jeudi 17 avril 2008

Chapitre XVIII: Affaires Internes

Cité internationale de Lyon (Interpol Headquarter), 16 Juillet 2008

-Leonard Robert James, la commission a décidé, à l’unanimité quasi-totale, qu’il vous était interdit de continuer vos investigations sur le dénommé tueur à gages nommé « Code 47 ». Il s’est avéré que le sujet était bien mort dans un hôtel à Paris, en 2005, et que la mort proche du commissaire Fournier n’était qu’une coïncidence, malgré vos théories. Toutes vos enquêtes se sont soldées par des échecs et des culs-de-sac.
-J’ai réussi à trouver une piste sé…
-Un signe sur une mallette ? Utilisez-le pour retrouver ce… « 47 », et nous changerons peut-être d’avis. D’ici-là, vos droits d’agents ici à l’intérieur du réseau vous seront également retirés pour une durée indéterminée.
-Mais je…
-Pour une durée (et il accentua le mot) pour l’instant indéterminée, sinon plus.
-Bien. Merci de m’avoir re…
-Vous pouvez disposer.

Lenny James était dans le couloir, les coude sur les genoux et le visage enfoui dans les mains, le dos étrangement voûté. Et ce n’étaient pas sa veste en tweed gris et sa cravate bleue qui lui donnaient un semblant de dignité. Tandis que les gens passaient près de lui, il tentait de se demander comment il en était arrivé ici, pourquoi il était assis sur ce banc à la con entre une plante verte et un distributeur d’eau au lieu d’être à la poursuite d’un tueur en liberté. Cela faisait plus d’une année qu’il était à la poursuite de 47, et il était vrai que les échecs se succédaient sans trêve, mais il n’avait jamais perdu sa trace, ce qui, de son avis, avait toujours été le plus important. A chaque fait divers suspect dans la presse, chaque accident mortel étrange et chaque suicide sans raison, pouvait se trouver la marque de l’assassin silencieux.
La commission avait tranché en dix minutes à peine. Juste le temps de sortir tous les dossiers traitant de 47 ou de ses pseudo-activitées, de prouver qu’aucun lien concret ne pouvait y être trouvé et que James avait profité de l’argent d’Interpol durant de nombreux mois. Celui-ci, se redressant et laissant tomber sa tête contre le mur, observa quelques instants les alentours en effervescence, téléphones sonnant dans tous les coins, machines à café chauffant à en exploser, feuilles, notes et dossiers voltigeant entre les mains de secrétaires débordées et qui préféraient se vernir les ongles entre deux rendez-vous de leur patron que de prendre la peine d’allumer leur ordinateur ou de sortir un stylo de leur poche. En les observant un peu plus, le molosse se rendit rapidement compte à quel point il haïssait ces bureaux, à quel point il haïssait l’inefficacité, à quel point il haïssait les dirigeants du réseau et à quel point il détestait se rendre compte que cet univers serait bientôt le sien.
-Monsieur James ? demanda une de ces secrétaires en ouvrant la porte, l’air endormi.
L’ex-agent se leva lentement de sa chaise, étira son dos et suivit la secrétaire dans son petit bureau sans rien dire, mais en la gratifiant d’un regard noir qui aurait fait tomber Hitman en personne. Ou presque.
En s’asseyant dans la petite chaise qui lui martyrisait les fesses, il se souvint légèrement des têtes des dirigeants de divers services internes au réseau, et se promit de leur rendre la vie infernale s’il tombait sur l’un de leurs rapports lors de sa future vie de bureaucrate désespéré. Ils étaient une demi-douzaine, chacun essayant de s’habiller mieux que l’autre, chacun essayant de prendre un regard officiellement compatissant et officieusement très méprisant. Aucun échappatoire possible. Ils avaient le pouvoir, et le meilleur moyen de se séparer de leur emprise, c’était simplement de quitter Interpol. Mais le nombre d’années qu’il avait passé ici pouvaient lui apporter encore une chance d’avoir un petit poste honnête en faction quelque part, et c’était ce qu’il espérait.
-Voyons… il me semble que j’ai votre dossier ici.
James ne fit pas un bruit, haussa un sourcil en renfonçant ainsi son regard sombre d’un côté de son visage tandis que l’autre se tordait en une grimace toute aussi effrayante. Ses cheveux gris en brosse et son allure de lion sauvage lui donnaient l’air d’un homme haut placé, et la secrétaire qui mâchait son chewing-gum en face de lui était peut-être en train de s’en donner à cœur joie de jouer avec les nerfs de son interlocuteur. Encore cette question de pouvoir… ou alors, il se faisait simplement des idées et ce n’était qu’une naïve de première qui croit encore pouvoir changer le monde en lançant quelques shillings dans la casquette d’un mendiant et en ne tirant l’eau de la chasse qu’une fois par jour pour économiser l’eau potable.
-Bon, fit-elle en ouvrant le dossier, s’asseyant derrière un bureau dégagé et où trônaient uniquement quelques stylos et la plaquette portant son nom (« Fawl »… tiens, malgré ses airs de française, elle avait quand même un nom d’anglaise). Bon, on dirait que vous avez été suspendu.
-Très perspicace, lui renvoya le molosse sans aucun ton dans la voix. En plus, vous savez lire sans lunettes.
La secrétaire arrêta quelques instants de mâchouiller son chewing-gum, la bouche légèrement ouverte et le regard ne supportant pas, apparemment, ce manque évident de gentillesse. Un peu comme s’il lui avait mis la main aux fesses et qu’elle s’était retournée et lui avait lancé ce même regard scandalisé d’étudiante idéaliste (qui soutient la cause des animaux et ne met que de la fourrure synthétique, se dit James, et il ne put que tenter de contenir un petit sourire), mais avec la colère en plus.
-Bref, je disais, continua la secrétaire (et elle mit les lunettes pendant autour de son cou sur son nez, comme pour défier cet impoli assis en face de sa petite personne), vous avez été suspendu, et il m’a été donné pour mission (nouveau sourire de James) de vous trouver un nouveau job quelque part en Europe.
Le molosse jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Le bureau était totalement fermé, contrairement aux multiples boxes qui s’étalaient au milieu de la salle centrale, et s’il arrivait à fermer les stores et la porte, il pourrait peut-être étrangler cette imbécile et calmer ses nerfs. « Mais non ! Voyons mon vieux, arrête de te faire des idées, ne deviens pas celui que tu chasses, et laisse cette pauvre fille tranquille… »
Il retourna à nouveau la tête et fixa la jeune fille.
Le verrou de la porte semblait pourtant facile d’accès.
-Bon… fit-elle à nouveau en mastiquant son chewing-gum (et cette fois-ci, ce fut un simple tic nerveux qui passa sur le visage du molosse) et en tournant l’écran de son ordinateur vers elle. Vous parlez de nombreuses langues, avez collaboré avec le MI-6, Scotland Yard, la police de Londres, Glasgow, Liverpool, Southampton, New York, Washington, Paris, Amsterdam…
-En plus, vous lisez avec lunettes, fantastique ! lança James avec un grand sourire, les yeux grand ouverts, se demandant soudain cet accès de folie, probablement du à la rage interne de n’avoir pas réussi à attraper 47.
-Fous-lui la paix, James.
La voix venait de derrière lui. Il observa juste la secrétaire l’observer lui et l’homme dans son dos du coin de l’œil, la bouche ouverte, l’air hagard.
-Sors de cette pièce, dit Lenny James d’un ton qui tentait de se faire calme.
-Désolé, je ne peux pas. Miss Fawl, voudriez-vous avoir l’obligeance de me laisser votre place durant quelques instants ?
Miss Fawl mit un certain temps à réagir, comme si l’information traitée par son cerveau devait passer par son chewing-gum avant d’atteindre ses jambes.
-Heu oui… oui, oui, bien sûr, fit-elle en se levant sans aucune classe, manquant de faire tomber deux classeurs sur une étagère derrière elle.
Elle sortit de la pièce, faisant claquer ses talons, et Humphrey prit sa place, s’asseyant calmement face à James, le regard clair et pacifique.
-Qu’est-ce tu veux ? demanda le molosse en serrant les dents. C’est à cause de toi si je suis dans cette merde, et je peux te dire que te voir en rêves est déjà largement suffisant. C’est une tentative de suicide ?
Humphrey l’observa d’un air noir, ses cheveux sombres collés en arrière en un brushing pas vraiment parfait retombant sur son front et ses tempes, puis eut un petit sourire, observa le sol durant quelques instants. Il semblait réfléchir. Plus aucun son ne s’ensuivit, puis Humphrey se leva, à nouveau calmement, ferma les stores et verrouilla la porte, comme s’il voulait prendre la place de victime de Miss Fawl à tout prix.
-C’est vraiment une tentative de suicide alors, commença James en mettant les mains en clocher sur le bureau, puis réfléchissant à sa situation et celle de son patron. Tu n’es probablement pas ici pour me parler de mon futur job à Pétaouchnock City. Qu’est-ce que tu veux ?
Humphrey ne s’assit pas, mais s’appuya contre des casiers en métal gris sombre, et pensa lentement son discours. Il avait beau être le supérieur du molosse direct depuis quelques années au sein du service luttant contre le crime organisé, il avait toujours fait pleinement attention à ses paroles, et encore plus en la présence de Lenny James.
-C’est à propos de 47.
Haussement de sourcil du molosse.
-Vous avez retrouvé sa trace ?
-Non.
-Vous voulez des infos plus précises que celles des rapports ?
-Non.
-Vous avez lancé une autre équipe contre lui ?
-Non. Et non.
Lenny James fit tout son possible pour se contenir, mais il semblait que Humphrey voulait vraiment jouer avec ses nerfs. Celui-ci, qui regardait son ex-subordonné dans le blanc des yeux avec cet étrange regard vide, se décida enfin à parler.
-Les infos que tu as trouvées sont tout simplement insuffisantes pour mettre 47 en taule. Mais tu as toujours eu les preuves de son existence.
Plus aucun bruit. Le silence total. Sauf peut-être cette mouche qui se posa sur le bureau et que James écrasa de son pouce, ne quittant pas Humphrey du regard.
-Nous ne comptons pas te remettre en piste. Du moins pas officiellement, continua Humphrey. Mais tu sais très bien que la traque de Code 47 a toujours été l’une de mes priorités. J’ai détourné quelques fonds, et avec ma fortune personnelle, on peut continuer à mener cette guerre.
-Et officiellement ? demanda James, en observant son pouce ensanglanté.
-Officiellement, tu tries le courrier à Pétaouchnock City. Mike a déjà accepté de se joindre à nous, il peut se charger de modifier les documents dans le serveur central.
James essuya son pouce sur son dossier, encore ouvert devant lui à l’envers, et commença à réfléchir à toute vitesse, puis leva à nouveau la tête vers Humphrey, la tête légèrement sur le côté, les yeux exorbités.
-Tu veux faire de moi un autre tueur à gages, ou quoi ?
Humphrey semblait mal à l’aise, se pinça la lèvre inférieure et s’assit au bureau, mettant le dossier de la chaise entre lui et James, cherchant encore les mots à lui dire.
-Pas un tueur à gages, mais… enfin, ne vas pas chercher trop loin non plus, 47 est un danger pour le système. Il doit être éliminé.
Lenny James détestait être considéré comme de la merde, comme un agent qu’on envoie faire le sale boulot ou trop facilement corruptible.
-Bien sûr, si tu arrives à le capturer, tu pourras évidemment prouver à la commission que tu avais raison. À ceci près que tu seras probablement définitivement viré pour avoir effectué des missions sans l’accord des gratte-papier du service.
La tension était palpable. Et le molosse, dont la mâchoire était plus serrée que jamais, ne montrait que la partie émergée de l’iceberg, son cœur glacé ne se décidant pas encore tout à fait.
-Tu préfère que je descende 47 pour que ton petit cul reste dans ton fauteuil de cuir tout en haut ? Tu préfères le voir mort plutôt que vivant, parce que sinon il faudrait expliquer aux supérieurs ton implication dans des investigation illégales ?
Humphrey se pinça à nouveau la lèvre, et entreprit d’ouvrir la bouche pour contre-attaquer avec des arguments plus solides, quand, presque avec un sourire, Lenny James demanda :
-Quand est-ce qu’on commence ?
Sa voix était pleine d’assurance, de détermination, et de vengeance.

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