit pas un mot de plus, et courut en direction des rebords. Des barrières de deux mètres de hauts empêchaient les dépressifs suicidaires à tenter l’expérience, mais ce n’était aucunement un problème pour l’unité. Les six membres de l’équipe se mirent rapidement en position sur les lieux, et accrochèrent les harnais en acier autour des sorties de la climatisation, rambardes et autres pythons installés ici on ne sait trop pourquoi. Ca n’avait pas d’importance. Jefferson fit cliqueter son harnais, vérifia son matériel et escalada la barrière, puis attendit que le reste de l’équipe ait fini. Huit secondes. Huit secondes de paix le haut d’un gratte-ciel. Le roi du monde…
-Ici central, l’unité 1 a des problèmes !
Le standardiste semblait stressé, il y avait des emmerdes. Jefferson avait entendu quelques crépitements au loin, et avait eu le secret espoir que c’étaient une télévision ou autre radio. La réalité les rattrapait : leur ennemi était on ne peut mieux entraîné.
-Ici unité 2, nous sommes prêts à descendre, dit Jefferson en adressant un coup d’œil au reste de l’équipe.
Le central ne répondit pas. Jefferson tourna la tête de chaque côté, observant ses hommes assis sur la rambarde. Il hocha la tête et tira la culasse de son M4 en arrière, avec ce bruit sec et caractéristique précédant un massacre proche, et chacun fit de même, comme dans un funeste ballet.
Il prit une dernière respiration, laissa pendre son arme dans son dos et s’élança en direction du vide.
-Nom de Dieu nous avions bien précisé à vos services de ne pas intervenir ! Vous deviez seulement nous fournir vos informations !
Lenny James connaissait bien New York. Il y avait passé un peu de temps en tant qu’agent dans les années 90, et avait probablement aidé à faire fortement baissé la moyenne de crime. La seule différence entre lui et Forthy, qui restait de marbre devait la fureur du molosse, c’était que celui-ci y allait à l’arme de service et au fusil à pompe lors de descentes, alors que l’agent d’Interpol faisait des planques de plusieurs jours pour coincer un suspect.
-Ecoutez mon gars… foutez-moi la paix, je sais faire mon boulot, lui répondit Forthy d’un ton sec.
Ils étaient au pied de l’immeuble, se dirigeant vers son large hall. Les passants regardaient avec attention le camion des Swats garé devant l’immeuble, qu’aucun policier n’avait pris la peine de déplacer. Quant à Forthy, même s’il faisait au bas mot vingt centimètres de moins que James, il n’en était que plus dur à cuire.
-Justement, NON ! Lui hurla Lenny James, lui postillonnant quasiment au visage. Ou alors vous ne savez pas lire, espèce de….
Mike, qui s’était tenu tacite jusque là, lui donna une tape sur l’épaule. James tourna son visage enragé vers lui, quand il se rendit compte que c’était juste pour le calmer. Son cou musclé se détendit soudain et il reprit d’un ton plus calme, devant un Forthy qui n’avait pas l’air intimidé le moins du monde :
-Cet homme est intelligent. Il a déjà tué des dizaines de fois à travers le monde… certains cas tiennent presque de la science-fiction. Vous avez entendu parler de Fournier, le commissaire de Paris assassiné dans une ruelle sans que personne ne s’en aperçoive avant des heures ? Ou alors Hayamoto, ce mafieux japonais qui tient presque du mythe tellement il travaille dans l’ombre ? Les exemples tiennent dans un dictionnaire, et ce n’est pas, excusez-moi, un simple flic de New York qui va lui mettre le grappin dessus aujourd’hui !
Forthy fit la grimace. Même s’il avait un mental en fer forgé, le souvenir de la mort du commandant Chanders et de l’humiliation qu’il avait vécues lui revinrent en mémoire. Mais il n’était pas du tout du genre à laisser tomber. Ç’aurait été trop facile.
-J’ai envoyé deux unités spéciales en haut, pour le prendre par surprise. Je peux vous assurer que…
Sa radio grésilla. Il cligna des yeux, lentement, inutilement, sachant pertinemment que c’était le canal réservé aux mauvaises nouvelles. James le savait aussi, et fit peser sur lui un regard réprobateur. Forthy appuya sur le bouton de la radio.
-Ici Forthy, fit-il après un silence.
-Ici central… nom de Dieu, on a perdu deux hommes !
Il lâcha le bouton de la radio, et observa Lenny James dans le fond des yeux.
-Je vous écoute. Qu’est-ce que vous proposez ?
James eut un sourire.
Toutes les vitres du 78e étage volèrent en éclat alors que les six hommes pénétraient à l’intérieur de l’appartement. Dans le même mouvement, alors que leurs pieds n’avaient pas encore touché terre et que les éclats brillants des baies vitrées virevoltaient dans l’air, ils décrochèrent leurs harnais et atterrirent au sol avec bruit, les bris de verre crissant sous leurs bottes noires. Aussitôt, leurs M4 furent levés vers le vide et l’inconnu, vers une cible potentielle qui serait rapidement transformée en passoire. Durant quelques secondes, les membres de l’unité 2 restèrent ainsi, immobiles, leurs formes découpées par la lumière du puissant soleil de juillet qui filtrait à travers ce qui restait des fenêtres et des bouts de verres qui étaient encore raccrochés aux cadres. Puis, lentement, Jefferson leva une main et fit signe à chacun de s’avancer deux par deux. Sans un bruit (sauf peut-être le verre qui crissait à nouveau sous ses pas), il commença à avancer et à vérifier les pièces. L’appartement était spacieux, et les rayons solaires faisaient briller les œuvres d’art anciennes sur les étagères et les tableaux sur les murs. Un appartement de riche… et une porte ouverte, trouée de quatre trous qui s’étendaient à l’horizontale à la hauteur des yeux. Et des tirs. Trois tirs, de pistolet, suivis rapidement par des crépitements rapides d’armes automatiques. Jefferson, son arme toujours levée devant lui, gloussa, puis fit un pas de plus et ouvrit la porte d’un grand coup de pied, alors que son coéquipier braquait inutilement ce qui aurait pu se trouver dans son encadrement. Celui-ci jeta un coup d’œil à Jefferson, lui indiquant de vérifier la droite. Rapidement, chacun sortit de l’appartement, se positionnant à genoux dans le couloir, dos à dos, visant de leur côté. Puis encore deux tirs de pistolets dans les environs, et un gémissement, suivis à nouveau de tirs de mitraillettes, dont on entendait clairement les ricochets des balles dans la cage d’escalier, contiguë à l’ascenseur.
-Ici unité 2, articula Jefferson dans son casque, en tentant de rester calme. Où est en la situation ?
Un silence. Puis…
-MERDE !!! hurla le standardiste du central. Merde, merde, merde, merde !
-Bon sang, qu’est-il arrivé à l’unité 1 ?!
Les autres membres de l’équipe avaient fini de fouiller l’appartement et sortirent de la porte, les armes pointées vers le sol, s’avançant lentement de la cage d’escalier, dont un duo en tête. Jefferson leur fit signe de ne pas s’approcher, mais les deux hommes étaient déjà en train de s’avancer.
-On vient de perdre un homme… non deux !!!
Soudain, trois autres coups de feu déchirèrent le calme moyen du couloir et le premier homme qui s’avançait vers l’escalier fut éjecté contre le mur, laissant tomber son arme au sol. Jefferson coupa net la conversation, et alors que le soldat glissait contre le mur ensanglanté et que son coéquipier commençait à tirer vers l’ennemi invisible, il sauta sur celui-ci et l’attira à terre. Juste à temps d’ailleurs, car alors que des tirs confus de son M4 faisaient voler en éclats la lampe au-dessus d’eux dans une nuée d’étincelles, le mur qui se situait derrière eux fut troué par ce qui restait de la fin du chargeur de 47, qui lança une grenade fumigène dans le couloir, puis se cacha rapidement derrière un pan de mur. Jefferson, empli d’un puissant stress, le dos en sueur et la bouche sèche, hurla un repli à travers le couloir. Alors que sa cible, qui venait de faire cliqueter son arme d’un chargeur neuf, tentait de tirer à nouveau, il leva sa mitraillette vers le mur et pressa la détente sans lâcher. Le mur fut troué verticalement dans une nuée de plâtre volant dans les airs à travers la fumée épaisse du fumigène. Les soldats avaient sorti leur masque à gaz et se repliaient dans l’appartement, tandis que Jefferson vidait son chargeur par tirs réguliers en direction du tueur, terré dans son abri. Il entra dans l’appartement, essoufflé, jeta son M4 au sol et s’écroula contre le mur. Difficilement, il prit contact avec le central :
-Je… ici… ici Jefferson. Enfin, je… je veux dire, l’uni… l’unité 2. Nous avons… avons perdu un homme.
-Ici central, compris. Des blessés.
Jefferson tourna la tête vers ses hommes qui le regardaient hébétés, debout dans l’appartement. « Des blessés ? », hurla-t-il d’une exécrable voix haute. Quatre têtes se secouèrent.
-Non, aucun.
-Où est la cible ?
Jefferson prit une grande respiration, se leva, et demanda à un de ces hommes d’aller jeter un coup d’œil. Celui-ci, prévoyant, tint sa mitraillette d’une main et tira une rafale à travers la porte, puis ouvrit celle-ci et observa le couloir avec intérêt : les portes de l’ascenseur étaient ouvertes, laissant apparaître les câbles qui pendaient dans la pénombre.
-Il vient de… pénétrer dans la cage d’ascenseur, dit-t-il d’un air étrange. En ouvrant la porte manuellement apparemment. Mais… les ascenseurs sont hors service !!!
Il était malin. Jenkins était mort ; il ne le serait pas inutilement.
-Ici central, je répète : où est la cible ?
Jefferson sortit son Glock 17 du holster de sa cuisse, tira la culasse en arrière, huma le goût du sang dans la bouche, et répliqua d’un ton qui n’avait que peu d’humain :
-Dans un aller simple vers l’Enfer.
-Monsieur… monsieur, que faites-vous ?
Aaron Dougall avait l’habitude de travailler dans son bureau sans être dérangé. Quand un bruit trop pesant ou quelque chose d’inhabituel se passait dans Manhattan, il ne pouvait s’empêcher d’aller regarder au balcon se qui se passait, délaissant son appartement à plusieurs millions de dollars pour la vue des gratte-ciel.
-Eh bien… pour tout vous dire, Edward, ce sont ces hommes qui m’intriguent.
Dougall était toujours habillé à la perfection. Un costume Armani, bleu royal, et des mocassins qui coûtaient le prix d’une voiture. Son appartement était également au top ; tables en bois de qualité importé d’Europe de l’Est, cheminée dont l’antre était gigantesque et composée de solides briques rouges, tapis de première qualité et moquette qui l’était tout autant. Les femmes de ménage passaient l’aspirateur sans rien omettre de nettoyer quand il dormait dans sa chambre, insonorisée, dans un lit moelleux et qui sentait le neuf 365 jours par an, parfois en compagnie de filles de joie de luxe. Il avait huit gardes du corps, armés de Uzi silencieux, et son maître d’hôtel, Edward, un jeune Noir qui faisait le tiers de son âge. Mais Dougall, malgré ses 74 ans, restait en pleine forme, toujours autant aigri et égoïste, dangereux et méprisant. C’était un monstre, et mieux valait lui baiser les pieds pour ne pas que ceux-ci ne vous bottent le cul de manière définitive.
-Quels hommes ?
-Bon sang, vous êtes aveugle ou quoi ? Être Noir dans cette ville et avoir grandi dans un quartier où les gens côtoient les merdes, si c’est bien différent de là où vous venez, ne vous a pas suffi ? Vous voulez encore avoir des yeux d’une qualité plus que mauvaise ? Je vous demande encore pourquoi je vous garde ici !
Edward gloussa. Dougall était en plus raciste confirmé, et maniait le verbe avec brio.
-Je parle de ces hommes qui descendent l’immeuble avec des cordes… Ils viennent de se faire déposer il y a à peine quelques instants par un hélicoptère… de la police, figurez-vous !
-Je vois monsieur… ils viennent de briser les fenêtres !
-Je l’ai vu, que croyez-vous ? Mes yeux sont encore suffisamment performants pour leur âge, contrairement aux vôtres. Et puis… que faites-vous encore ici ? Vous avez mes affaires à préparer pour notre voyage à Berlin, vous souvenez-vous ?
-Bien sûr… heu, j’y vais.
-J’espère bien.
Le regard mauvais et perçant de Dougall fut attiré vers l’étage 78, alors qu’il s’appuyait un peu plus sur la rambarde.
-Il faut en premier boucler toutes les issues, dit Lenny James en pointant du doigts le plan du rez-de-chaussée de l’immeuble. Faites installer des snipers sur les immeubles alentours, demandez aux employés d’être vigilants, de nous informer de tout comportement suspect de la part de n’importe qui, et surtout… vérifiez toutes les personnes qui sortent dans l’immeuble, et ne laissez plus rentrer personne.
-Mais vous êtes malade ! lui répondit Forthy sur un ton plus que méprisable. Dans un immeuble pareil, c’est impossible !
-Il le faudra bien, fit Lenny James en fronçant les sourcils. Il est peut-être déjà dehors…
Un autre grésillement dans la radio de Forthy. Le nombre de morts était désormais de trois.
-Bordel mais que font nos hommes ?! hurla celui-ci tellement fort que tout le monde dans le hall de l’immeuble s’arrêta pour lui jeter un regard inquiet.
-Heu… ils semblent être partis à leur poursuite, du mois l’unité 2, lui répondit le central.
-Parfait. Ordonnez à l’unité 1 de redescendre pour surveiller le périmètre, et envoyez des hommes supplémentaires pour surveiller les caméras.
-En fait, toutes les caméras de l’hôtel semblent hors service. On ne sait pas trop pourquoi…
Forthy serrait les dents, le visage écarlate, la radio craquant entre ses doigts tellement sa poigne était puissance. Lenny James, quant à lui, se demandait s’il devait les aider ou leur mettre bien en face leurs erreurs, en premier celle d’avoir fait intervenir les forces spéciales.
-Mike, va nous prendre trois cafés, fit-il en se tournant vers son jeune cadet. Et de rajouter en chuchotant : moi et ce monsieur avons à parler…
Mike hocha la tête, et tourna rapidement les talons, cherchant un distributeur de café. Lentement, James décrocha son pistolet de son holster, puis appuya sur le bouton à côté de la crosse, laissant glisser le chargeur entre ses doigts osseux.
-Je crois, dit-il avant de replacer celui-ci, plein, que nous nous comportons mal. Surtout avec cet homme qui tente de nous échapper… Mieux vaut faire équipe.
Forthy acquiesça, son regard malin aux yeux brun foncés offrant enfin un peu de lucidité.
-J’espère que votre arme est chargée, lui dit le molosse sans un sourire.
Le silence s’abattit tandis que Jefferson s’enfonçait dans les profondeurs de la cage d’ascenseur, sa main vérifiant sa vitesse, son pistolet vérifiant son chemin. Après une descente d’une vingtaine d’étage, ses pieds touchèrent enfin le toit de l’ascenseur, et il décrocha son harnais avec précaution. Le panneau supérieur était déjà enlevé, et la cabine vide. Il se laissa brutalement tomber d’une main, fixant le vide de son pistolet de l’autre, prêt à faire feu, la respiration haletante : la porte était ouverte. Il se laissa tomber avec précaution, quand un grésillement se fit entendre dans son casque.
-Unité 2, où êtes-vous ?
Jefferson observa les chiffres notés au-dessus de la porte, sans pour autant détacher son attention du bout de couloir, ses doigts tâtant lentement son arme.
-Ici Jefferson, étage 62.
-Très bien unité 2. Continuez à patrouiller, nous allons réactiver les ascenseurs pour que l’unité 1 puisse descendre.
-NON ! Surtout pas !
-Vous n’avez pas l’autorité pour empêcher un ordre direct.
-Bon sang, il se trouve ici ! À l’étage 62 !!! Si les ascenseurs se remettent en route, il va…
-Unité 2, je répète : surveillez l’étage.
-L’unité 2 est au 78e.
-Mais… ?
-Je suis parti seul.
Un silence. Il n’avait toujours pas bougé de la cage d’ascenseur. Lentement, il observa le couloir à gauche, puis à droite. Aucune trace. Mais, lorsque son regard se posa sur le sol, il vit un chargeur vide, sur sa droite.
-Vous êtes dingue ! Vous savez que vous n’avez aucun protection ni tir de couverture ! Remontez immé…
Sans un mot, Jefferson cliqua sur le bouton de sa radio, à la hauteur de son épaule, et s’avança dans le couloir. Une porte était ouverte. Et il perçut une respiration. Faible. Très faible. Sans un mot, il tourna dans l’encadrement de la porte, arme levée, et observa la pièce en un clin d’œil. Un mouvement. Nom de Dieu, un mouvement, derrière le canapé !!! Son doigt pressa six fois la détente, trouant le canapé de cuir de parts et d’autres. Puis le silence revint. Un silence pesant, presque effrayant. Lentement, Jefferson s’avança en direction du canapé, puis braqua ce qui aurait dû se trouver derrière, inerte et baignant dans son sang. Un chien, la bouche ouverte, gémissant, ses poils ensanglantés plaqués sur son petit corps.
-What the fuck ?
Il se retourna, son arme baissée, et n’eut pas le temps de voir la crosse du M4 lui arriver dans le visage.
Ding !
-Ah, les voilà, fit Forthy sans un sourire alors que l’unité 1 entrait, morose, dans le rez-de-chaussée. Toutes mes sincères condoléances pour vous coéquipiers. Maintenant, mettez-vous en position !
Les hommes grognèrent, puis commencèrent à sécuriser les entrées. Le regard de Lenny James, un café à la main, se posa sur chaque soldat qui lui passait devant ; il observait leurs insignes et leurs noms avec grande attention. Johnson, Tornado, Waser, Jeffe…
-Bien, d’accord, fit Forthy en hochant la tête, parlant dans sa radio. Lenny, l’unité 2 vient de faire une découverte. Le corps de leur chef, en caleçon, à l’étage 62…
Même si Forthy était petit et dénué de charme, il n’en était pas moins insensible à la peur. Mais ce jour-là, les yeux exorbités de Lenny James, son coup plus tendu que celui d’une girafe et la puissance destructrice avec laquelle sa voix articula ces quelques mots ne put que le faire frémir.
-SON NOM !!!
Un frisson parcourut l’échine du policier, qui lui répondit d’une voix qu’il tenta de garder neutre :
-Jefferson.
En moins de deux secondes, le molosse avait sorti et pointé son arme en direction du soldat d’élite le plus proche.
-PERSONNE NE BOUGE ! PERSONNE ! Forthy, allez vérifier tous vos hommes. Braquez-les, n’hésitez pas à leur coller une balle dans la cuisse pour tout comportement suspect.
-Mais… ce sont nos hommes !
-Qu’importe ! Vérifiez-les tous ! Toi, avance.
L’homme s’avança. Tornado.
-TOI ! Fit-il en en braquant un autre. Avance !
Johnson. Puis Waser. Du côté de Forthy, tout était vérifié : aucun intrus. James avait la mâchoire plus que serrée, si bien que certaines de ses dents craquèrent. Il lui était passé à moins de trente centimètres, il avait dû le regarder derrière ses lunettes sans un sourire. A moins de trente centimètres…Alors que le cri de rage du molosse emplissait le rez-de-chaussée, Jefferson se réveillait en se massant le nez au 62e étage. Ses habits, quant à eux, étaient déjà dans une poubelle, quelque part entre lui et le building de Dougall.
Chapitre XIII: Manhattan
Hong Kong, 8 Juillet 2008
-47, j’ai une nouvelle mission pour vous.
-La ligne est sécurisée ?
-Bien sûr…
Hong Kong, minuit et demi. La fenêtre était encore ouverte, laissant entrer dans la petite chambre plongée dans le noir une odeur de vieille friture qu’on avait jetée dans la rue et de gaz carbonique. Le Beretta dont s’était servi 47 était quelque part dans les égouts, le garde de l’Agence qu’il avait anesthésié le jour même probablement encore en train de dormir dans l’armoire, ou alors à raconter sa mésaventure à ses supérieur. De toute façon, pour eux, il était trop tard pour le retrouver.
-Vous avez un numéro de fax ? fit la voix de Beldingford
-Oui, je crois, répondit l’assassin d’une voix calme.
Il se leva, alluma sa lampe de chevet et partit en direction du fax, revenant quelques instants après pour donner son numéro à Beldingford.
-Qui est la cible ?
-Un requin de la finance… il a déjà coulé des dizaines d’entreprises pour sa fortune personnelle, estimée à six milliards de dollars. Je vous envoie sa photo.
Alors que le fax commençait à cracher le visage de l’homme, Hitman se rendit compte rapidement et avec un dégoût non retenu que ce n’était autre que la troisième personne qu’il avait aperçue sur le jeu de l’homme dans l’avion ; le huit de cœur, l’homme au visage maigre et squelettique.
-Un nom ? fit 47 en fronçant les sourcils, le combiné de l’appareil collé à ses oreilles sur son épaule.
-Aaron Dougall, qui tient une agence de placement à Wall Street.
Durant un instant, Hitman arrêta de faire le moindre geste, la bouche légèrement ouverte, les yeux écarquillés.
-Wall Street ? J’espère que notre contrat ne va pas se passer en plein Manhattan !
-Je crains que si…
-Non. La police de New York doit avoir ma photo sur tous leurs placards depuis que je me suis infiltré dans le commissariat de Brooklyn pour mettre une balle entre les yeux de leur chef corrompu!
Il se sentait à nouveau comme une petite marionnette dont les fils étaient de véritables chaînes. Le client était probablement bidon, la cible devait avoir été choisie pour une raison quelconque par son nouveau patron, comme pour Petersen. Une raison encore inconnue que ce dernier ne semblait pas être prêt à donner… Et il n’était pas idiot, et devait se douter que 47 était en train de se rendre compte de quelque chose. Mais d’autres pensées retentirent dans l’esprit du tueur : Gregory Neill, où était le lien avec lui ou Beldingford ? C’était simplement son contact qui avait en sa possession la photo cachée de deux des cibles du tueur… et aucun lien direct ! Et Lenny James qui accompagnait Petersen il y avait encore trop peu de temps ! Fronçant les sourcils, 47 se mit à penser qu’il aurait peut-être dû coller une balle dans le crâne de ce rat de Beldingford en Floride, quand il n’était pas trop tard…
-47, vous êtes là ?
-Oui.
-Vous avez encore le passeport de Bradley Kyle en votre possession ?
-Oui.
-Utilisez-le pour vous payer un vol à New York. Je vous retrouverai à l’hôtel Four Season, chambre 428, et vous donnerai un briefing en profondeur ainsi que votre équipement.
Alors que Beldingford s’apprêtait à raccrocher au nez du tueur, le combiné commença déjà à biper l’appel absent à son oreille.
-Une ligne sécurisée, mon cul oui ! s’écria Mike, enlevant son casque des oreilles.
-On dirait bien que mon vieil ami ne s’est pas rangé, ajouta Lenny James, un café noir et puissamment aromatisé entre ses doigts.
-On avertit la police de Manhattan ? demande l’informaticien avec un regard franc.
Le molosse réfléchit un instant, puis déclara d’un air sérieux :
-Non, fais simplement passer son portrait robot et dis-leur de nous fournir toutes leurs infos. Prends un vol pour New York.
New York City, 9 Juillet 2003
La chambre était d’une blancheur éclatante, et que ce fussent les murs candides ou les draps couleur crème, toute la suite resplendissait de cette pureté que seul l’Armani noir de Code 47 venait briser. Les mains dans le dos, il observait les immeubles de Manhattan, gris, ternes ; le meilleur endroit pour se cacher de ses poursuivants. Mais pour Dougall, ce n’était pas un poursuivant comme un autre. C’était Hitman.
-Le ciel est d’une pureté extraordinaire aujourd’hui, n’est-ce pas ? déclara soudain Beldingford, qui se servait un verre de whisky d’un petit buffet en bois fin.
-Vous savez très bien que je n’aime pas travailler dans ces conditions, répondit 47 avec une voix grave.
Le ciel était vraiment bleu. Et alors ?
-Vous êtes un professionnel pourtant.
-Quand un professionnel a la moitié des polices du monde a ses trousses, mieux vaut ne pas se jeter ainsi dans la gueule du loup. Vous avez d’autres infos ?
L’Anglais ne semblait pas être pressé. Un costume bleu marin et une cravate turquoise ne semblaient pas vouloir dire le contraire, tout comme le whisky qu’il n’avait pas encore porté à ses lèvres.
-À peu près, fit-il en donnant une enveloppe à 47.
Le tueur la prit avec un grand calme, son regard se portant droit dans les yeux de Beldingford. Un de ses doigts l’entrouvrit ; elle contenait trois photos de Dougall, des plans de l’immeuble et des photos prises par les caméras.
-Mieux vaut ne pas s’en occuper dans l’immeuble où il travaille. Même si c’est un requin, les petits poissons ont une grande gueule dans le coin.
Il commença à sourire pour inciter 47 à rire, ou alors simplement paraître amusé, mais celui-ci ne put que le stopper net avec son regard venu tout droit des plaines fantomatiques et effrayantes de son esprit.
-Bref, continua-t-il. On a pensé à mettre une bombe sous sa voiture, mais notre client ne désire pas attirer l’attention, ni ne faire de dommages collatéraux.
-Du poison ? demanda Hitman.
-Nous vous en fournirons si vous voulez… mais il ne boit que de l’eau, qui doit probablement venir de distributeurs, et nous ne tenons pas non plus à empoisonner la citerne, ce serait de la folie pure, nous ne sommes pas là pour annihiler son entreprise en tuant tous ses employés. Ah, j’allais oublier, fit-il avec de grands gestes, il y a quelques détecteurs de métaux, donc évitez de vous y jeter avec vos Ballers. Nous vous laissons donc le champ libre sur cette affaire… mais en vous fournissant tout de même de quoi vous aider ! Peter !
Beldingford claqua des doigts, et un jeune homme d’une trentaine d’années entra dans le salon, une mallette noire à la main. Les cheveux brun clair coupés court, une légère barbe sur le visage et un costume en soie lui donnaient l’air autant ingénieux que secrètement dangereux. Il jeta un regard étrange à 47, comme s’il voulait bien être sûr qu’il était face au célèbre assassin silencieux, puis posa la mallette sur une petite table.
-C’est une nouvelle recrue très prometteuse, fit Beldingford en guise d’écho.
Peter ouvrit la mallette avec assurance, et en sortit plusieurs pièces d’une singulière arme qu’Hitman avait l’habitude d’utiliser, autrefois.
-Vous connaissez bien ce modèle, je crois, dit Beldingford alors que Peter arrangeait les différentes pièces du W2000 sur la petite table. Si vous voulez, on peut arriver à vous trouver un bureau qui donne vue sur les quartiers de Dougall, et il vous suffira de tranquillement l’abattre à distance.
47 ne dit plus mot, prenant le temps de réfléchir à chaque problème qui pourrait se poser à lui, et déclara finalement dans un ton très posé :
-Ca devrait pouvoir se faire, oui… Mais trouvez-moi une fausse carte d’identité en béton, les flics de Manhattan sont des durs à cuir depuis le 11 Septembre. Je ne vais pas arriver à passer dans les bureaux sans passer cette mallette dans un détecteur de métaux si je n’ai pas de carte d’identité adéquate.
Beldingford fit la grimace, et Peter continuait d’observer 47 d’un œil étrange.
-Ca va être dur… Dougall doit partir demain pour un congrès quelque part en Europe, et je ne pourrai probablement pas vous avoir de laissez-passer d’ici-là…
-C’est vous le patron, déclara Code 47. Si vous voulez que je prenne des risques, c’est d’accord. Mais ne venez pas vous plaindre si demain le Times annonce qu’une demi-douzaine de policiers se sont fait abattre en tentant d’arrêter une homme avec un fusil de sniper dans une mallette.
Personne ne dit plus mot, et Hitman jeta à nouveau un coup d’œil aux photos des caméras, dans l’enveloppe. Elles ne permettaient quasiment aucun angle mort ; il faudrait espérer qu’il en était autrement dans les immeubles alentours.
-Son vol pour Berlin décolle demain à 17h34, dit Beldingford d’un ton noir. Poursuivez-le jusqu’en Allemagne si l’envie vous en prend, mais débarrassez-nous de lui.
Il claqua des doigts, et Peter le suivit alors qu’il sortait de la pièce. Hitman resta seul dans la chambre lumineuse, observant la porte se fermer, et le verre de whisky sur la table, dont Beldingford n’avait pas bu une seule goutte.
Le capitaine Forthy était une tête connue au commissariat principal du NYPD, à Manhattan. Il avait traqué un nombre incroyable de criminels et autant dire que tous les malfrats du coin se terraient sur son passage. Il n’hésitait pas à se servir de son arme de service au moindre petit ennui, et avait déjà à son tableau de chasse une trentaine de têtes, autant des délinquants que de sombres tueurs. Étonnamment, il n’était pas particulièrement massif, même plutôt gros, dégarni et mal rasé. Mais quand il entrait dans une pièce, si ce n’était son regard qui vous fusillait, c’était lui-même. Aussi, lorsqu’il vint prendre son café ce jour-là dans la petite salle de détente du commissariat et laissa tomber sa tasse au sol, ébahi, en voyant à une affiche placardée au mur que Code 47 était recherché par Interpol sur Manhattan même, le reste du service ne tarda pas à faire grand bruit de tout cela. Forthy avait eu affaire à 47 ; il était lieutenant dans le commissariat de Brooklyn quand l’assassin avait abattu le commandant Chanders dans son bureau même, en plein jour. Et la chose qui rendait Forthy encore plus hargneux, c’était probablement que 47 était allé le tuer avec la propre arme de service qu’il tenait à sa ceinture, avec ses habits, pendant que lui était dans les toilettes, dans ses songes, une bosse de la taille d’un œuf sur le crâne.
Le téléphone de l’assassin sonna.
Ses doigts étaient tendus. Sa respiration et sa position parfaites. Il observait les appartements de Dougall à la lunette de son W2000 depuis trois heures.
Son téléphone sonna à nouveau. Un tintement autant énervant que déconcentrant.
-Nom de Dieu !
Posté en équilibre parfaite sur la rambarde, il posa la crosse du fusil au sol pour le laisser appuyer contre la barre et mit calmement une jambe à terre, puis empoigna avec rage le téléphone portable qui continuait de grésiller sur la table de la terrasse.
-QUOI ? Hurla-t-il en ouvrant le combiné.
-On a un problème.
C’était Peter. 47 tourna la tête et observa l’immeuble d’en face ; personne, du moins il lui semblait. Seul le reflet d’un hélicoptère survolant l’île était visible sur les parois de l’immeuble.
-Qu’est-ce qu’il y a ? demanda l’assassin.
-Eh bien, il semble que Lenny James ait envoyé votre portrait robot aux polices de New York.
-On se demande bien comment il sait que je suis à New York, grommela l’assassin entre ses dents.
Peter avait entendu, mais ne répondit rien. 47 tourna sa tête vers le ciel d’un puissant bleu, et sa tête fut fouettée par une petite brise. Quelque chose le dérangeait. Le vent pourrait fausser la trajectoire de la balle, c’est vrai, et à plus de cinquante mètres de distance ce sera corsé, même s’il avait toujours été doué en tir. Ou alors est-ce que c’était le manque de discrétion de Beldingford ?
-Et alors, où est le véritable problème ? finit par demander Hitman après un petit silence.
Chaque seconde à parler avec ce bleu pouvait être l’unique seconde de la journée où Dougall partirait observer la ville à une fenêtre. C’était peut-être ça le problème… il ne viendrait pas.
-Vous avez dû passer devant des gardes de sécurité avant de prendre l’ascenseur, observa Peter d’une voix forte.
-Oui. Il n’y avait aucun détecteur de métaux dans ce bâtiment.
Le problème venait peut-être des infos de Beldingford… non, en fait non. Même s’il n’était pas très efficace, toutes les informations qu’il lui avait fournies étaient plus ou moins exactes. Ou alors est-ce que c’était simplement le fait qu’il se savait vieux et qu’il tirerait moins bien qu’avant ? Mais où était ce putain de problème qui était bordé par les vagues de son inconscient ?
-Eh bien le garde a dû vous…
-NYPD.
-Quoi ?
Le reflet. Sur l’immeuble. Un hélicoptère. Un hélicoptère de la police.
-47, un problème ?
Hitman tourna sa tête avec effroi pour apercevoir l’hélicoptère s’avancer vers le toit de l’immeuble, les sombres forces d’intervention déjà dans l’encadrement des portes, prêtes à descendre en rappel, en train de vérifier leur armement.
-47, est-ce que vous… ?
La communication coupa aussi sec.
-47, j’ai une nouvelle mission pour vous.
-La ligne est sécurisée ?
-Bien sûr…
Hong Kong, minuit et demi. La fenêtre était encore ouverte, laissant entrer dans la petite chambre plongée dans le noir une odeur de vieille friture qu’on avait jetée dans la rue et de gaz carbonique. Le Beretta dont s’était servi 47 était quelque part dans les égouts, le garde de l’Agence qu’il avait anesthésié le jour même probablement encore en train de dormir dans l’armoire, ou alors à raconter sa mésaventure à ses supérieur. De toute façon, pour eux, il était trop tard pour le retrouver.
-Vous avez un numéro de fax ? fit la voix de Beldingford
-Oui, je crois, répondit l’assassin d’une voix calme.
Il se leva, alluma sa lampe de chevet et partit en direction du fax, revenant quelques instants après pour donner son numéro à Beldingford.
-Qui est la cible ?
-Un requin de la finance… il a déjà coulé des dizaines d’entreprises pour sa fortune personnelle, estimée à six milliards de dollars. Je vous envoie sa photo.
Alors que le fax commençait à cracher le visage de l’homme, Hitman se rendit compte rapidement et avec un dégoût non retenu que ce n’était autre que la troisième personne qu’il avait aperçue sur le jeu de l’homme dans l’avion ; le huit de cœur, l’homme au visage maigre et squelettique.
-Un nom ? fit 47 en fronçant les sourcils, le combiné de l’appareil collé à ses oreilles sur son épaule.
-Aaron Dougall, qui tient une agence de placement à Wall Street.
Durant un instant, Hitman arrêta de faire le moindre geste, la bouche légèrement ouverte, les yeux écarquillés.
-Wall Street ? J’espère que notre contrat ne va pas se passer en plein Manhattan !
-Je crains que si…
-Non. La police de New York doit avoir ma photo sur tous leurs placards depuis que je me suis infiltré dans le commissariat de Brooklyn pour mettre une balle entre les yeux de leur chef corrompu!
Il se sentait à nouveau comme une petite marionnette dont les fils étaient de véritables chaînes. Le client était probablement bidon, la cible devait avoir été choisie pour une raison quelconque par son nouveau patron, comme pour Petersen. Une raison encore inconnue que ce dernier ne semblait pas être prêt à donner… Et il n’était pas idiot, et devait se douter que 47 était en train de se rendre compte de quelque chose. Mais d’autres pensées retentirent dans l’esprit du tueur : Gregory Neill, où était le lien avec lui ou Beldingford ? C’était simplement son contact qui avait en sa possession la photo cachée de deux des cibles du tueur… et aucun lien direct ! Et Lenny James qui accompagnait Petersen il y avait encore trop peu de temps ! Fronçant les sourcils, 47 se mit à penser qu’il aurait peut-être dû coller une balle dans le crâne de ce rat de Beldingford en Floride, quand il n’était pas trop tard…
-47, vous êtes là ?
-Oui.
-Vous avez encore le passeport de Bradley Kyle en votre possession ?
-Oui.
-Utilisez-le pour vous payer un vol à New York. Je vous retrouverai à l’hôtel Four Season, chambre 428, et vous donnerai un briefing en profondeur ainsi que votre équipement.
Alors que Beldingford s’apprêtait à raccrocher au nez du tueur, le combiné commença déjà à biper l’appel absent à son oreille.
-Une ligne sécurisée, mon cul oui ! s’écria Mike, enlevant son casque des oreilles.
-On dirait bien que mon vieil ami ne s’est pas rangé, ajouta Lenny James, un café noir et puissamment aromatisé entre ses doigts.
-On avertit la police de Manhattan ? demande l’informaticien avec un regard franc.
Le molosse réfléchit un instant, puis déclara d’un air sérieux :
-Non, fais simplement passer son portrait robot et dis-leur de nous fournir toutes leurs infos. Prends un vol pour New York.
New York City, 9 Juillet 2003
La chambre était d’une blancheur éclatante, et que ce fussent les murs candides ou les draps couleur crème, toute la suite resplendissait de cette pureté que seul l’Armani noir de Code 47 venait briser. Les mains dans le dos, il observait les immeubles de Manhattan, gris, ternes ; le meilleur endroit pour se cacher de ses poursuivants. Mais pour Dougall, ce n’était pas un poursuivant comme un autre. C’était Hitman.
-Le ciel est d’une pureté extraordinaire aujourd’hui, n’est-ce pas ? déclara soudain Beldingford, qui se servait un verre de whisky d’un petit buffet en bois fin.
-Vous savez très bien que je n’aime pas travailler dans ces conditions, répondit 47 avec une voix grave.
Le ciel était vraiment bleu. Et alors ?
-Vous êtes un professionnel pourtant.
-Quand un professionnel a la moitié des polices du monde a ses trousses, mieux vaut ne pas se jeter ainsi dans la gueule du loup. Vous avez d’autres infos ?
L’Anglais ne semblait pas être pressé. Un costume bleu marin et une cravate turquoise ne semblaient pas vouloir dire le contraire, tout comme le whisky qu’il n’avait pas encore porté à ses lèvres.
-À peu près, fit-il en donnant une enveloppe à 47.
Le tueur la prit avec un grand calme, son regard se portant droit dans les yeux de Beldingford. Un de ses doigts l’entrouvrit ; elle contenait trois photos de Dougall, des plans de l’immeuble et des photos prises par les caméras.
-Mieux vaut ne pas s’en occuper dans l’immeuble où il travaille. Même si c’est un requin, les petits poissons ont une grande gueule dans le coin.
Il commença à sourire pour inciter 47 à rire, ou alors simplement paraître amusé, mais celui-ci ne put que le stopper net avec son regard venu tout droit des plaines fantomatiques et effrayantes de son esprit.
-Bref, continua-t-il. On a pensé à mettre une bombe sous sa voiture, mais notre client ne désire pas attirer l’attention, ni ne faire de dommages collatéraux.
-Du poison ? demanda Hitman.
-Nous vous en fournirons si vous voulez… mais il ne boit que de l’eau, qui doit probablement venir de distributeurs, et nous ne tenons pas non plus à empoisonner la citerne, ce serait de la folie pure, nous ne sommes pas là pour annihiler son entreprise en tuant tous ses employés. Ah, j’allais oublier, fit-il avec de grands gestes, il y a quelques détecteurs de métaux, donc évitez de vous y jeter avec vos Ballers. Nous vous laissons donc le champ libre sur cette affaire… mais en vous fournissant tout de même de quoi vous aider ! Peter !
Beldingford claqua des doigts, et un jeune homme d’une trentaine d’années entra dans le salon, une mallette noire à la main. Les cheveux brun clair coupés court, une légère barbe sur le visage et un costume en soie lui donnaient l’air autant ingénieux que secrètement dangereux. Il jeta un regard étrange à 47, comme s’il voulait bien être sûr qu’il était face au célèbre assassin silencieux, puis posa la mallette sur une petite table.
-C’est une nouvelle recrue très prometteuse, fit Beldingford en guise d’écho.
Peter ouvrit la mallette avec assurance, et en sortit plusieurs pièces d’une singulière arme qu’Hitman avait l’habitude d’utiliser, autrefois.
-Vous connaissez bien ce modèle, je crois, dit Beldingford alors que Peter arrangeait les différentes pièces du W2000 sur la petite table. Si vous voulez, on peut arriver à vous trouver un bureau qui donne vue sur les quartiers de Dougall, et il vous suffira de tranquillement l’abattre à distance.
47 ne dit plus mot, prenant le temps de réfléchir à chaque problème qui pourrait se poser à lui, et déclara finalement dans un ton très posé :
-Ca devrait pouvoir se faire, oui… Mais trouvez-moi une fausse carte d’identité en béton, les flics de Manhattan sont des durs à cuir depuis le 11 Septembre. Je ne vais pas arriver à passer dans les bureaux sans passer cette mallette dans un détecteur de métaux si je n’ai pas de carte d’identité adéquate.
Beldingford fit la grimace, et Peter continuait d’observer 47 d’un œil étrange.
-Ca va être dur… Dougall doit partir demain pour un congrès quelque part en Europe, et je ne pourrai probablement pas vous avoir de laissez-passer d’ici-là…
-C’est vous le patron, déclara Code 47. Si vous voulez que je prenne des risques, c’est d’accord. Mais ne venez pas vous plaindre si demain le Times annonce qu’une demi-douzaine de policiers se sont fait abattre en tentant d’arrêter une homme avec un fusil de sniper dans une mallette.
Personne ne dit plus mot, et Hitman jeta à nouveau un coup d’œil aux photos des caméras, dans l’enveloppe. Elles ne permettaient quasiment aucun angle mort ; il faudrait espérer qu’il en était autrement dans les immeubles alentours.
-Son vol pour Berlin décolle demain à 17h34, dit Beldingford d’un ton noir. Poursuivez-le jusqu’en Allemagne si l’envie vous en prend, mais débarrassez-nous de lui.
Il claqua des doigts, et Peter le suivit alors qu’il sortait de la pièce. Hitman resta seul dans la chambre lumineuse, observant la porte se fermer, et le verre de whisky sur la table, dont Beldingford n’avait pas bu une seule goutte.
Le capitaine Forthy était une tête connue au commissariat principal du NYPD, à Manhattan. Il avait traqué un nombre incroyable de criminels et autant dire que tous les malfrats du coin se terraient sur son passage. Il n’hésitait pas à se servir de son arme de service au moindre petit ennui, et avait déjà à son tableau de chasse une trentaine de têtes, autant des délinquants que de sombres tueurs. Étonnamment, il n’était pas particulièrement massif, même plutôt gros, dégarni et mal rasé. Mais quand il entrait dans une pièce, si ce n’était son regard qui vous fusillait, c’était lui-même. Aussi, lorsqu’il vint prendre son café ce jour-là dans la petite salle de détente du commissariat et laissa tomber sa tasse au sol, ébahi, en voyant à une affiche placardée au mur que Code 47 était recherché par Interpol sur Manhattan même, le reste du service ne tarda pas à faire grand bruit de tout cela. Forthy avait eu affaire à 47 ; il était lieutenant dans le commissariat de Brooklyn quand l’assassin avait abattu le commandant Chanders dans son bureau même, en plein jour. Et la chose qui rendait Forthy encore plus hargneux, c’était probablement que 47 était allé le tuer avec la propre arme de service qu’il tenait à sa ceinture, avec ses habits, pendant que lui était dans les toilettes, dans ses songes, une bosse de la taille d’un œuf sur le crâne.
Le téléphone de l’assassin sonna.
Ses doigts étaient tendus. Sa respiration et sa position parfaites. Il observait les appartements de Dougall à la lunette de son W2000 depuis trois heures.
Son téléphone sonna à nouveau. Un tintement autant énervant que déconcentrant.
-Nom de Dieu !
Posté en équilibre parfaite sur la rambarde, il posa la crosse du fusil au sol pour le laisser appuyer contre la barre et mit calmement une jambe à terre, puis empoigna avec rage le téléphone portable qui continuait de grésiller sur la table de la terrasse.
-QUOI ? Hurla-t-il en ouvrant le combiné.
-On a un problème.
C’était Peter. 47 tourna la tête et observa l’immeuble d’en face ; personne, du moins il lui semblait. Seul le reflet d’un hélicoptère survolant l’île était visible sur les parois de l’immeuble.
-Qu’est-ce qu’il y a ? demanda l’assassin.
-Eh bien, il semble que Lenny James ait envoyé votre portrait robot aux polices de New York.
-On se demande bien comment il sait que je suis à New York, grommela l’assassin entre ses dents.
Peter avait entendu, mais ne répondit rien. 47 tourna sa tête vers le ciel d’un puissant bleu, et sa tête fut fouettée par une petite brise. Quelque chose le dérangeait. Le vent pourrait fausser la trajectoire de la balle, c’est vrai, et à plus de cinquante mètres de distance ce sera corsé, même s’il avait toujours été doué en tir. Ou alors est-ce que c’était le manque de discrétion de Beldingford ?
-Et alors, où est le véritable problème ? finit par demander Hitman après un petit silence.
Chaque seconde à parler avec ce bleu pouvait être l’unique seconde de la journée où Dougall partirait observer la ville à une fenêtre. C’était peut-être ça le problème… il ne viendrait pas.
-Vous avez dû passer devant des gardes de sécurité avant de prendre l’ascenseur, observa Peter d’une voix forte.
-Oui. Il n’y avait aucun détecteur de métaux dans ce bâtiment.
Le problème venait peut-être des infos de Beldingford… non, en fait non. Même s’il n’était pas très efficace, toutes les informations qu’il lui avait fournies étaient plus ou moins exactes. Ou alors est-ce que c’était simplement le fait qu’il se savait vieux et qu’il tirerait moins bien qu’avant ? Mais où était ce putain de problème qui était bordé par les vagues de son inconscient ?
-Eh bien le garde a dû vous…
-NYPD.
-Quoi ?
Le reflet. Sur l’immeuble. Un hélicoptère. Un hélicoptère de la police.
-47, un problème ?
Hitman tourna sa tête avec effroi pour apercevoir l’hélicoptère s’avancer vers le toit de l’immeuble, les sombres forces d’intervention déjà dans l’encadrement des portes, prêtes à descendre en rappel, en train de vérifier leur armement.
-47, est-ce que vous… ?
La communication coupa aussi sec.
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