Les ambulanciers sortirent le brancard sous l’œil médusé des passagers, saisirent le large sac en plastique noir qui contenait le corps et l’installèrent dessus. Les deux gardes du corps semblaient autant dépités que ridicules, n’ayant pas pu protéger leur patron d’un danger prématuré. La foule les observa entrer dans l’ambulance après qu’on y ait installé le défunt, on claqua les portes, et le véhicule partit de l’aéroport à vitesse moyenne, s’installant comme tout autre véhicule dans la circulation calme de l’été, sans même utiliser les sirènes. Une aller simple vers les cieux en toute discrétion. Au bout d’une dizaine de secondes, elle n’était plus qu’une masse informe dans la capitale américaine. Hitman observa durant quelques instants la voiture s’éloigner, calme comme à son habitude, son regard se portant ensuite sur le ciel bleu et sans nuages qui l’entourait. Il faisait bon vivre à Washington DC, il faisait beau et avait quelques jours de détente devant lui. Il jeta la capsule vide de cyanure dans une poubelle, leva la main pour interpeller un taxi et se promit de toujours se méfier du cognac.
Washington DC, 5 Juillet 2008
Déjà deux morts, deux cibles. Des cibles liées. S’il y avait une chose qui n’était pas bon signe dans le métier, c’était bien ça. Les coïncidences n’existent plus ; si deux cibles qui sont reliées par un lieu, un travail, une personne, ou pire encore, une idée, c’était qu’il y avait forcément anguille sous roche. Ici c’était le cas. Petersen, et Neill, les deux dernières cibles de Hitman… les deux uniques cibles de l’agent depuis son entrée au service de Beldingford. Celui-ci avait une idée derrière la tête, une idée folle, une idée à pour laquelle il avait été jusqu’à risquer que Code 47 pique une crise démoniaque suite à son départ de l’Agence. Il avait déjà perdu un homme, il savait que 47 était instable, et le gardait en sa possession ; c’était bien plus important que tout cela, et c’est probablement ce qui effrayait l’assassin silencieux.
Il était assis dans une chambre d’hôtel, quelque part dans Washington. Les lumières étaient éteintes, la nuit envahissait la pièce. Au dehors, les lumières de la capitale américaine, les bruits des voitures passant au pied de l’immeuble et peut-être, au loin, le sommet du Capitole. Le tueur était couché sur son lit, les bras derrière la tête, passant en revue et en sa mémoire tout ce qui s’était passé depuis l’incident Stepanov. Une chose était évidente : Beldingford avait une taupe à l’intérieur de l’Agence qui lui avait permis d’échanger les documents de Stepanov et Gregorovitch. James, le chauffeur ? Improbable, il s’était juste chargé de se faire passer pour un chauffeur envoyé par Diana. Non, c’était plus loin que ça ; la taupe devait y être infiltrée depuis longtemps, et c’est par là qu’il devait commencer. Si elle avait pris le risque de s’infiltrer dans l’Agence, c’était un homme de confiance. Si c’était un homme de confiance, il connaissait Beldingford. S’il connaissait Beldingford, il pourrait peut-être répondre à certaines questions, de la bonne manière, ou bien autrement.
Cette pensée le fit sourire.
Hitman avait un biper, et c’était étrange pour un personnage tel que lui. La chose un peu moins étrange, c’est qu’il ne l’allumait jamais. Il utilisait de toute façon le passeport de Bradley Kyle, le faux que lui avait fourni Beldingford ; s’il voulait l’atteindre, il lui suffisait de remonter les traces du document. Le lendemain, Code 47 prit donc l’avion en direction d’un des bureaux de l’Agence, à Hong Kong. Pourquoi Hong Kong ? Simplement parce qu’il ne savait pas où se trouvait le QG, et qu’il ne connaissait que quelques bases secondaires, dont celle de Moscou, où l’on devait encore se souvenir de lui… N’ayant pu cacher d’arme à bord de ses valises, il n’en prit aucune avec lui. Il pouvait briser une nuque avec ses mains, tuer avec une fourchette ou un stylo. Tant que son ennemi n’avait pas d’arme à feu où n’était pas un expert en combat, il n’avait rien à craindre. Durant le vol, il se cala dans son siège, et observa malgré lui, avec son instinct qui lui collait à la peau, chaque passager qui passait un peu trop près de son siège. On passa un film, un film minable, comme tout ce qui était fiction d’ailleurs, faisant partie de l’irréel et l’incitant à baisser sa garde. Le vol était long. Très long. Trop long. L’avion fit escale quelque part, ça n’avait pas d’importance, le fait était qu’il avait fait escale, qu’il avait atterri, qu’on avait pu s’infiltrer à l’intérieur ou le piéger à la bombe. Une bombe… grosse, petite ? Artisanale, de professionnel ? Accrochée à une roue, à une aile ? Incendiaire, à fragmentation ? A minuterie, à activation télécommandée ? D’un terroriste, d’un imbécile qui voulait voir un avion exploser ?
Alors qu’une fois de plus chaque possibilité de l’acte mortel, chaque détail qui aurait pu faire partie du meurtre parfait envahissait l’esprit de l’assassin, ses yeux se fermaient petit à petit. Fatigue, vieillesse ? Dans tous les cas : faiblesse, mais il ne put résister à l’envie de laisser ses yeux encore fermés juste deux secondes. Juste deux secondes. Et encore, et encore, et encore…
Sa tête fut lourdement secouée à l’atterrissage contre le dossier du siège et il se redressa vivement, les yeux fouillant son agresseur, les mains tendues, le visage encore enfui dans la fatigue. Il observa rapidement les environs et, en voyant sa ceinture détachée, il comprit pourquoi sa tête avait heurté le dossier ; l’avion s’était posé. Au-dehors, la nuit, mais de très fortes lumières de panneaux publicitaires qui prônaient en cette étrange langue asiatique des slogans probablement autant stupides et idiots que leurs homologues occidentaux. Alors que l’avion commençait à s’arrêter, Hitman attendit qu’au moins quatre personnes se lèvent pour ensuite sortir de la rangée ; il était pressé de marcher, il se sentait un peu plus vieux. Il n’espérait pas trop, s’il était inefficace, sa vie n’avait plus de sens, et il pouvait dire ce qu’il voulait, la mort l’effrayant quand même un petit peu depuis son accrochage à Paris. Il sortit rapidement de l’appareil pour s’engouffrer directement dans la passerelle et l’aéroport, autant bondé, autant stressé, autant vivant que chaque aéroport de la planète. Tous se ressemblaient. Il marcha rapidement jusqu’à l’entrée, et leva le bras avec lenteur devant un taxi qui passait. Il s’arrêta, et Hitman rentra à l’arrière du véhicule. Le chauffeur se tourna vers lui, et lui parla en chinois, lui demandant probablement où il voulait aller.
-Hôtel, fit sobrement Hitman en lui montrant une liasse de dollars.
Le chauffeur tenta de faire un sourire poli, hocha la tête, puis appuya sur l’accélérateur tout en observant une unique et effrayante fois son étrange client.
C’était l’hôtel le plus proche de la planque, quelque part dans les quartiers pauvres où s’exhalait une odeur d’épices provenant d’un restaurant en bas de la rue, calé entre un immeuble locatif délabré et une teinturerie qui, Hitman le savait, servait à faire transiter des armes en attendant le prochain cargo en direction des Etats-Unis. Il s’y était rendu avant d’entrer dans l’hôtel, avec une belle liasse de dollars américains ; la seule langue que parlent tous les marchands d’armes du monde. Il avait sur lui un simple Beretta silencieux, du 9mm… juste au cas où. Il n’espérait pas s’en servir. Du moins s’en servir ne lui posait pas de problèmes, mais sa tête était déjà bien connue à l’Agence, même dans les planques, et un ex-agent (viré qui plus est) revenu faire une vendetta était à coup sûr synonyme de mort pour lui. Diana avait dû passer l’éponge sur la planque de Moscou, il n’avait désormais plus de joker. D’ailleurs, il ne savait pas qui était exactement cette taupe… il connaissait la planque de Hong Kong car il avait dû y transiter après avoir terminé le contrat Lee Hong. Mais la personne qu’il recherchait pouvait très bien être quelque part en occident, en Afrique, en Amérique latine, en Antarctique… ou six pieds sous terre.
Toc toc toc.
-Qui est-ce ? fit Hitman d’une voix grave, ne détachant pas son regard de l’horizon, la chambre se trouvant au dernier étage de l’hôtel.
-Service d’étage ! fit une voix en anglais, au travers de la porte.
47 arracha lentement son regard sur les ombres de la ville, partit allumer la lumière et, tout en ouvrant la porte d’une main, pointa le pistolet contre son bois de l’autre. La porte était suffisamment ouverte pour repérer qui était venu, dans quel but, et la moindre bosse suspecte sous ses habits qui pouvait cacher une arme. C’était une simple femme, svelte et jolie, habillée selon les codes vestimentaires de l’hôtel, transportant un plateau sur lequel trônait une petite assiette remplie à ras bord de nourriture asiatique. Lentement, Hitman posa son pistolet sur un meuble tout proche, ouvrit la porte juste assez pour prendre le plateau puis, sans même un sourire ni un merci, claqua la porte au nez de la femme. Il le posa sur le meuble, à côté du Beretta, prit une fourchette et piqua un bout de viande. D’un geste calculé, comme si toute sa vie n’était que de successifs codes à suivre, il mit la fourchette dans sa bouche et commença à mâcher, mais il fit une grimace et recracha le met dans le reste du plat.
-Bouffe immonde…
-C’est lui ? fit l’informaticien.
-Nom de Dieu… c’était donc bien toi à Edimbourg, 47 !
Lenny James était planqué dans une petite camionnette, assez loin de l’hôtel pour que le tueur ne la voie pas de sa fenêtre, quelque part derrière le restaurant. Le véhicule était peu spacieux, mais assez pour permette d’y ranger trois personnes, et une multitude d’ordinateurs. Les écrans entouraient James et son acolyte à lunettes fines et noires, le visage fixé sur la vidéo qui passait en boucle. On y voyait clairement Code 47, l’air morose comme à son habitude, se saisir du plat et claquer la porte au nez de la caméra, le tout dans une qualité moyenne ; mais le visage de 47 et son attitude mettaient les points sur les I. La porte s’ouvrit, et la jolie femme entra, décrocha un étrange bouton de son habit de travail et le posa sur une petite table, à côté d’un scanner, de nombreux modem, câbles et autres appareils électroniques fournis par Interpol. Lenny James lui fit un chaleureux sourire, découvrant ainsi ses dents d’une blancheur quasi-parfaite, son bouc gris parfaitement taillé lui donnant une autorité qu’on ne saurait défier.
-Formidable boulot… on le tient, cette fois.
samedi 15 décembre 2007
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire