samedi 15 décembre 2007

Chapitre XII: Connexion

Hong Kong, 7 Juillet 2008

La planque de Hong Kong était, comme quasiment toutes les planques de l’Agence, au dernier endroit où l’on penserait fouiller. Ni dans les milieux riches, ni dans les trop défavorisés, ni trop dans la lumière, ni trop dans l’ombre, partout et nulle part. Cela faisait un bout de temps que Code 47 n’était plus revenu dans la cité asiatique, et il lui fallut un peu plus de temps que prévu pour dénicher la planque, calée quelque part entre une petite boulangerie et des immeubles locatifs, sous le couvert d’un dépôt de fournitures immobilières, des banderoles au couleurs vives et des lampions projetant une faible lumière pendant à ses côtés. Pour ne pas éveiller les soupçons, le tueur partit s’asseoir sur un banc de l’autre côté de la rue pour l’observer minutieusement, au-dehors d’un petit parc, qui cachait malgré lui une étrange camionnette, au milieu de quelques arbres.
-Mike, il est là depuis combien de temps ? fit Lenny James en refermant la porte arrière du véhicule, deux cafés entre les doigts.
-Sans sucre hein…
-Oui oui ! dit James en posant si fort le gobelet à côté de l’informaticien que le breuvage coula sur le petit bureau, pour finir par goutter sur le sol.
-Bordel fais attention ! s’écria Mike. C’est un équipement de pointe, si on bousille tout ça, on va nous…
Mike était l’une des rares personnes sur terre à ne pas craindre Lenny James, probablement parce que c’était l’un des meilleurs spécialistes en informatique d’Interpol et que James ne pouvait se passer de lui. Celui-ci lança son implacable regard noir vers l’homme aux lunettes, qui s’était légèrement détourné de ses écrans pour tenter de lui faire la morale, et il ne put que s’arrêter de parler en gloussant, pour finir par prononcer quelque minable excuse. Ils avaient envoyé leur troisième élément à l’extérieur pour filmer Code 47 depuis un immeuble des environs, et il semblait n’avoir rien remarqué.
-Il est sur ce banc depuis une heure et demie, avec une large casquette sur la tête.
-Sûrement pour éviter qu’on ne le démasque avec son crâne et son code barre, fit James, buvant une gorgée de café.
-Mais ce n’est pas tout… il a changé au moins six fois de position depuis ce matin ; il surveille le coin depuis huit heures maintenant.
-Il doit être sur un nouveau contrat.
-Le boulanger peut-être ? fit Mike avec un sourire niais.
James ne cilla pas, et se contenta d’hocher la tête, l’air idiot, avec un sourire large et faux sur le visage. Le sourire de l’informaticien s’effaça alors rapidement, comme d’habitude.
Il faisait froid sur le banc, et la nuit n’allait peut-être pas tarder à tomber. Tout comme à Moscou, les gardes de la planque ne sortaient que quelquefois par jour, pour acheter de quoi manger, et rentraient aussitôt dans le dépôt. Depuis ce matin, il y avait trois différentes personnes qui étaient venues acheter de quoi se nourrir, toutes semblaient armées d’un petit pistolet sous leur veste, du moins vu de loin, et chacun avait cet air sérieux et professionnel typique de l’Agence. Quand, pour la quatrième fois de la journée, un homme sortit du dépôt, la crosse de son arme bien visible sous sa veste ouverte (et 47 s’étonna de voir que l’Agence n’engageait plus avec autant de sévérité qu’avant), l’assassin silencieux se leva lentement de son banc, attendit avec un calme exemplaire que l’homme fût entré dans la boulangerie, puis traversa la route déserte.
-On dirait qu’il se dirige vers la boulangerie… je te l’avais bien dit ! s’écria Mike.
James était sur le point d’exploser, mais se contenta de se saisir du café de l’informaticien et de le vider d’un trait.
-Hé, mais c’était mon café !
-Plus maintenant. Regarde, il entre dans le dépôt de meubles. On a des infos là-dessus ?
Rapidement, Mike se tourna vers un deuxième clavier, et se connecta sur la base de données d’Interpol, ayant en quelques secondes confirmation.
-Hum, non, rien.
-Même dans le trafic de drogue, un crime dans le coin… ?
-Non, rien.
-C’est un peu trop immaculé pour que 47 s’y pointe.
-On agit ?
James fit une grimace.
-C’est hors de notre juridiction… et on n’a pas de preuve évidentes ! D’après la base de donnée, n°640509-040147, alias Hitman, est mort en 2000 ! J’ai beau avertir Scotland Yard ou Interpol, rien n’y fait. On attend, donc.
Mike garda la mâchoire serrée, l’air interdit, et ajouta dans un micro, comme pour donner de l’importance à une situation qui leur échappait :
-Lily, tente de trouver un autre endroit d’où filmer, on n’aura plus beaucoup de résultats d’où tu es.

Le dépôt était petit, mais suffisamment large pour qu’on y case de nombreuses caisses et autres meubles sous de larges protections en plastique transparent. La halle était faiblement éclairée, et quelques larges lampes au plafond suffisaient pour voir où l’on mettait les pieds, tout en augmentant de manière fantomatique les ombres de tout ce qui se trouvait dans la large pièce. Lentement, Hitman observa les environs, cherchant une caméra de surveillance, et en trouva deux, qui pointaient dans la même direction, chacune cachées derrière un tas de caisses. Il se risqua à jeter un coup d’œil, mais n’entraperçut rien d’autre qu’une simple armoire… sans aucune protection. L’entrée avait changé depuis sa dernière visite, mais l’Agence était toujours aussi ingénieuse. Rapidement, il partit se placer derrière le battant de la porte, toujours ouvert, puis sortit de sa poche un large mouchoir blanc, qu’il plia dans le but d’y verser du sédatif, trouvé dans une quelconque pharmacie en ville. Il rangea la bouteille, et attendit calmement dans l’ombre que sa cible s’approche. Au bout de quatre ou cinq minutes, il entendit des bruits de pas pressés venir du trottoir, au dehors. 47 se glissa alors rapidement derrière une caisse, accroupi, et tout en dévissant le bouchon de la bouteille, observa l’homme entrer, poser le paquet rempli de croissants et autres pâtisseries sur le sol, et commencer à fermer la porte. Il n’entendit pas l’ombre se glisser derrière lui, et sentit juste une douce sensation de légèreté quand on lui pressa le mouchoir sur le nez et la bouche. Il tenta de crier, de se débattre, mais ne put que parvenir à tomber dans l’agréable inconscience d’un sommeil forcé. Hitman traîna le corps du jeune asiatique dans un coin du hangar, puis le laissa tomber et s’approcha d’une large armoire entourée d’une protection en plastique uniforme, totalement identique aux autres, comme un clone. D’un geste précis, il l’enleva, ouvrit la porte et y déposa l’agent, avant de lui prendre ses vêtements. Puis il referma la porte de l’armoire, sans toutefois remettre la protection ; le pauvre bougre serait bien obligé de s’enfuir. Si on l’oubliait là-dedans ou qu’il asphyxiait, il aurait l’Agence sur le dos. L’homme avait un bonnet, et 47 fut heureux de le caler sur sa tête nue, affalé d’une simple veste en cuir cachant son 9mm et d’un pantalon en jean tout ce qu’il y avait de plus normal. Puis il se dirigea vers l’entrée du dépôt, ferma la porte et saisit le paquet du boulanger, se mettant ensuite à marcher jusque vers l’armoire visée par les caméras. D’une main experte, il saisit la poignée ronde, pour se rendre compte que la porte ne s’ouvrait pas. Il était devant les caméras ; il était un agent de l’Agence en faction dans la planque qui savait comment entrer. S’il ne l’était pas, sa couverture et sa seule chance de trouver la taupe de Beldingford étaient foutues. Mais il remarqua bientôt qu’il suffisait de la tourner, et en moins de quelques secondes, il s’était engouffré dans l’armoire, la porte lentement refermée derrière lui. À l’intérieur, c’était le noir total, et il se demanda s’il n’avait pas à nouveau commis une bourde quand il trouva, en tâtonnant au bout de trente secondes, un interrupteur au plafond. Il l’activa, et une lampe s’alluma bientôt, alors que toute l’armoire semblait se mettre à bouger ; un ascenseur. 47 faillit esquisser un sourire devant cette situation inhabituelle, mais il se ravisa dès que l’étrange cage se fut stoppée et que la porte à deux battants s’ouvrit devant lui. La planque s’était modernisée. Le sol était fait d’un vieux parquet, mais les murs étaient désormais en briques neuves et rougeoyantes, de larges lampes à néon éclairant parfaitement la petite fourmilière qui se dressait face à lui. La salle devait faire dix mètres de long sur six, avec une hauteur d’au moins trois mètres, d’où partaient une multitude de couloirs. Le tout aurait été parfait, si des caméras supplémentaires n’étaient pas venues s’ajouter, ainsi qu’une rangée d’ordinateurs et de techniciens. La pensée des sous-sols soviétiques de St Petersbourg ne put s’empêcher de lui traverser l’esprit, alors qu’il posait le paquet des mets du boulanger à côté d’un ordinateur, et que tous les agents se ruaient déjà dessus. Il se dirigea rapidement dans un couloir à sa droite, et passa sous une petite caméra, une caméra comme il en avait déjà vu des tonnes, une de ces caméras comme celle qui l’avait coincé un jour au Portugal.
« 47, votre contrat d’aujourd’hui est plutôt simple : notre cible est un cuisiner, nommé Rùben Danilo. »
Ce jour-là, installé dans une petite maison de campagne au bord de la mer, observant la vidéo sous le bruit des vagues et des oiseaux, Hitman ne s’attendait pas à finir hors de l’Agence. C’était quelques semaines après la fin de ses ennuis avec le père Vittorio ; c’était sa première rencontre avec Lenny James.
-Il est cuisinier en chef dans un restaurant de Lisbonne, et semble profiter de sa position privilégiée pour faire main basse sur ses ennemis et ensuite racheter leurs établissements, augmentant ainsi de manière astronomique sa fortune. On lui attribue la mort accidentelle de quatre célèbres cuisiniers européens… dont deux liquidés par nos agents, il est donc connu de nos services, mais comme client. Cette fois-ci, il semble que ce soit l’inverse, mais ce n’est pas notre problème, comme toujours. Notre commanditaire nous donne un bonus plutôt agréable s’il meurt devant les yeux de tous, lors d’une conférence entre les grands noms de la cuisine européenne, qui doit avoir lieu ici même, dans la capitale. Pour ce, nous vous avons préparé de quoi vous aider… Bonne chance, 47.
Hitman avait tourné la tête vers le sachet qui contenait une poudre étrange. De la drogue, du poison ? Il s’était approché de l’étiquette, l’avait lue et s’était soudain demandé qui était le sadique qui avait donné de l’argent pour ce contrat.
Il s’était glissé comme invité, sans armes à feu, lors de la conférence. Un chef italien était alors en train de préparer un met bien de chez lui, mais Hitman ne s’en souciait guère. Après quelques repérages, il avait repéré les cuisines. Remarquant que les serveurs avaient le droit de s’y introduire, il en avait assommé un dans un coin sombre. En quelques dizaines de seconde, il s’était habillé de son costume rouge sombre avec chemise blanche et nœud papillon noir, des gants étincelants au bout des doigts. Parfaitement méconnaissable, un plateau entre les mains, il s’était introduit dans les cuisines, là où les ingrédients de la recette de Danilo étaient préparés. Après s’être assuré que personne ne regardait, il avait trafiqué la salière, et remplacé le sel en question par la poudre qu’on lui avait donnée. La chose qu’il n’avait pas vue, c’était cette caméra au-dessus de lui. Lorsqu’il était reparti, et que Danilo avait commencé sa recette devant la foule, on s’était aperçut trop tard que quelqu’un était venu en cuisine. Hitman était déjà sorti quand la salière laissa tomber dans l’eau qui était en train de bouillir le concentré de potassium. D’après Diana, le commanditaire était ravi, et ce n’était pas le titre « La recette explosive de Rùben Danilo» du journal national qui avait paru le lendemain qui l’avait déçu ; la prime du tueur avait doublé. Hitman serait bien reparti de Lisbonne si, le jour suivant, un homme aux cheveux gris n’avait pas frappé à sa porte…
« -Qui est-ce ? demanda le tueur au travers du battant.
-J’ai quelques questions à vous poser, fit la voix.
Mauvais signe. Très mauvais signe.
Rapidement, Hitman prit son argent, les informations que Diana lui avait remises et son Silverballer silencieux, pour ensuite demander, la porte toujours fermée :
-À propos de ?
-Monsieur, ouvrez la porte, j’aimerais vous parler.
-Désolé mais je n’attends personne… répondit 47 d’une voix neutre, tout en étant légèrement stressé.
Il ouvrit un petit sac à dos noir dans lequel il fourra rapidement tous les papiers concernant la cible, qu’il aurait pourtant dû brûler dans la cheminée comme il le faisait d’habitude, ou les jeter dans un égout. Il y jeta également les liasses de billets qu’un contact de l’Agence lui avait donné quelques heures auparavant, les intérêts compris. Soudain il crut apercevoir une ombre dans le jardin, puis une deuxième, qui s’extirpait de la haie avec précaution.
-C’est une urgence, monsieur !
-Désolé, je ne…
-Ouvrez la porte monsieur, Interpol !
Code 47 étouffa un juron, et se rendit compte un peu trop tard que des forces d’intervention entouraient la maison. Lorsqu’un premier agent le vit, de l’extérieur, arme à la main, il cria quelque chose en portugais au reste de l’équipe et, en quelques secondes, une demi-douzaine de grenades fumigènes brisèrent les larges portes vitrées du salon pour tomber un peu partout, commençant à remplir l’air d’une âcre fumée volubile. La porte fut défoncée avec fracas, et avant que le premier agent d’intervention ait eu le temps de faire le moindre geste, sa tête était déjà perforée violemment par une balle de Silverballer. Il s’écroula aussitôt en arrière dans une gerbe de sang alors que l’agent qui le suivait criait d’horreur, sa combinaison remplie de l’hémoglobine de son coéquipier. Rapidement, Hitman sauta derrière un canapé en vidant son chargeur en direction de la porte alors que les fumigènes commençaient à envahir toute la pièce, éliminant ainsi deux ennemis qui entraient, MP5 à l’épaule. Anticipant les réactions du reste des forces spéciales, il se coucha à terre, le sac à dos fortement accroché autour de ses épaules, tandis que le canapé se faisait trouer de parts et d’autres par les rafales des soldats ennemis, faisant voler mousse et tissu à travers la pièce enfumée. 47 laissa tomber son chargeur sur le sol, en saisit rapidement un autre, et pointa son arme vers un agent qui venait de dégainer dans sa direction, ne lui laissant pas le temps de faire le moindre geste, son corps troué de quatre balles dans un râle aigu, les quatre douilles tourbillonnant devant les yeux du tueur ; l’homme tomba à terre, sembla voir un spasme, puis 47 détourna son regard, la fumée commençant réellement à lui démanger les yeux. D’autres ennemis allaient bientôt arriver, il fallait se dépêcher de sortir. 47 se leva, quitta rapidement sa cachette, leva son pistolet vers un autre agent et lui tira deux balles dans la jambe. L’homme tomba en criant, et tenta d’aligner l’assassin silencieux alors que celui-ci se ruait dans la cuisine ; les balles perforèrent avec puissance la porte et le mur alors que Hitman entrait de justesse. Il se dirigea rapidement vers le réservoir de gaz, et ouvrit la vanne au maximum ; cette odeur mélangée à celle des fumigènes le fit vaciller. Il ouvrit rapidement la fenêtre et sauta, puis se mit à courir sur quelques mètres… pour se stopper immédiatement sur sa lancée, se retrouvant nez à nez avec un homme habile, armé d’un MP5. Le canon était à moins de vingt centimètres de sa tête, il était fait comme un rat.
-Revenu d’entre les morts, très cher ? lui fit l’homme.
C’était l’homme qui lui avait parlé à travers la porte. Un peu moins de cinquante ans, des cheveux gris et un regard froid mais d’une intense intelligence.
-Passe-moi ton arme, fit-il en lui prenant le pistolet des mains. C’est toi qui a fait le coup du sel à Danilo ?
Hitman ne cilla pas, ne répondit pas, se contenta de le regarder dans le plus profond des yeux.
-Réponds ! C’est toi qui t’es introduit dans les cuisines pour mettre de la matière explosive dans la salière ?!
Le tueur détourna les yeux. Aucun regard. Aucune réaction.
-RÉPONDS !
Aucun souffle. Pas une once de vie dans les gestes du tueur.
-Bien… fit James, pensant pouvoir utiliser les mêmes méthodes sur 47 que sur les malfrats avec qui il traitait la plupart du temps, voulant lui administrer une balle dans le pied.
Mais alors qu’il baissait son arme en direction des jambes de Code 47, celui-ci avait écarté la mitraillette d’un puissant coup avec sa main, et Lenny James avait malencontreusement mis le doigt sur la détente. De la rafale, une balle avait atteint le rebord de la fenêtre de la cuisine, provoquant ainsi une minuscule étincelle ; celle de trop. Avant que l’assassin silencieux ou l’agent d’Interpol ait pu faire le moindre geste, une intense lumière les aveugla, et un souffle puissant les projeta à terre. L’impulsion fit littéralement s’envoler tous les soldats d’élite qui se trouvaient à moins de dix mètres avant même que le feu ne commençât à consumer les murs. L’explosion ravagea la moitié de la maison, provoquant une boule de feu rougeoyante au niveau de la cuisine ; les murs furent soufflés, le toit se perça de manière étrange pour laisser sortir les vagues de feu et toutes les vitres de la maison furent éparpillées au quatre vents. Lorsque la boule de feu avait disparu, c’était pour rapidement laisser place à un trou béant, une colonne de fumée noire et des débris tombant par dizaines autour de la maison. Quand Lenny James se réveilla, la tête lourde, Hitman était parti, et il ne restait plus qu’un beau ciel bleu et de la fumée s’élevant jusqu’au lointain. »
Une autre caméra.
Hitman haïssait les caméras depuis ce jour-là. Diana s’était montrée furieuse : neuf agents d’intervention de la police de Lisbonne avaient été tués, et il avait depuis Lenny James sur le dos. Et ici, les caméras étaient omniprésentes. Il y en avait sur tous les murs de brique, et il espérait que sa venue ne serait pas trop remarquée, car de toute façon elle ne passerait pas inaperçue. Il trouva une porte, sur sa gauche, et se mit difficilement dans l’angle mort d’une caméra pour observer la pièce depuis la serrure. Un genre de dortoir, avec trois lits, peut-être une pièce de repos. Un seul homme dormait, il était inutile d’entrer ici. Continuant sa route parmi le labyrinthe dans les sous-sols de Hong Kong, il finit par remarquer que tous les fils accrochés au murs convergeaient vers une même pièce. Passant sous la caméra qui filmait la porte de la pièce en question, Hitman en profita pour débrancher le fil qui la maintenait en vie. Il s’approcha alors rapidement de la porte, et mis son oreille contre le battant, pour entendre le bruit caractéristique d’ordinateurs en chauffe. La porte était fermée ; la serrure était trop étroite pour regarder. Il sortit vite de sa poche son matériel de crochetage, et commença l’opération. Au bout de quelques secondes seulement, l’antique serrure céda. Il ouvrit légèrement le battant, pour s’assurer qu’il n’y avait personne, et c’était le cas. Alors qu’il fermait doucement la porte, un garde venait rebrancher la caméra, à son insu.
À l’intérieur, la pièce était remplie de serveurs, mieux valait ne pas y toucher. Mais ils contenaient également toutes les infos dont l’ex-meilleur homme de l’Agence pourrait avoir besoin. Il sortit de sa poche un CD qu’il inséra dans un ordinateur, et commença à copier tous les fichiers qui l’intéressaient depuis la base de donnée, du moins c’est ce qu’il comptait faire.
« Données réservés. Veillez entrer le nom d’utiliser et le mot de passe »
47 ne put s’empêcher de jurer. BRO4887 était probablement désactivé, et même si ce n’était pas le cas, c’était trop risqué. Il avait vite appris à maîtriser l’informatique, mais le système de l’Agence était rudement corsé, néanmoins il n’était pas venu jusqu’ici pour tout abandonner. Rapidement, en quelques coups de codes informatiques, il arriva sur un menu, et arriva à accéder au système qui traitait les données, et la protection de données du système. Bien qu’ayant grandi toute sa vie sous les yeux attentifs des scientifiques à la solde de Ort-Meyer, et sans ordinateurs, il fallait avouer qu’il s’était montré très doué dans la manipulation de programmes et de systèmes, réussissant à entrer dans les recoins informatiques les plus complexes. Ici aussi, le codage était complexe, et Hitman commença à suer. Ses doigts tapaient frénétiquement sur le clavier, et faire une erreur maintenant serait fatale. Il tenta de désactiver le mot de passe des dossiers auquel il avait accès, mais c’était impossible depuis l’ordinateur de la planque de Hong Kong. Il dut se contenter de rentrer dans le système administrateur, chose qu’il réussit à faire au bout de huit minutes, en alignant avec ingéniosité les lignes de codes, pour créer un nouveau compte, ayant accès à tous les dossiers. Il serait rapidement découvert, en quelques minutes probablement, mais c’était le mieux à faire. Une fois qu’il put entrer le nouveau nom d’utilisateur, il désigna rapidement tous les dossiers qui les intéressaient ; le sien, celui de Gregorovitch, tous ceux des chauffeurs et autres agents secondaires de l’Agence, celui qui contenait les informations relatives aux planques dans le monde, et même celui de Crooney, le trafiquant de drogue liquidé à Detroit. Le dossier de Diana ? Hitman y avait accès, et il ne put s’empêcher de pointer la souris dessus, il ne suffisait plus qu’à cliquer, pour savoir qui elle était réellement. Mais pourquoi ? La vengeance ? S’il voulait avoir l’occasion de prouver son innocence et de retourner à l’Agence, mieux valait ne pas y toucher. L’ordinateur chauffait fortement, et l’enregistrement du CD arrivait à sa fin, quand un message s’afficha en rouge sur l’écran :
« PIRATAGE, ACCES INTERDIT A DONNEES CONFIDENTIELLES »
-Merde !
47 appuya rapidement sur une touche, et le CD sortit du compartiment. Alors qu’il ouvrait la porte pour s’enfuir, une alarme résonna dans les couloirs. Rapidement, l’assassin plongea sa main dans la veste, pour en sortir son Beretta silencieux et le pointer vers la caméra. A l’autre bout des souterrains, dans la salle de sécurité, le technicien ne vit ensuite plus que des parasites sur l’écran de contrôle, bientôt suivis par d’autres sur un second écran. En quelques secondes, quatre caméras furent hors service, et il pouvait ainsi aisément, grâce aux caméras détruites, suivre la direction que prenait le tueur, qui courait à en perdre haleine à travers les sombres couloirs. Soudain, la porte de la salle de repos s’ouvrit, et l’agent qui y dormait en sortit, arme à la main. Avant qu’il n’ait pu faire le moindre geste, Hitman, qui arrivait dans sa direction en courant, lui claqua la porte au nez, et l’homme tomba dans l’ouverture, le visage en sang. Deux autres agents arrivèrent face à lui, également armé, et dégainèrent. Il ne restait plus beaucoup de munitions dans le Beretta, et il suffit d’une balle pour détruire le néon au-dessus de l’homme, plongeant une partie du couloir dans la pénombre. Hitman put ainsi éviter les tirs très peu précis d’un des deux agents, et lui envoyer un puissant coup de coude en passant à son niveau, puis poussant violemment l’autre ennemi contre le mur, qui s’écroula dans un grognement.
Il arriva enfin face à l’ascenseur et s’y engouffra, haletant. Alors que les agents en factions commençaient à tirer, les portes se refermèrent à temps, faisant ricocher en éclats lumineux quelques balles provenant de tirs précipités. Dans le noir de l’ascenseur-armoire, 47 respira un grand coup, et mit la main dans sa poche pour s’assurer que le CD était encore là, et c’était bel et bien le cas. Il profita de ces quelques secondes dans le noir total pour lui aussi fermer les yeux, et faire le vide dans sa tête et sa vie. Quelques instants de paix. En sortant, il utilisa ses deux dernières balles pour annihiler les deux caméras, puis repartit rapidement en direction de son hôtel, sous l’œil attentif de James, encore aux aguets, empli de nervosité dans sa petite camionnette. Le molosse avait les crocs acérés, et sa proie devenait de moins en moins prudente… mieux valait pour lui en profiter tant que c’était le cas.

Chapitre XI: Agir seul

Les ambulanciers sortirent le brancard sous l’œil médusé des passagers, saisirent le large sac en plastique noir qui contenait le corps et l’installèrent dessus. Les deux gardes du corps semblaient autant dépités que ridicules, n’ayant pas pu protéger leur patron d’un danger prématuré. La foule les observa entrer dans l’ambulance après qu’on y ait installé le défunt, on claqua les portes, et le véhicule partit de l’aéroport à vitesse moyenne, s’installant comme tout autre véhicule dans la circulation calme de l’été, sans même utiliser les sirènes. Une aller simple vers les cieux en toute discrétion. Au bout d’une dizaine de secondes, elle n’était plus qu’une masse informe dans la capitale américaine. Hitman observa durant quelques instants la voiture s’éloigner, calme comme à son habitude, son regard se portant ensuite sur le ciel bleu et sans nuages qui l’entourait. Il faisait bon vivre à Washington DC, il faisait beau et avait quelques jours de détente devant lui. Il jeta la capsule vide de cyanure dans une poubelle, leva la main pour interpeller un taxi et se promit de toujours se méfier du cognac.

Washington DC, 5 Juillet 2008

Déjà deux morts, deux cibles. Des cibles liées. S’il y avait une chose qui n’était pas bon signe dans le métier, c’était bien ça. Les coïncidences n’existent plus ; si deux cibles qui sont reliées par un lieu, un travail, une personne, ou pire encore, une idée, c’était qu’il y avait forcément anguille sous roche. Ici c’était le cas. Petersen, et Neill, les deux dernières cibles de Hitman… les deux uniques cibles de l’agent depuis son entrée au service de Beldingford. Celui-ci avait une idée derrière la tête, une idée folle, une idée à pour laquelle il avait été jusqu’à risquer que Code 47 pique une crise démoniaque suite à son départ de l’Agence. Il avait déjà perdu un homme, il savait que 47 était instable, et le gardait en sa possession ; c’était bien plus important que tout cela, et c’est probablement ce qui effrayait l’assassin silencieux.
Il était assis dans une chambre d’hôtel, quelque part dans Washington. Les lumières étaient éteintes, la nuit envahissait la pièce. Au dehors, les lumières de la capitale américaine, les bruits des voitures passant au pied de l’immeuble et peut-être, au loin, le sommet du Capitole. Le tueur était couché sur son lit, les bras derrière la tête, passant en revue et en sa mémoire tout ce qui s’était passé depuis l’incident Stepanov. Une chose était évidente : Beldingford avait une taupe à l’intérieur de l’Agence qui lui avait permis d’échanger les documents de Stepanov et Gregorovitch. James, le chauffeur ? Improbable, il s’était juste chargé de se faire passer pour un chauffeur envoyé par Diana. Non, c’était plus loin que ça ; la taupe devait y être infiltrée depuis longtemps, et c’est par là qu’il devait commencer. Si elle avait pris le risque de s’infiltrer dans l’Agence, c’était un homme de confiance. Si c’était un homme de confiance, il connaissait Beldingford. S’il connaissait Beldingford, il pourrait peut-être répondre à certaines questions, de la bonne manière, ou bien autrement.
Cette pensée le fit sourire.

Hitman avait un biper, et c’était étrange pour un personnage tel que lui. La chose un peu moins étrange, c’est qu’il ne l’allumait jamais. Il utilisait de toute façon le passeport de Bradley Kyle, le faux que lui avait fourni Beldingford ; s’il voulait l’atteindre, il lui suffisait de remonter les traces du document. Le lendemain, Code 47 prit donc l’avion en direction d’un des bureaux de l’Agence, à Hong Kong. Pourquoi Hong Kong ? Simplement parce qu’il ne savait pas où se trouvait le QG, et qu’il ne connaissait que quelques bases secondaires, dont celle de Moscou, où l’on devait encore se souvenir de lui… N’ayant pu cacher d’arme à bord de ses valises, il n’en prit aucune avec lui. Il pouvait briser une nuque avec ses mains, tuer avec une fourchette ou un stylo. Tant que son ennemi n’avait pas d’arme à feu où n’était pas un expert en combat, il n’avait rien à craindre. Durant le vol, il se cala dans son siège, et observa malgré lui, avec son instinct qui lui collait à la peau, chaque passager qui passait un peu trop près de son siège. On passa un film, un film minable, comme tout ce qui était fiction d’ailleurs, faisant partie de l’irréel et l’incitant à baisser sa garde. Le vol était long. Très long. Trop long. L’avion fit escale quelque part, ça n’avait pas d’importance, le fait était qu’il avait fait escale, qu’il avait atterri, qu’on avait pu s’infiltrer à l’intérieur ou le piéger à la bombe. Une bombe… grosse, petite ? Artisanale, de professionnel ? Accrochée à une roue, à une aile ? Incendiaire, à fragmentation ? A minuterie, à activation télécommandée ? D’un terroriste, d’un imbécile qui voulait voir un avion exploser ?
Alors qu’une fois de plus chaque possibilité de l’acte mortel, chaque détail qui aurait pu faire partie du meurtre parfait envahissait l’esprit de l’assassin, ses yeux se fermaient petit à petit. Fatigue, vieillesse ? Dans tous les cas : faiblesse, mais il ne put résister à l’envie de laisser ses yeux encore fermés juste deux secondes. Juste deux secondes. Et encore, et encore, et encore…
Sa tête fut lourdement secouée à l’atterrissage contre le dossier du siège et il se redressa vivement, les yeux fouillant son agresseur, les mains tendues, le visage encore enfui dans la fatigue. Il observa rapidement les environs et, en voyant sa ceinture détachée, il comprit pourquoi sa tête avait heurté le dossier ; l’avion s’était posé. Au-dehors, la nuit, mais de très fortes lumières de panneaux publicitaires qui prônaient en cette étrange langue asiatique des slogans probablement autant stupides et idiots que leurs homologues occidentaux. Alors que l’avion commençait à s’arrêter, Hitman attendit qu’au moins quatre personnes se lèvent pour ensuite sortir de la rangée ; il était pressé de marcher, il se sentait un peu plus vieux. Il n’espérait pas trop, s’il était inefficace, sa vie n’avait plus de sens, et il pouvait dire ce qu’il voulait, la mort l’effrayant quand même un petit peu depuis son accrochage à Paris. Il sortit rapidement de l’appareil pour s’engouffrer directement dans la passerelle et l’aéroport, autant bondé, autant stressé, autant vivant que chaque aéroport de la planète. Tous se ressemblaient. Il marcha rapidement jusqu’à l’entrée, et leva le bras avec lenteur devant un taxi qui passait. Il s’arrêta, et Hitman rentra à l’arrière du véhicule. Le chauffeur se tourna vers lui, et lui parla en chinois, lui demandant probablement où il voulait aller.
-Hôtel, fit sobrement Hitman en lui montrant une liasse de dollars.
Le chauffeur tenta de faire un sourire poli, hocha la tête, puis appuya sur l’accélérateur tout en observant une unique et effrayante fois son étrange client.
C’était l’hôtel le plus proche de la planque, quelque part dans les quartiers pauvres où s’exhalait une odeur d’épices provenant d’un restaurant en bas de la rue, calé entre un immeuble locatif délabré et une teinturerie qui, Hitman le savait, servait à faire transiter des armes en attendant le prochain cargo en direction des Etats-Unis. Il s’y était rendu avant d’entrer dans l’hôtel, avec une belle liasse de dollars américains ; la seule langue que parlent tous les marchands d’armes du monde. Il avait sur lui un simple Beretta silencieux, du 9mm… juste au cas où. Il n’espérait pas s’en servir. Du moins s’en servir ne lui posait pas de problèmes, mais sa tête était déjà bien connue à l’Agence, même dans les planques, et un ex-agent (viré qui plus est) revenu faire une vendetta était à coup sûr synonyme de mort pour lui. Diana avait dû passer l’éponge sur la planque de Moscou, il n’avait désormais plus de joker. D’ailleurs, il ne savait pas qui était exactement cette taupe… il connaissait la planque de Hong Kong car il avait dû y transiter après avoir terminé le contrat Lee Hong. Mais la personne qu’il recherchait pouvait très bien être quelque part en occident, en Afrique, en Amérique latine, en Antarctique… ou six pieds sous terre.
Toc toc toc.
-Qui est-ce ? fit Hitman d’une voix grave, ne détachant pas son regard de l’horizon, la chambre se trouvant au dernier étage de l’hôtel.
-Service d’étage ! fit une voix en anglais, au travers de la porte.
47 arracha lentement son regard sur les ombres de la ville, partit allumer la lumière et, tout en ouvrant la porte d’une main, pointa le pistolet contre son bois de l’autre. La porte était suffisamment ouverte pour repérer qui était venu, dans quel but, et la moindre bosse suspecte sous ses habits qui pouvait cacher une arme. C’était une simple femme, svelte et jolie, habillée selon les codes vestimentaires de l’hôtel, transportant un plateau sur lequel trônait une petite assiette remplie à ras bord de nourriture asiatique. Lentement, Hitman posa son pistolet sur un meuble tout proche, ouvrit la porte juste assez pour prendre le plateau puis, sans même un sourire ni un merci, claqua la porte au nez de la femme. Il le posa sur le meuble, à côté du Beretta, prit une fourchette et piqua un bout de viande. D’un geste calculé, comme si toute sa vie n’était que de successifs codes à suivre, il mit la fourchette dans sa bouche et commença à mâcher, mais il fit une grimace et recracha le met dans le reste du plat.
-Bouffe immonde…

-C’est lui ? fit l’informaticien.
-Nom de Dieu… c’était donc bien toi à Edimbourg, 47 !
Lenny James était planqué dans une petite camionnette, assez loin de l’hôtel pour que le tueur ne la voie pas de sa fenêtre, quelque part derrière le restaurant. Le véhicule était peu spacieux, mais assez pour permette d’y ranger trois personnes, et une multitude d’ordinateurs. Les écrans entouraient James et son acolyte à lunettes fines et noires, le visage fixé sur la vidéo qui passait en boucle. On y voyait clairement Code 47, l’air morose comme à son habitude, se saisir du plat et claquer la porte au nez de la caméra, le tout dans une qualité moyenne ; mais le visage de 47 et son attitude mettaient les points sur les I. La porte s’ouvrit, et la jolie femme entra, décrocha un étrange bouton de son habit de travail et le posa sur une petite table, à côté d’un scanner, de nombreux modem, câbles et autres appareils électroniques fournis par Interpol. Lenny James lui fit un chaleureux sourire, découvrant ainsi ses dents d’une blancheur quasi-parfaite, son bouc gris parfaitement taillé lui donnant une autorité qu’on ne saurait défier.
-Formidable boulot… on le tient, cette fois.

Chapitre X: Cartes sur table

Aéroport Roissy Charles de Gaulle, Paris, 4 Juillet 2008

-Votre passeport je vous prie, fit la jolie employée à l’embarquement.
Sans sourire ni même lui porter la moindre attention, Hitman lui tendit le papier, qu’elle lui prit rapidement des mains avec, quant à elle, un large sourire. Et lui rendit rapidement le document, après un léger coup d’œil.
-Bienvenue à bord, monsieur Zimmerman, vous êtes en première classe !
L’assassin silencieux ne fit pas un geste, prit le faux passeport et traversa le détecteur de métaux, qui ne fit aucun bruit. Sa corde à piano était indétectable, et il avait une capsule de cyanure cachée dans le talon de sa chausse gauche. Il était en avance, l’un des premiers dans l’appareil, et c’était tant mieux. Il se trouvait sur un des sièges de l’aile droite, direction couloir, parfait pour observer les passagers entrer. Pour cette fois, Beldingford avait effectué un travail exemplaire. Il attendit quelques minutes, pensif, scrutant le vide et pensant aux détails de la mission jusqu’à ce qu’une passagère d’âge moyen, empruntant le couloir, le force à rester sur ses gardes. Il prit un journal qui se trouvait dans la poche arrière du siège qui se trouvait devant lui, l’ouvrit et fit mine de le lire, son esprit dévisageant chaque passager qui entrait dans l’appareil. Neill n’était toujours pas en vue, et l’avion était presque plein. Était-il en retard ? Ca valait mieux pour Beldingford, si celui-ci avait encore commis une erreur, Hitman se chargerait de lui personnellement, et se contenterait de l’argent du contrat Petersen. Il grogna, et dut encore se lever pour laisser passer un homme, côté fenêtre. Puis il arriva, à bout de souffle, à l’entrée de l’avion, le visage rouge et l’air encore plus gros que sur la photo. Alors que l’image du Roi de la Viande lui traversait furtivement l’esprit, il remarqua également ses deux gardes deux corps, un Blanc et un Noir, tous deux plus massifs l’uns que l’autre. 47 se rassit, pris son journal et observa du coin de l’œil Gregory Neill s’asseoir une rangée devant lui, allée centrale, entouré par ses deux gorilles, tous deux portant un costume noir. On ferma la porte de l’avion, et il commença à se positionner sur la piste alors qu’une hôtesse expliquait les règles de sécurité. Quelques minutes plus tard, l’appareil s’élevait du sol, et on commença à parler un peu partout. Hitman tendit l’oreille, tentant de distinguer la voix de l’agent de la CIA des autres qui envahissaient son esprit.
« … restez sur vos gardes surtout, je ne veux pas que tout ça finisse en bain de sang. »
C’était lui, et d’après ce qu’il avait compris, ses gardes du corps étaient armés. Aucune issue pour lui en cas de pépin.
« Chef, nous sommes dans un avion, qui pourrait savoir tout ça ? »
« Je n’en sais rien… mais on n’est jamais trop prudent. Vous l’avez vu ? »
« Vu qui ? » fit l’autre garde.
Neill jura entre ses dents.
« Notre contact bon Dieu, qui d’autre ?! »
Un contact ? Hitman resta pensifs quelques instants, il se passait quelque chose ici, et il sentait bien que Beldingford n’y était pas totalement étranger.
« Non, pas vu » répondit l’un des gardes
« Très bien, ouvrez l’œil, vous savez à quoi il ressemble. Quand vous le verrez, demandez-lui s’il a en sa possession un jeu de cartes »
« Mais… on est là pour vous protéger non ? »
Cette fois-ci, l’agent ne put s’empêcher de hurler un ignoble juron au travers de l’appareil, et mettre un claque sur la tête de son garde.
« C’est un code merde ! » siffla-t-il entre ses dents.
« D’accord… autre chose ? »
« Oui, un cognac ! »
L’un des agents se leva et commencer à observer les passagers de l’appareil, tandis que l’autre partait en direction d’une hôtesse pour le cognac. Ce serait parfait pour le cyanure, se dit Hitman, mais c’était encore trop risqué. Le vol venait de débuter, il valait mieux le tuer vers sa fin. Durant quelques instants, il ne vit plus les deux gorilles, qui étaient chacun partis dans un côté opposé de l’appareil, jusqu’à ce que le Noir revienne dans sa direction. Il s’arrêta net aux côtés de l’assassin silencieux, se tourna vers lui et demanda :
-Bonjour, monsieur, auriez-vous un jeu de cartes à nous prêter ?
47 en eut le souffle coupé, la mâchoire serrée, se demandant encore ce que cet imbécile de Beldindford avait manigancé, quand soudain un simple jeu de cartes accompagné d’une main lui passa sous le nez. Gardant son calme, il attendit que le garde du corps le prenne entre ses doigts avec un sourire faux ; et tourna la tête vers le passager côté fenêtre. C’était donc lui le contact ! Il le dévisagea : la trentaine, des cheveux châtains, portant un costume clair et une carrure assez athlétique. Celui-ci se tourna vers cet étrange homme au crâne rasé avec cravate rouge, lui fit un petit sourire poli et observa le ciel depuis le hublot. Hitman resta calme. Il ne pouvait rien faire dans l’avion, il fallait attendre qu’il bouge, ou change de position. On lança un film américain de seconde zone, et alors que tout le monde mettait un casque sur ses oreilles, 47 faisait encore semblant de lire son journal, observant du coin de l’œil le massif agent qui revenait vers lui. Il tendit le paquet de cartes à son contact et lui dit :
-Il me semble qu’il manque une carte… le huit de carreau.
Toujours la tête dans son journal, Hitman observa le jeu passer devant lui. Le contact les feuilleta, jusqu’à ce qu’il trouve la carte en question qui était bien sûr présente dans le jeu. Il sortit un stylo, nota quelque chose et rendit le paquet en disant d’un air minable :
-Désolé… elle a dû tomber !
Le garde reprit le paquet de cartes et retourna s’asseoir.
« C’est bon, on a nos infos » fit Neill.
« Je vais lui rendre le jeu ? » demanda un garde.
« Tu as fini de recopier les infos ? »
« Oui »
« Alors vas-y »
À nouveau, le manège continua, le garde se leva, arriva près de la rangée où était assis l’assassin silencieux et rendit le jeu de cartes au contact en le remerciant.
« Maintenant, on a plus qu’à profiter du vol » dit Neill avec un air heureux. « Johnny, va me chercher un autre cognac »
Le garde du corps blanc se leva, et alla chercher le verre d’alcool, selon les ordres de l’agent de la CIA. 47 était, quant à lui, perdu dans ses pensées. Est-ce que ce petit tour de passe-passe avait un rapport avec l’ami de Bedingford ? C’était possible, et la CIA était on ne peut mieux placée pour les magouilles en tout genre. Mais son esprit méthodique lui disait le contraire ; si quelqu’un leur posait problème, l’éliminer n’en était pas un. Non, le problème était ailleurs, ça semblait ressembler à un échange d’informations, entre habitués. Il était encore en train de penser à tout cela quand le contact se leva, se dirigeant vers les toilettes. C’était le moment où jamais. Code 47 se leva également calmement et suivit l’homme avec précaution. Le contact entra derrière un petit rideau, dans une partie de couloir qui séparait les classes de l’avion. Hitman le suivit rapidement, les rideaux étaient tirés des deux côtés, il fallait agir maintenant. Alors que l’homme entrait dans les toilettes, 47 lui poussa violemment la tête contre le mur. Il y eut un bruit sourd, et la masse corporelle de l’individu tomba avec un bruit mat sur le sol. Le tueur entra dans la cabine et ferma la porte, puis vérifia que sa victime était encore en vie ; et elle l’était. Il fouilla dans la poche interne de sa veste, jusqu’à trouver les cartes en question. Il les feuilleta, et trouva les inscriptions sur le huit de carreau : « Cible n°42, 08.11.08, 14 :20 GMT ». Des informations simples : une cible à trouver, ou éliminer, une heure, une date. Aucun lieu. Hitman observa toutes les autres cartes mais sans succès, il n’y avait rien. C’était totalement illogique ! Le garde était revenu pour lui demander le huit de carreau, mais il était bien plus simple pour le contact d’avoir noté les informations auparavant, avant de donner le jeu de cartes ! Ca ne collait pas, vraiment pas. 47 grogna, et, dans sa colère, laissa tomber une des cartes sur le sol. C’est seulement en la prenant qu’il remarqua comme une ondulation sur sa surface, comme si la lumière la transperçait. Il la mit à la lueur de la lampe des toilettes : il n’y avait rien, mais elle était fabriquée dans un matériau transparent à la lumière. Voilà donc le secret de ces petits joujoux ! Il les leva toutes vers la lumière, et finit par en trouver trois qui correspondaient. Le huit de cœur, le huit de trèfle et le huit de pique. On y voyait précisément des photos, et quelle ne fut pas la surprise de 47 en les découvrant. L’une d’elle représentait une personne très maigre, une autre une personne que Hitman ne connaissait pas non plus, et la dernière… Petersen ! Il y avait un rapport entre ces personnes.
-Beldingford, espèce de chien, tu m’as encore manipulé !!!
Il tapa du poing comme le miroir des toilettes qui se brisa en toile d’araignée. De rage, il prit sa chaussure et en sortit la capsule de cyanure, se demandant s’il ne devait pas l’user sur sa propre personne pour enfin tout arrêter. Mais il se calma bientôt, et la rangea dans son Armani. Il savait désormais qu’il y avait anguille sous roche. Tranquillement, il remit le jeu de cartes dans la poche de l’homme encore évanoui, dans le même ordre qu’en les sortant, et lui versa de l’eau sur la tête. Il saignait du nez, et l’eau dilua son hémoglobine tout en ouvrant faiblement ses yeux. Il cria, et porta la main à sa tête. Pour ne pas paraître suspect, Hitman rouvrit rapidement la porte, comme s’il venait à son secours.
-Nom de Dieu, qu’est-ce qui s’est passé ?
-Il y a eu quelques turbulences, fit Hitman. On dirait que vous avez percuté le miroir de plein fouet…
L’homme tourna sa tête vers le miroir brisé, puis vers le tueur, et le dévisagea longuement.
-Merci… je ne vous aurais pas déjà rencontré par hasard ?
-J’étais assis à côté de vous, et j’ai vu que vous ne reveniez pas des toilettes.
-Ah, merci, fit-il d’un air faible.
Hitman se leva, et repartit s’asseoir avec calme alors que le contact de Neill essuyait le sang qui coulait sur son visage. Il garda en mémoire les photos, la date du 8 Novembre 2008 à 14 heures 20 GMT, et se demanda ce que préparaient ces hommes. Ils semblaient faire partie d’un groupe, et également continuer leurs activités même après la mort de Petersen. Beldingford ne lui disait pas tout, il ne jouait pas cartes sur table. Tant pis pour lui, il en subirait les conséquences.

Contrat: Neill